Musée - Profession

DIALOGUE AVEC LA TUTELLE

Les élus face aux défis des jeunes directeurs de musée

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 30 juin 2025 - 1233 mots

Formés à la conservation mais peu au management, les jeunes directeurs doivent composer avec des élus parfois imprécis.

Clémence Pourroy, adjointe au patrimoine, tourisme et archéologie de la ville de Poitiers. © Ville de Poitiers  Alain Soriano, adjoint à la culture et au patrimoine de la ville de Gaillac. © Ville de Gaillac  Fabienne Quinet, adjointe à la culture de la ville de Blois. © Ville de Blois / T. Bourgoin  Pierre Aubry, adjoint à la culture de la ville de Fécamp. © Ville de Fécamp  Laurence Renou, vice présidente de la Métropole de Rouen, en charge de la culture. © Métropole Rouen Normandie
Clémence Pourroy (Poitiers), Alain Soriano (Gaillac), Fabienne Quinet (Blois), Pierre Aubry (Fécamp) et Laurence Renou (Rouen).
© Ville de Poitiers
© Ville de Gaillac
© Ville de Blois / T. Bourgoin
© Ville de Fécamp © Métropole Rouen Normandie

France. Recruter un directeur ou une directrice de musée de moins de 30 ans constitue une gageure pour la plupart des collectivités, et les élus en sont bien conscients. Ceux que Le Journal des Arts a interviewés concèdent avoir pris « un risque » ou fait « un pari », quand bien même la jeunesse des lauréats ne serait pas le critère principal selon eux. Il ressort de ces entretiens que les attentes des élus sont élevées, notamment dans les municipalités où le poste englobe aussi la direction du patrimoine.

Malgré leur peu d’expérience à des postes de direction, quels sont les atouts que les élus voient dans ces profils ? Le premier atout est leur formation, en particulier leur statut de conservateur du patrimoine – à la sortie de l’Institut national du patrimoine (INP). Bien qu’il ne soit pas obligatoire d’être conservateur du patrimoine pour diriger un musée (lire encadré), les élus insistent sur ce statut surtout quand la direction des musées est mutualisée. À Poitiers où Manon Lecaplain a été nommée en 2023, l’adjointe au patrimoine, tourisme et archéologie, Clémence Pourroy, précise que « les deux finalistes étaient diplômés de l’INP en 2023, contrairement aux autres candidats dont certains n’avaient jamais dirigé d’établissement culturel ». À Gaillac, l’adjoint à la culture et au patrimoine, Alain Soriano, souligne également que la lauréate Adèle Massias « était jeune diplômée de l’INP et conservatrice du patrimoine », un critère important selon lui puisque ce poste couvre la direction du patrimoine (dix monuments) et celle des trois musées labellisés « Musée de France ». Cette préférence donnée aux conservateurs accompagne un mouvement de fusion des directions de musée et direction du patrimoine dans les collectivités, comme le précise Rachel Suteau, présidente de l’Association générale des conservateurs des collections publiques (AGCCP) et responsable de la formation continue à l’INP : « Il y a un élargissement des missions vers le patrimonial depuis quelques années dans les collectivités de taille moyenne à grande. »

Pour ce qui est des missions de direction d’établissement et de management, les élus vantent les directeurs ayant une double formation. À Rouen, Robert Blaizeau (directeur des musées de la Métropole Rouen Normandie) avait une expérience dans les directions de service des collectivités territoriales, un atout aux yeux des élus : selon Laurence Renou (vice-présidente de la Métropole de Rouen, en charge de la culture), « Robert Blaizeau avait un double parcours et l’expérience d’une collectivité territoriale ce qui contre balançait sa jeunesse » pour ce poste. Elle ajoute qu’ « un directeur est un fin connaisseur des collections mais avec une dimension de management ». À Blois, le fait que Bastien Lopez soit sorti de l’INP et de l’Institut national des études territoriales (INET) a joué en sa faveur, selon Fabienne Quinet (adjointe à la culture) qui ajoute que le profil recherché était « celui d’un directeur de château et non de responsable d’exploitation du site ».

