Société

Carré noir, force ou faiblesse des images

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 28 juin 2020 - 671 mots

George Floyd n’est pas la première victime de violences policières aux États-Unis. Mais sa mort y a provoqué des manifestations et des réactions dans le monde d’une telle ampleur que celles-ci renvoient aussi à la force des images, mais surtout à l’accélération et l’élargissement de leur diffusion par l’utilisation généralisée des smartphones et des réseaux sociaux.

Dana-Schutz, Open Casket, 2016, huile sur toile, collection de l'artiste, courtesy Petzel gallery, New York
Dana Schutz, Open Casket, 2016, huile sur toile, collection de l'artiste.
© Dana Schutz
Courtesy Petzel gallery, New York

Le 25 mai, en allant banalement faire son shopping, une jeune Américaine de Minneapolis filme avec son portable l’arrestation de cet Afro-Américain par la police et poste ensuite la vidéo. Le monde entier découvre un policier blanc écrasant son genou pendant plus de huit minutes sur le cou d’un homme à terre. Il entend la victime implorer :« Je ne peux pas respirer. » L’officier toise fièrement la caméra, comme s’il pouvait lui lancer impunément : vous me filmez mais j’ai le pouvoir et le droit de commettre ce que je fais. L’impact des images et de la brutalité est tel que l’indignation dépasse les communautés noires pour gagner les communautés blanches, la jeunesse, des Américains aussi plutôt conservateurs et des citoyens d’autres pays, comme en France, qui trouvent résonance à ces images. Celles-ci n’ont pas empêché la mort de George Floyd, mais elles ont permis – et c’est important – l’inculpation du policier d’abord pour homicide involontaire, puis pour meurtre non prémédité. Elles donnent raison aux militants du mouvement Black Lives Matter qui encouragent la réalisation de telles vidéos pour documenter et dénoncer ces violences, aboutir à des condamnations et atteindre l’objectif de « Campaign zero », plus aucune victime. Mille personnes sont tombées l’an passé sous les coups de la police aux États-Unis. Sans images, ou sans la circulation de leurs images, la plupart de ces morts sont restés anonymes.

L’affaire Emmett Till ou l’histoire d’un massacre

À l’inverse, une image a joué un rôle historique dans l’essor du mouvement pour les droits civiques, celle du visage tuméfié, massacré d’Emmett Till. Victime d’une fausse accusation, l’adolescent noir avait été tué dans le Mississippi en 1955. Ses meurtriers, deux Blancs, ont été acquittés par un jury de douze hommes, tous blancs également. Lors de ses obsèques, sa mère avait exigé que le cercueil reste ouvert afin que chacun puisse constater la barbarie. Avec des photographies, des journaux avaient relayé l’horreur, provoquant une prise de conscience grandissante. Sans portables, sans réseaux sociaux, seule leur expressivité les a fait circuler, à une moindre échelle certes.

Soixante-cinq ans plus tard, des artistes ont été légion à s’emparer de nouvelles icônes, une mixité où se côtoient ceux qui ont agi sincèrement et des opportunistes abusant de l’actualité, ceux inspirés pour réaliser une véritable création et d’autres spéculant sur les tendances… Dans ce consensus, des musées ont suivi. Le directeur du Museum of Modern Art à New York, Glenn Lowry s’est fendu d’un message à « la communauté du MoMA » pour exprimer sa solidarité avec les communautés noires, texte politiquement correct mais qui a au moins le mérite d’exister. Et le musée a offert pendant six jours la consultation gratuite de l’ensorcelante vidéo d’Arthur Jafa, akingdoncomethas (100 min., 2018), montrant la mise en scène d’images au service de l’aliénation opérée par des communautés religieuses noires.

Des carrés noirs, à la longue agaçants

Des Black Square ont aussi envahi Instagram, devenant une déferlante pendant plusieurs jours parmi les artistes et leurs suiveurs. Ces carrés noirs à répétition ont fini par en agacer beaucoup et heurter des militants plus radicaux qui les ont dénoncés comme de plats symboles du deuil, servant à donner bonne conscience, surtout aux Blancs, n’incitant pas à la lutte de tous les jours comme peut le faire Black Lives Matter. Espérons que ces divergences ne débordent pas de ces carrés noirs et qu’elles ne ravivent pas une lutte, elle, sectaire contre « l’appropriation culturelle ». En 2017, lors de la Whitney Biennial, des militants et des artistes afro-américains avaient exigé le décrochage et la destruction du tableau Open Casket de Dana Schutz. L’artiste, blanche, était accusée d’avoir osé s’inspirer des photographies montrant le cadavre d’Emmett Till. En trois ans, les esprits ont peut-être évolué.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°548 du 19 juin 2020, avec le titre suivant : Carré noir, force ou faiblesse des images

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