Belgique - Palais

Le palais Stoclet rouvrira-t-il un jour ses portes ?

Par Gilles Bechet, correspondant en Belgique · Le Journal des Arts

Le 22 février 2024 - 767 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

Afin de rendre le chef-d’œuvre de Josef Hoffmann accessible au public, les autorités régionales bruxelloises ont formulé une proposition aux héritiers.

Le palais Stoclet à Bruxelles. © PtrQs, 2012, CC BY-SA 4.0
Le palais Stoclet à Bruxelles.

Bruxelles. Les portes du palais Stoclet se sont-elles entrouvertes ? C’est ce que pourrait laisser penser un récent avis du Conseil d’État de Belgique. La juridiction vient en effet d’avaliser un projet d’ordonnance d’Ans Persoons, la secrétaire d’État chargée de l’urbanisme et du patrimoine à la Région de Bruxelles-Capitale, visant à rendre le joyau de Josef Hoffmann (1870-1956) accessible au public quelques jours dans l’année. Difficile à ce stade d’y voir un réel déblocage… ou une péripétie de plus dans un dialogue de sourds qui s’éternise entre les héritiers d’Adolphe Stoclet (1871-1949) et la Région bruxelloise.

C’est par l’intermédiaire de l’artiste Fernand Khnopff qu’Adolphe Stoclet, ingénieur, financier et surtout grand amateur d’art, rencontre Josef Hoffmann à Vienne (Autriche) et lui donne carte blanche et des moyens illimités pour concevoir son hôtel particulier qui sera construit sur l’avenue de Tervueren à Bruxelles, entre 1905 et 1911. Ce sera une « œuvre d’art totale » (Gesamtkunstwerk), qui intègre au sein d’un même projet esthétique architecture extérieure et intérieure, mobilier et accessoires réalisés par les meilleurs artisans de la Wiener Werkstätte.

Soucieux de préserver leur bien, Adolphe Stoclet et sa femme, Suzanne, le logent dans la société immobilière SAS qu’ils créent en 1945. Le couple décède en 1949 à quinze jours d’intervalle. Au gré des rachats et des héritages, les parts de la société vont plusieurs fois changer de main pour se répartir aujourd’hui entre les quatre petites-filles d’Adolphe Stoclet.

Seul bâtiment de Josef Hoffmann et de la Sécession viennoise encore intact, le palais Stoclet bénéficie d’un classement en 1976, en 2005 pour le jardin, et il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2006. Le projet de classement du mobilier en 2006 a fait l’objet d’une opposition en justice de trois des quatre petites-filles propriétaires qui seront finalement déboutées en 2011. Et le palais classé dans son entièreté.

Droit patrimonial privé contre intérêt général

Dans les années qui suivent, des questions se sont posées quant au devenir de ce joyau. Philippe R. Stoclet, petit-fils d’Adolphe, mais ne détenant aucune part de la société immobilière, s’est beaucoup impliqué pour l’avenir du palais Stoclet. Il a consulté des responsables politiques au niveau communal, régional et même fédéral sans obtenir d’engagement concret. Il est allé voir l’ambassadeur d’Autriche pour proposer à son pays de louer le bien préalablement exproprié sous un bail emphytéotique, mais l’offre a été refusée par Vienne, faute de moyens. Au début des années 2000, Ronald Lauder, l’un des trois héritiers d’Estée Lauder, et amateur de la Sécession viennoise, a fait une offre de 100 millions de dollars que les héritiers ont refusée. Apprenant que Ronald Lauder avait acquis un Klimt pour 135 millions de dollars, les héritiers ont fait une contre-offre pour le palais à 300 millions. Qui a été refusée. Même s’il est difficile d’évaluer un tel bien, le chef-d’œuvre de Hoffmann est aujourd’hui estimé à 125 millions d’euros – hors sa rénovation, sans doute nécessaire.

Plus personne n’habite le somptueux palais, seuls deux concierges veillent à sa sécurité. L’inscription au Patrimoine mondial n’oblige aucunement le propriétaire d’un bien à l’ouvrir au public, même de manière limitée. Les héritiers propriétaires affirment veiller à la préservation du palais et s’appuient sur le droit patrimonial privé pour refuser toute visite, craignant que cela engendre des dommages irréversibles. Le service du patrimoine bruxellois a, lui, mis en avant l’intérêt que représentent la culture et le patrimoine pour la collectivité, en l’assortissant d’une proposition équilibrée. L’ordonnance prévoit ainsi une ouverture encadrée de solides garanties, limitée à quinze jours maximum par an et dont les frais de fonctionnement seraient pris en charge par la Région. Le cabinet indique travailler aux modifications du texte de l’ordonnance pour une adoption en seconde et dernière lecture par le gouvernement bruxellois avant la fin de la législature, en juin de cette année, précisant être toujours ouvert aux remarques de la part des héritiers.

En attendant son hypothétique réouverture, celles et ceux qui seraient fascinés par le palais Stoclet peuvent se rendre au Musée d’art et histoire pour y admirer, en marge de l’exposition consacrée à Josef Hoffmann, une visite virtuelle des intérieurs du fameux bâtiment (1). Réalisé par une équipe de la faculté d’architecture La Cambre Horta, ce film 3D se fonde sur des sources d’archive pour reconstituer le palais tel qu’il était dans son état d’origine, entre 1911 et 1918, et comme l’avait rêvé le couple Suzanne Stevens et Adolphe Stoclet.

(1) « Stoclet 1911. Restitution », jusqu’au 14 avril au Musée d’art et histoire à Bruxelles.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Le palais Stoclet rouvrira-t-il un jour ses portes ?

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque