Musée

Des serments d’hypocrites

Par Stéphane Corréard · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2025 - 636 mots

Le monde de l’art aime à s’autoproclamer « accessible », « inclusif » et « éthique » ; « il encourage la diversité et la durabilité », « avec la participation de diverses communautés ».

Tous ces termes structurent la définition du musée adoptée par 92,41 % des membres de l’Icom (International Council of Museums) en 2022, un score sans appel. De fait, l’administration Trump a provoqué un tollé en annonçant le 25 novembre que l’artiste choisi pour représenter les Étas-Unis à la 61e Biennale de Venise, en 2026, s’engageait à « refléter et promouvoir les valeurs américaines », et renonçait à « mettre en œuvre des programmes de promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion ». Finalement sélectionné, le sculpteur Alma Allen a longtemps été représenté par la galerie brésilienne Mendes Wood DM – aux côtés notamment des chantres de la créolisation Julien Creuzet ou Pol Taburet – et pourrait rejoindre Perrotin, où il retrouverait Iván Argote, spécialiste du déboulonnage de statues coloniales. Cela promet d’animer conversations d’après-vernissage… Ou pas.

En effet, le monde de l’art est familier de ces grands écarts. Ainsi, si l’écologie y est un argument commercial et critique de poids, les jets privés n’ont jamais été aussi nombreux à transiter pendant les journées VIP des méga-foires, et le « plastique à bulle » demeure le symbole d’un marché qui n’aime rien tant que s’emballer – tandis que les déménageurs se contentent, dans un esprit plus écoresponsable, de couvertures en laine et de ficelle de chanvre.

Alors que les musées s’engagent bruyamment sous la houlette d’une « haute fonctionnaire à la transition écologique et au développement durable », l’actuelle exposition Jacques-Louis David au Louvre offre le spectacle d’un gâchis d’un autre âge : pourquoi transporter depuis Washington une deuxième version de son Portrait de l’empereur Napoléon Ier dans son cabinet de travail, juxtaposée à celle quasi identique conservée 120 fois plus près, au château de Fontainebleau ? Le public n’en retire pourtant aucun plaisir ni aucune information.

Dans la même exposition, un texte de salle glamourise la souffrance psychique : « Ses échecs le conduisent à une tentative de suicide. Comme le poète Goethe, son contemporain, il appartient à cette génération où une phase dépressive inaugure une carrière qui sera ensuite glorieusement volontaire. » Alors que les autorités sanitaires ne cessent d’alerter sur la dégradation de la santé mentale des jeunes, nous devrions être rassurés ? S’ils en réchappent, nos adolescents ont toutes les chances de devenir des génies, ainsi qu’on le leur prédit.

Par touches se dessine le portrait d’un monde de l’art étanche à ce qui, au dehors, est considéré comme de « bonnes pratiques ». Ainsi chez nous « la révolution #MeToo se fait attendre », pour reprendre le titre d’un article de Libération daté du 14 août 2025. Si un prédateur comme Claude Lévêque a été écarté des cimaises, aucun de ceux, galeristes ou conservateurs, qui pourraient être considérés comme ses complices professionnels n’a été inquiété ; nombre de ses œuvres publiques sont toujours en place, à commencer par son tapis de laine Soleil noir, qui a continué d’orner le bureau d’Emmanuel Macron à l’Élysée bien après l’ouverture de l’enquête criminelle. Et l’apposition dans les toilettes d’Art Basel Paris en octobre dernier d’une affiche dénonçant des « agressions, viols, harcèlements » de la part d’une trentaine d’artistes, galeristes, directeurs d’école… ne semble avoir connu aucune suite, notamment journalistique (à l’exception de Télérama, qui en a fait mention), alors qu’une dénonciation équivalente, dans tout autre milieu, donnerait lieu à des investigations feuilletonnantes.

Le monde de l’art serait-il une zone de non-droit ? Heureusement, le ministère veille ! Il a ainsi publié en grande pompe le 14 novembre une « Charte de déontologie des professionnels des musées de France ». Vibrant appel à l’« intégrité », ce texte aurait toutefois gagné en exemplarité, s’il n’avait été signé par une Rachida Dati elle-même mise en examen pour « corruption et trafic d’influence » et « recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : Des serments d’hypocrites

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