États-Unis - Galerie

ART CONTEMPORAIN

Le tour des galeries de New York - février 2022

Par Barthélemy Glama, correspondant à New York · Le Journal des Arts

Le 16 février 2022 - 940 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Le souvenir de la prise du Capitole le 6 janvier 2021 et les différentes crises qui fracturent la société américaine imprègnent plusieurs expositions en ce début d’année.

New York. Voilà un an qu’une foule bigarrée et survoltée de partisans trumpistes a mis à sac le temple de la démocratie américaine. L’insurrection du 6 janvier 2021 a marqué les mémoires et, depuis quelques mois déjà, fait irruption dans les foires et les galeries. Chez Greene Naftali (Chelsea), l’activiste et artiste Paul Chan expose un grand dessin à double face représentant l’événement. Peint à l’encre noire sur fond blanc, il montre d’un côté l’ancien président Donald Trump souffler sur les braises de la colère, entraînant ses soutiens vers le Capitole ; et de l’autre, l’intérieur de la Chambre occupée par les émeutiers. Suspendu en travers de la galerie, il donne à l’espace des allures de mémorial.

Le 6 janvier figure aussi en bonne place dans l’exposition « Doomscrolling », organisée par Petzel (Upper East Side) et réunissant un ensemble de gravures sur bois de Zorawar Sidhu et Rob Swainston. Le titre est un néologisme désignant l’attitude compulsive qui consiste à faire défiler les mauvaises nouvelles sur son téléphone. Les images, qui empruntent au collage, figurent dix-huit épisodes racontant l’histoire d’une Amérique meurtrie par les chocs, du début de la pandémie jusqu’à l’insurrection du Capitole. Gravées sur des planches de contreplaqué qui protégeaient les commerces de Manhattan durant les révoltes ayant suivi la mort de George Floyd en juin 2020, elles portent la trace d’événements que les artistes ne veulent pas voir « relégués dans le passé et oubliés ».

Du côté de Chelsea

Les échos de ces événements sont également palpables dans l’exposition que David Zwirner (Chelsea) consacre à The Black Book, ouvrage anthologique publié par Toni Morrison en 1974. Assortiment éclectique de documents visuels et textuels réunis avec le collectionneur Middleton A. Harris, ce livre à part dans l’œuvre de l’écrivaine évoque différents aspects de l’histoire des Noirs aux États-Unis. À travers l’exposition qui regroupe des œuvres de Garrett Bradley, James Van Der Zee, Martin Puryear, Beverly Buchanan et d’autres, on comprend l’influence majeure que The Black Book a eue sur ces artistes et la société américaine dans son ensemble. On y découvre aussi des œuvres de Julie Mehretu, Kerry James Marshall et Amy Sillman créées spécialement pour l’occasion.

Chez Gladstone (Chelsea), Rachel Rose montre pour la première fois aux États-Unis son installation vidéo immersive Enclosure (2019), commandée par le Park Avenue Armory et la Fondation Luma. Au centre de la pièce, sur un écran holographique conçu tout exprès, un court métrage raconte les bouleversements qui ont secoué l’Angleterre agraire du XVIIe siècle lors de son passage du monde féodal au capitalisme. Des sculptures et des peintures de l’artiste, inspirées par l’univers du film, complètent la présentation, qui compte aussi sept paysages de Thomas Gainsborough, John Constable, Joseph Wright of Derby et Samuel Palmer, prêtés spécialement par le Yale Center for British Art. Les connexions qui en résultent, parfois inattendues, posent la question très actuelle de notre rapport à la nature et un futur incertain.

Lelong & Co (Chelsea) montre dans une exceptionnelle présentation la série des natures mortes monochromatiques que l’artiste américano-libanaise Etel Adnan a achevée quelques mois avant sa mort, le 14 novembre dernier, a 96 ans. Les œuvres sont simples et austères mais l’ensemble frappe par sa force et sa cohérence. Gagosian (Chelsea) fait venir à New York l’exposition « Forgiving and Forgetting » de Damien Hirst qui s’est achevée dans sa galerie romaine en octobre dernier : elle rassemble des images pointillistes de la série des « Reverence Paintings » et des sculptures de personnages Disney en marbre de Carrare, recouverts d’algues et de coquillages, appartenant aux « Treasures from the Wreck of the Unvelievable ». Ces reliques de fiction, que l’artiste imagine provenir d’une épave de navire ayant sombré au large de l’Afrique de l’Est, jouent avec notre rapport aux idoles antiques comme aux icônes contemporaines.

Du côté de Tribeca

Vibrant quartier du sud de Manhattan, Tribeca a été récemment célébré par le New York Times comme « l’endroit le plus enthousiasmant pour l’art contemporain ». Les galeries y sont désormais nombreuses et la scène artistique qu’elles représentent rivalise avec celle de Chelsea, qui demeure l’épicentre new-yorkais du marché de l’art. Sur deux étages du bâtiment historique qu’elle occupe sur Walker Street, l’artère principale du quartier, Bortolami (Tribeca) organise une grande rétrospective de l’œuvre de Mary Obering, des années 1970 au début des années 2000. On y voit comment l’artiste, au fil de sa carrière, a fait varier son approche de l’abstraction géométrique selon les époques et les médiums, jusqu’aux compositions colorées et l’emploi de la feuille d’or qui ont fait sa renommée.

Autre grande figure américaine de l’abstraction et, dans les années 1980, de la peinture radicale, Howard Smith présente chez Jane Lombard (Tribeca), un ensemble de peintures inédites. Une série de « Beginnings » (2002-2021) et une autre de « Universes » (1991-2021), ces tout petits formats abstraits que l’artiste épingle en canevas les uns près des autres occupent deux pans de murs entiers et forment deux collections remarquables faisant varier les formes, les lignes et les couleurs.

Bienvenu Steinberg & Partner (Tribeca) présente une exposition soignée d’intéressantes gravures polychromes récemment éditées par Eminence Grise Editions. Derrick Adams, Ouattara Watts et Fred Wilson dialoguent avec « La Dame de pique » de Pouchkine, sur la commande de l’éditeur, quand les grands formats de Sara Jimenez réemploient de vieilles photographies coloniales américaines issues d’ouvrages historiques sur les Philippines pour les déformer. Un triptyque de Daniella Dooling montre quant à lui trois masques chirurgicaux bleus, emblème des angoisses de notre époque, chiffonnés et abandonnés par leurs propriétaires après utilisation. L’actualité n’est jamais bien loin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : Le tour des galeries de New York

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