Musées : le prix du bien commun

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 25 novembre 2025 - 659 mots

L’année 2025 avait si bien commencé ! Notre-Dame de Paris renaissait sous les caméras du monde entier après l’incendie dévastateur de 2019. 

Des expositions ont connu un succès digne de ceux du cinéma (David Hockney à la Fondation Louis Vuitton avec plus de 920 000 visiteurs). On a assisté à une étonnante conjugaison de vitalité créatrice et de portefeuilles très garnis à Art Basel Paris, qui replace la capitale au centre de l’échiquier du marché de l’art international, dans l’écrin d’un Grand Palais spectaculaire et entièrement rouvert depuis le mois de juin. On a vécu l’ouverture, en octobre, de la nouvelle et ambitieuse Fondation Cartier pour l’art contemporain, qui rejoint la Collection Pinault à la Bourse de commerce et la Fondation Louis Vuitton pour former une constellation unique en son genre de centres d’art privés de niveau mondial, au moment où le Centre Pompidou, autre référence s’il en est, a fermé ses portes pour cinq ans en vue d’une rénovation complète.

Rien ne semble vouloir ternir cette rétrospective 2025… si ce n’est le rocambolesque et inquiétant braquage du Musée du Louvre et la disparition consécutive de bijoux patrimoniaux. Un événement qui a provoqué des débats et des commentaires très largement au-delà du monde de l’art, et fourni un prétexte à des diatribes idéologiques sur le déclassement de la France, comme suscité des interrogations légitimes sur les failles de sécurité des musées.

C’est sans doute cette dernière question qui pose le plus problème. Si l’on vient d’apprendre que le Louvre, sous le feu des critiques, vient de débloquer 80 millions d’euros pour appliquer son nouveau schéma directeur des équipements de sécurité (SDES), qu’en est-il de tous ces musées hexagonaux qui, installés eux aussi dans d’anciens édifices difficiles à protéger, devront faire face, sans les mêmes moyens, à une nouvelle forme de banditisme, davantage intéressé par la valeur marchande des matériaux que par l’intérêt patrimonial des œuvres ? Depuis septembre, l’accumulation de vols est inédite : de précieuses porcelaines de Chine au Musée Adrien-Dubouché à Limoges, des pépites d’or natif au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, des croix huguenotes en or au Musée du désert dans les Cévennes, des objets précieux au Musée Jacques-Chirac en Corrèze, des pièces de monnaie ancienne au Musée de Langres… La liste est aussi vertigineuse qu’inquiétante.

Ces affaires plus ou moins médiatisées viennent justement rappeler, avec fracas, les forces et les faiblesses des musées. Il y a, en France, un patrimoine enviable et de nombreux musées – plus de 1 200 sont labellisés « Musées de France » –, souvent vulnérables. Or, comme le rappelle avec justesse Émilie Girard, directrice des musées de Strasbourg et présidente France du Conseil international des musées (ICOM), dans une tribune du journal Le Monde du 8 novembre, les musées doivent répondre « à une injonction quasi schizophrénique qui découle de leur mission : exposer tout en préservant, montrer au plus grand nombre des œuvres originales tout en garantissant la pérennité des collections publiques. C’est là tout ce qui distingue le musée du coffre-fort : l’accessibilité ». Sans compter que les institutions doivent aussi faire face à d’autres enjeux que sécuritaires (médiations adaptées aux pluralités sociologiques, transition écologique, rénovations, etc.) qui sont aussi nécessaires que délicats dans un contexte de tensions budgétaires.

La question à se poser n’est donc pas tant le nombre de caméras de surveillance, de vitrines blindées ou de forces de police sur les lieux d’exposition que le choix politique global : quelle est l’importance que nous accordons aux musées ? Doit-on enfin admettre que leur rentabilité (immédiate) est une chimère et qu’ils ont, par essence, besoin de moyens publics, puisqu’ils œuvrent pour le bien public, et que leur attractivité nationale ou internationale est une source certaine de retombées économiques (notamment touristiques) mais difficiles à estimer ?

L’émotion récente provoquée par le cambriolage du Louvre, en dehors des récupérations politiques, est déjà une forme de réponse. Reste à la puissance publique de mesurer l’impérieuse et urgente nécessité d’assurer l’avenir serein des institutions muséales.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°791 du 1 décembre 2025, avec le titre suivant : Musées : le prix du bien commun

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