Quand les directeurs de musée n’ont jamais occupé de poste de direction, il faut un accompagnement par les élus, voire une formation : le Musée des pêcheries à Fécamp est ainsi le premier poste de direction d’Aurélien Arnaud. L’adjoint à la culture Pierre Aubry précise que le jeune conservateur « est accompagné par la direction générale pour les questions de management », ajoutant que le jeune directeur est encore en formation continue. Selon Clémence Pourroy, la directrice des musées de Poitiers a demandé « à être accompagnée sur la gestion du personnel et le management à sa prise de poste ». Alain Soriano concède que la nouvelle directrice a eu besoin d’une « période d’adaptation » à son arrivée à Gaillac. Le degré de préparation des jeunes directeurs à des fonctions de management reste difficile à évaluer, comme le note Jean-Michel Tobelem, professeur associé à l’université Paris1 Panthéon-Sorbonne : « L’offre managériale dans la formation des conservateurs reste à mon avis insuffisante, sans parler de la formation continue ». Rachel Suteau précise que l’INP développe un parcours de « formation au management pour la direction d’établissement patrimonial qui prend en compte la complexification de ce poste ».

Au-delà de la direction d’établissement, les élus formulent des attentes élevées sur les aspects stratégiques de politique culturelle, y compris dans le projet scientifique et culturel (PSC) dont doivent se doter la plupart des musées. Pierre Aubry indique travailler avec Aurélien Arnaud sur le PSC du musée des Pêcheries, qui constitue « le principal enjeu pour le musée, en y intégrant les nouveaux enjeux des musées de France ». Si selon Jean-Michel Tobelem, « il y a une tendance chez les élus et les professionnels à confondre le PSC avec un plan stratégique », Rachel Suteau nuance, « aujourd’hui, le PSC a vocation à être un outil de dialogue avec les tutelles sur la définition de la stratégie d’établissement. Je trouve sain que les élus attendent beaucoup des jeunes directeurs pour aider aux décisions stratégiques ».

Dernier atout, la sensibilité des jeunes directeurs aux questions écologiques et particulièrement dans le cadre de travaux de rénovation. Laurence Renou dit ainsi de Robert Blaizeau qu’il a « un regard neuf sur les enjeux de transition écologique », là où Fabienne Quinet parle de « nouvelle lecture du patrimoine face aux enjeux environnementaux » pour Bastien Lopez. Difficile cependant de préciser ce que serait cette aisance des jeunes directeurs, en dehors d’une familiarité avec ces sujets en raison de leur formation. Jean-Michel Tobelem estime que les élus « n’ont pas toujours une vision articulée sur ce sujet et sont très sensibles aux mots d’ordre comme transition énergétique », mais la transition énergétique est une nécessité pour les collectivités territoriales, ce que les jeunes directeurs ont intégré dès le début dans leur projet d’établissement. Rachel Suteau note que « les élus et les conservateurs sont plus à l’aise sur la question, avec souvent une communion de vision stratégique, à la fois politique et opérationnelle ».

Reste que les travaux d’isolation à réaliser pour diminuer l’empreinte carbone du musée sont du ressort de la mairie.

Directeur de musée territorial, quel statut et quels critères de recrutement  

 

Profession. Si les musées territoriaux ont le plus souvent à leur tête un conservateur du patrimoine ou un attaché de conservation (concours de la fonction publique), ce n’est pas une obligation légale. La fonction même de directeur de musée territorial n’a pas de définition précise dans la documentation du ministère de la Culture, au-delà des missions qui lui incombent : par exemple « le directeur est responsable des collections » et « définit les options stratégiques pour le rayonnement et le développement du musée ». Les annonces de recrutement montrent que les collectivités territoriales précisent parmi les critères le statut d’attaché de conservation ou de conservateur du patrimoine, mais laissent une possibilité de recruter sur contrat après dérogation, même pour des postes mutualisés. Seuls les musées labellisés « Musée de France » doivent obligatoirement être dirigés par un conservateur ou un attaché de conservation. Le plus souvent les lauréats hors concours possèdent un doctorat en histoire de l’art, ou un master 2 dans une discipline proche. Selon Rachel Suteau, ces cas restent des exceptions dans un paysage largement dominé par les titulaires des concours et par une professionnalisation accrue : « Les recrutements hors concours sont rares, mais ils témoignent d’un projet scientifique rigoureux et d’une vision commune des collections entre le candidat et les élus. » Pour les directeurs recrutés sur concours, la rémunération suit la grille indiciaire pour la catégorie A, soit 2 200 euros bruts pour un conservateur du patrimoine au premier échelon, et 1 900 pour un attaché de conservation.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Les élus face aux défis des jeunes directeurs de musée

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