Musée

Robert Blaizeau : « Il faudrait solliciter l’ensemble des sens, pas seulement la vue »

Par Aude-Claire de Parcevaux · L'ŒIL

Le 20 décembre 2023 - 1194 mots

ROUEN

Quatre mois après sa prise de fonction, le directeur des Musées métropolitains Rouen Normandie dévoile ses projets pour rendre l’art davantage accessible à tous.

Robert Blaizeau. © Photo Alan Aubry / Métropole Normandie Rouen
Robert Blaizeau.
© Photo Alan Aubry / Métropole Normandie Rouen
Lors de votre nomination, vous expliquiez vouloir « un musée sans portes ». Qu’entendez-vous par là ?

Plusieurs choses. D’abord, que ces lieux, souvent hérités du XIXe siècle, ont été conçus comme des « temples de la connaissance » : tout y est fait pour impressionner le visiteur. Je veux vraiment casser cette image, rendre nos musées beaucoup plus ouverts sur leur environnement, et faire en sorte que chacun s’y sente un peu « comme à la maison ». Ce qui passe d’abord par plus de confort matériel. Par exemple, il est rarement possible de s’asseoir. Et, quand c’est le cas, c’est sur des petites banquettes sans dossier. Or, si on veut prendre le temps de regarder un Vélasquez ou un Caravage, il faut être confortablement installé. Mon rêve serait même qu’on puisse s’allonger dans les salles ! Premier pas, nous avons commandé des canapés et des fauteuils confortables : dès ce mois-ci, ce mobilier va être installé dans trois musées rouennais. C’est un test. Nous allons voir comment réagit le public.

Quelles sont les autres pistes ?

Visiter un musée est un exercice exigeant physiquement, mais aussi intellectuellement. Pour appréhender plus facilement ce qui est exposé, il faut solliciter l’ensemble des sens, et pas seulement la vue. Ce qui peut se faire simplement, par exemple, en mettant à disposition dans les salles du papier et des crayons. Mais je voudrais aller plus loin. Un peu à la manière de l’exposition « Prière de toucher » – qui offrait de découvrir des sculptures en les touchant –, on pourrait proposer des petits fac-similés à proximité des œuvres, voire autoriser, quand c’est possible, de toucher les originaux. Je pense aussi à des ambiances sonores, et même à des odeurs. Enfin, dans les collections permanentes, nous réfléchissons à la manière de rendre plus accessibles nos cartels, avec moins de textes et une approche explicative plus visuelle. Autre volet, je souhaite encourager les pratiques artistiques : pourquoi ne pas mettre des pianos, voire des guitares ou des violons à disposition dans les collections permanentes : il y a suffisamment d’espace dans les salles !

Vous n’allez pas faciliter la vie des agents de surveillance…

Le paradigme du musée aujourd’hui, c’est d’interdire (de parler, de manger, de toucher…). Moi, ce que je veux c’est autoriser. Et faire évoluer les taches de surveillance vers une relation d’accueil. De ce point de vue, les médiathèques sont en avance et pourraient nous inspirer. Par exemple, j’aimerais faire du Jardin des sculptures du Musée des beaux-arts, à Rouen, un lieu où les étudiants puissent venir réviser ; ou à l’inverse, imaginer des plages horaires où les gens sont autorisés à parler fort dans les salles des musées. Ce qui rendrait les visites moins contraignantes pour les jeunes et les enfants. À l’attention de ces derniers, je souhaite également mettre des jouets en libre accès, par exemple des puzzles d’œuvres, dans les salles. Et pour tous, mettre à disposition des livres, en rapport avec les œuvres exposées.

Pour booster la fréquentation, vous misez sur la fin de la billetterie ?

Je suis convaincu que mieux vaut plusieurs visites brèves qu’une visite interminable. Nos collections permanentes sont gratuites depuis 2016. Mais le visiteur doit prendre un billet, ce qui constitue un vrai frein : si vous devez prendre un ticket d’entrée, vous n’allez pas faire un saut au musée pour voir une œuvre entre deux cours, deux rendez-vous ou durant votre pause déjeuner. Mon objectif est que, dès ce printemps, les gens puissent entrer librement dans nos musées. Et que les agents d’accueil, libérés des taches de billetterie, soient là pour les accueillir et les orienter.

