États-Unis - Restitutions

Une association new-yorkaise poursuit le Smithsonian en justice pour empêcher la restitution au Nigéria de bronzes du Bénin

Par Alexandre Clappe · lejournaldesarts.fr

Le 9 décembre 2022 - 672 mots

WASHINGTON / ÉTATS-UNIS

La justice leur a donné tort sans pour autant fermer totalement la porte à d’autres voies judiciaires.

 Plaque et Tête de roi cérémonielle, bronzes du Bénin, collection National Museum of African Art. © Smithsonian Institution
Plaque et Tête de roi cérémonielle, bronzes du Bénin, collection National Museum of African Art.
© Smithsonian Institution

L'organisation new-yorkaise Restitution Study Group (RSG) est à l'origine d'une action en justice contre le Smithsonian Institute de Washington (District of Columbia), visant à empêcher le retour au Nigeria de 29 bronzes béninois qui appartenaient au musée. L’association fait valoir que le retour des bronzes prive les descendants d’esclaves américains de la possibilité de connaître leur héritage.

Le 11 octobre dernier, dans le cadre d’un accord de rapatriement, la propriété de 29 pièces avait été légalement transférée du musée américain à la Commission nigériane des musées et des monuments, tandis que 9 autres resteront en prêt à long terme au sein du National Museum of African Art du Smithsonian. 

RSG a alors intenté un procès pour tenter de bloquer le rapatriement grâce à une ordonnance d'interdiction temporaire. L'association a fait valoir qu'en restituant les bronzes, le musée commettait un abus de confiance pour « ne pas avoir protégé les intérêts des citoyens américains descendants de personnes réduites en esclavage ».

« Nous étudions les bronzes en tant que chercheurs, étudiants et descendants des personnes qui les ont fabriqués. Nous devons y avoir accès pour les étudier », a expliqué la directrice exécutive de RSG, Deadria Farmer-Paellman, à Artnet. Nous subissons un préjudice à la suite de ce transfert ».

La manœuvre de dernière minute de RSG s'est avérée infructueuse. Les bronzes ont été rendus et la demande d'ordonnance restrictive rejetée par le tribunal le 14 octobre : « Même si les plaignants pouvaient établir un lien ancestral avec les bronzes - ce qu'ils n'ont pas fait dans le cadre de ce dossier - un lien aussi tenu ne donnerait pas lieu à un éventuel préjudice […] nécessaire pour agir » explique le tribunal, statuant que « le Smithsonian ne semble pas avoir outrepassé ses pouvoirs statutaires en concluant un accord avec le Nigeria pour transférer certains des bronzes du Bénin ».

Toutefois, l'affaire n'est pas nécessairement close. Le juge a invité RSG à déposer une plainte modifiée et Mme Farmer-Paellman a expliqué qu'elle avait l'intention de le faire. Elle a déclaré qu'elle était heureuse pour le peuple nigérian, mais « déçue que le Smithsonian ait ignoré notre intérêt à avoir accès aux reliques et nie l'origine esclavagiste des bronzes ». Les bronzes du Bénin ont en effet été fabriqués en partie à partir de manilles, des anneaux de laiton et de cuivre utilisés comme monnaie en Afrique de l'Ouest. Ces manilles ont probablement été introduites par les commerçants portugais qui les échangeaient contre des esclaves.

Le Smithsonian a refusé de commenter la plainte de RSG, notant seulement que la propriété légale des bronzes appartient désormais à la Commission nationale des musées et des monuments du Nigeria.

Mme Farmer-Paellman, qui a fondé le RSG en 2000, est elle-même une descendante d'esclaves du royaume du Bénin. Lorsqu'il lui a été demandé si RSG avait l'intention de déposer des plaintes similaires contre d'autres musées américains qui envisageraient de restituer des bronzes béninois, elle a répondu : « Nous espérons que cela ne sera pas nécessaire. Nous voulons que ces institutions reconnaissent que nous méritons d'être pris en compte dans la prise de décision concernant l’avenir de ces bronzes. Nous voulons que le Nigeria et les héritiers du Royaume du Bénin […] partagent les bronzes du Bénin avec nous puisque nos ancêtres ont contribué à leur fabrication ».

Les « bronzes du Bénin » sont depuis longtemps au centre des débats sur la restitution des œuvres pillées sur le continent africain. Ce groupe d’un millier d’objets datant du 16e au 19e siècle a été emporté par les Britanniques lorsque ceux-ci ont envahis le royaume du Bénin en 1897, et notamment sa capitale Edo (maintenant Benin City) située dans l’actuel territoire du Nigéria. Ces objets comprennent des figurines, des défenses, des sculptures des souverains béninois et un masque en ivoire. La plupart se trouvent désormais dans des musées européens ou nord-américains.

Un certain nombre ont récemment été restitués au Nigeria, tels ceux qui appartenaient auparavant au Horniman Museum and Gardens de Londres ou à la ville de Glasgow en Écosse. 

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