Restitutions

Musées : les restitutions sont un catalyseur

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 6 novembre 2022 - 553 mots

Cinq ans après le discours d’Emmanuel Macron, le 28 novembre 2017 à Ouagadougou, proclamant sa volonté « que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », le bilan paraît mince : un sabre, conservé au Musée de l’Armée a été retourné au Sénégal, vingt-six œuvres du Quai Branly au Bénin.

Statues du Bénin du XIXe s. appartenant au musée du Quai Branly - Photo Shonagon - CC0 1.0
Statues du Bénin du XIXe s. au musée du Quai Branly
Photo Shonagon

Son coup d’éclat brisant le principe sacro-saint de l’inaliénabilité des collections publiques, puis la publication du rapport commandé à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr avaient vigoureusement divisé l’opinion. Ceux considérant qu’une revendication légitime, datant de soixante ans, allait enfin être satisfaite s’opposaient à des musées et des marchands dénonçant notamment un amalgame entre butins de guerre, acquisitions et collectes ethnographiques. Pourquoi aussi rendre ce patrimoine alors que l’Afrique ne dispose pas d’équipements pour le conserver et qu’il aurait disparu si des musées européens ne l’avaient soigneusement gardé ? Pourquoi le retourner alors que ce sont des Occidentaux qui ont conféré le statut d’œuvre d’art à des objets considérés sur place comme des « fétiches » ?

Le colloque international, organisé par le Musée national de l’histoire de l’immigration « Musées partagés » (20-22 octobre) a offert une autre vision sur l’effet de cette annonce. Celle-ci agit comme un catalyseur non seulement en Afrique, mais aussi dans beaucoup de musées français et européens : réexamen des inventaires des œuvres issues de la colonisation, reconsidération de leur présentation, nouvelles coopérations avec l’Afrique… Et lors de la journée « Ce que font les restitutions aux musées », c’est une Allemande, Nanette Snoep, directrice du Rautenstrauch-Joest Museum à Cologne, qui a remercié Emmanuel Macron « d’avoir fait bouger les musées ».

Le rapport « Sarr-Savoy » préconisait une révision du code du patrimoine, mais c’est une loi d’exception qui a été votée en 2020 pour autoriser les retours mentionnés. Une loi-cadre est désormais en préparation. Définir les critères de « restituabilité », établir un cadre juridique général : la rédaction est ardue tant les situations sont particulières.

Signe de coopération, le directeur du Musée national du Mali, Daouda Keita, vient d’étudier pendant deux mois au Quai Branly la collecte de la mission « Dakar-Djibouti » (1931-1933) : « J’ai trouvé d’autres objets. Si je n’étais pas venu, nous serions restés sur la liste du rapport. » Le musée parisien mène avec sept pays africains une « contre-enquête » sur le terrain pour réexaminer les conditions de cette collecte contestée. Une exposition en 2025 en rendra compte. Le champ des expositions, étudiant les connivences entre l’art occidental et africain, souvent circonscrit à Pablo Picasso, s’élargit. Le Louvre et le Quai Branly collaborent pour exposer prochainement ce dialogue entre leurs collections.

L’Afrique n’était pas un désert de musées et le sera encore moins. En 2024, à Benin City, sera achevé l’Edo Museum of West African Art qui montrera notamment les quelque trois cents bronzes rapatriés d’établissements européens et américains. En 2019, Kinshasa a inauguré le musée national de la République démocratique du Congo ; l’année précédente, Dakar celui des civilisations noires. Le directeur de ce musée, Hamady Bocoum, a indiqué travailler avec cinq pays d’Afrique de l’Ouest pour parvenir à une position commune sur les restitutions et affirmé que son établissement n’avait pas été créé seulement pour ces rapatriements. Le colonialisme représente deux siècles sur 6,5 millions d’années, a-t-il souligné, il ne faut pas essentialiser l’Afrique à travers cette période. L’ambiance n’était pas à l’agressivité, des deux côtés.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°598 du 4 novembre 2022, avec le titre suivant : Musées : les restitutions sont un catalyseur

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