Concernant les collections, quels sont vos projets ?

Sur le million d’objets dont sont riches nos collections, seule une fraction (entre 5 % et 10 %) est exposée. Notre grand chantier, c’est de travailler à une meilleure répartition entre musées. Il n’existe pas de plan à l’échelle nationale pour organiser la politique de prêt. Je voudrais donc que chaque conservateur propose une liste d’œuvres qui sont en réserve et qu’il pourrait mettre à la disposition des autres musées de Normandie. Dès le deuxième semestre 2024, nous aurons une première série de 200 œuvres à prêter.

Vous souhaitez aussi allonger la durée des prêts d’œuvres ?

Nous sommes très sollicités pour des expositions temporaires, notamment par des musées à l’étranger. Compte tenu du coût environnemental que cela représente à chaque fois, il est aberrant de déplacer des œuvres pour trois mois seulement ! L’idée est de porter la durée des expositions temporaires à six mois minimum, et, au-delà, d’inciter les musées à conserver les œuvres qui ont ainsi voyagé. Ce qui m’intéresse, c’est le temps long. Autre direction, je voudrais que, dans nos musées, toute exposition temporaire puisse nourrir les collections permanentes, pour qu’il en reste autre chose qu’un beau catalogue.

Pouvez-vous donner un exemple ?

L’été dernier, lors de l’exposition « Esclavage, mémoires normandes », une salle évoquait le rôle de Rouen dans la traite transatlantique. Le sujet va désormais faire l’objet d’un espace permanent dans le musée Beauvoisine qui est en cours de restauration. Au passage, l’idée est de ne pas faire de ce musée un musée classique, mais un lieu accessible au plus grand nombre, et responsable sur le plan environnemental.

Justement, sur ce plan, quelles sont vos priorités ?

Nous allons mettre en place un budget kilométrique, c’est-à-dire réfléchir à comment les œuvres sont transportées et à quel coût, ce qui nous amènera à faire des arbitrages dans nos prêts en tenant compte de ce critère. Nous voulons également encourager le public à utiliser le vélo, les transports en commun ou le covoiturage pour venir aux expositions temporaires. Ainsi, dès la rentrée prochaine, ce type d’usager bénéficiera d’un tarif réduit.L’idée est vraiment d’envoyer un signal. Mais au-delà, c’est aussi au musée de sortir de ses murs et d’aller à la rencontre du public. Nous avons embauché cinq jeunes en service civique, pour aller présenter des œuvres dans les lieux où le musée n’est pas : centres commerciaux, bibliothèques, Ehpad... Au mois de décembre, dans le cadre de l’opération « Un jour, une œuvre », en collaboration avec Gare et connections nous avons eu un avant-goût de cette démarche : cinq œuvres sorties de nos musées ont été exposées dans la gare de Rouen. Chacune était accompagnée d’un médiateur qui les a fait découvrir aux voyageurs. Une très bonne idée pour donner aux gens envie d’aller plus loin.

Un air nouveau

Passionné de patrimoine, ce conservateur de 32 ans a été nommé en août dernier à la tête des onze musées de la métropole rouennaise. Diplômé de l’Essec après des études d’histoire à la Sorbonne et d’histoire de l’art à l’École du Louvre, Robert Blaizeau rentre à l’Institut national du patrimoine en 2014. Affecté à la direction des musées de Saint-Lô en 2015, il rejoint en 2021 les services de la ville de Rouen comme directeur général adjoint. Il a notamment contribué à l’édition 2 022 du festival Normandie impressionniste, et au projet « Rouen, capitale européenne de la culture 2028 ».


un million 

C’est le nombre d’objets composant les collections des musées de la métropole rouennaise.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°771 du 1 janvier 2024, avec le titre suivant : Robert Blaizeau : « Il faudrait solliciter l’ensemble des sens, pas seulement la vue »

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