Résidences d’artistes

Éditorial

La résidence d’artistes comme passage obligé

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2023 - 582 mots

Alors qu’autrefois la résidence d’artistes était vécue comme une exception, une chance inespérée, elle s’inscrit dorénavant comme un réflexe habituel, un passage obligé pour les jeunes artistes et les diplômés des écoles d’art.

Intérieur de la Villa Albertine de San Francisco. © Leslie Williams
Intérieur de la Villa Albertine de San Francisco.
© Leslie Williams

Cette évolution s’explique par la multiplication de l’offre, tant publique que privée, mais également par l’élargissement des programmes proposés. Nous ne sommes plus à l’époque où seules trois institutions prestigieuses – et qui conservent leur notoriété –, la villa Médicis, la casa de Velázquez, puis la villa Kujoyama donnaient le la et définissaient la notion de résidence. Pour les opérateurs publics, en l’occurrence le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la villa Albertine, créée en 2021, a rebattu les cartes. Du côté privé, les initiatives se sont multipliées, chacune avec une proposition spécifique portée par une association, ou une fondation, un fonds de dotation ou une entreprise… Sans oublier, dans cette liste, les projets soutenus par des collectivités locales. Tant et si bien que le vocable « résidence d’artistes » ne définit plus un modèle mais est devenu un fourre-tout qui englobe des démarches et des pratiques hétérogènes.

Combien sont-elles aujourd’hui ? En mai 2019, le ministère de la Culture se fendait d’un rapport, 2 tomes, 475 pages. Mais il battait en retraite : « Les données quantitatives sont quasi inexistantes et peu fiables. Elles ne permettent pas d’analyse comparative. » Il formulait 20 préconisations, dont la mise en place « d’une plateforme numérique dynamique et collaborative qui rassemble l’ensemble des appels à projet et l’actualité des résidences ». Face à l’effervescence, celle-ci pourrait être en effet un outil bien utile pour les candidates et candidats. Mais quatre ans plus tard, cette préconisation reste un vœu pieux.

Autrefois, la résidence était perçue comme un lieu de concentration pour l’artiste, de retrait pour un temps long, hors de son milieu habituel et des pressions. C’est le modèle Médicis. La villa accueille 16 heureux pensionnaires pour un an, rémunérés et sans obligation de livrer un travail au terme de leur séjour. La villa Albertine, elle, met, l’accent sur l’immersion et la professionnalisation. Même si son nom évoque un personnage proustien, elle ne favorise pas le repli sur soi mais la rencontre avec des communautés américaines. Une cinquantaine de lauréats sont choisis chaque année. Ils ne vont pas résider ensemble sur un campus mais être dispersés à travers une dizaine de villes, de New York à Los Angeles, de Chicago à Houston, La Nouvelle-Orléans, Miami... Trois mois pour le lauréat afin de nourrir ou faire aboutir son projet dans la ville de son choix, en contact avec des professionnels américains. C’était un reproche adressé aux résidences historiques : ne pas se préoccuper assez de la carrière post-résidence des artistes, même si elles avaient développé des initiatives, comme des journées portes ouvertes.

L’Académie de France à Rome accueille désormais une trentaine de résidents pour de courtes périodes. La brièveté du séjour est le lot général des résidences gérées par des opérateurs privés, ceux-ci ne disposant pas des moyens dévolus aux publics. Parfois, cette résidence s’accompagne de l’obligation de laisser une ou deux œuvres, ou de répondre à un appel d’offres très précis, une sorte de commande déguisée. L’association Arts en résidence a rédigé une charte déontologique. La Fédération des professionnels de l’art contemporain (Cipac) a mis en ligne un modèle de contrat pouvant préciser les moyens mis à disposition de l’artiste (locaux, rémunération, achat de matériel…) ainsi que ses obligations. Il importe aux postulants de se renseigner : dans cette floraison coexistent le meilleur et l’acte très intéressé.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : La résidence d’artistes comme passage obligé

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