Art contemporain

Exclusif : Neïl Beloufa s’explique sur le retrait d’une image polémique de son exposition au Palais de Tokyo

Par Cédric Aurelle · lejournaldesarts.fr

Le 20 février 2018 - 670 mots

PARIS

Après l’ouverture de son exposition « L’Ennemi de mon Ennemi » le 16 février, le plasticien a retiré une image montrant l’artiste afro-américain Parker Bright, à la demande de ce dernier. En 2017, il avait protesté contre la présentation d’une œuvre de l’artiste Dana Schutz, accusée de capitaliser sur le traumatisme de l’expérience noire.

Neïl Beloufa
Neïl Beloufa
Photo Thomas Polly

Lors du vernissage de l’exposition de Neïl Beloufa au Palais de Tokyo, cette image de l’artiste Parker Bright de dos vêtu d’un t-shirt gris portant la mention « Black Death Spectacle », attirait le regard des premiers visiteurs. Visible sur un large miroir, évoquant une œuvre de Pistoletto et reflétant une reproduction de la peinture de Dana Schutz « Open Casket », installée en face, elle fut ensuite retirée. Elle n’était plus visible le lendemain du vernissage. 

Reconnaissable pour avoir fait le tour des médias et réseaux sociaux, cette image a accompagné la controverse liée à la présentation en 2017 de cette œuvre de la peintre américaine à la Biennale du Whitney Museum of American Art, à New York. La toile représente le corps mutilé de Emmett Till, jeune homme noir de 14 ans assassiné en 1955 après avoir été faussement accusé d’avoir flirté avec une femme blanche. Des voix s’étaient alors élevées pour dénoncer une appropriation et une instrumentalisation de la souffrance des Afro-américains par une artiste blanche. Au nom de la liberté de création, certains avaient, au contraire, dénoncé une forme de censure.

Selon Artnews, Parker Bright, qui n’a pas été consulté pour l’utilisation de cette image, en a demandé le retrait aux organisateurs de l’exposition parisienne. Il a par ailleurs lancé une campagne de levée de fond en vue de financer un voyage à Paris et en explique les raisons sur le site de crowdfunding Gofundme : « Je veux mettre en scène une autre manifestation à l’intérieur du Palais de Tokyo […] parce que je considère que Beloufa s’approprie mon récit sans mon consentement. C’est une forme de diffamation à mon encontre en tant qu’artiste et activiste. » 

Neïl Beloufa, joint hier par téléphone par le JDA, s’explique sur son geste: 

S’agit-il d’un geste d’autocensure ?
Au contraire, c’est le sujet de l’exposition. Le dispositif de reproductions, de documents, et d’histoires que nous présentons n’est pas une œuvre. Il s’approprie tout comme le fait notre monde globalisé, notre presse et internet. C’était la règle que nous nous étions fixée d’enlever toute image, toute reproduction de l’exposition si l’on nous le demandait. Nous cherchons une autre mécanique que le conflit et nous avons immédiatement retiré l’image en question quand Parker Bright nous l’a demandé.

Pourquoi avoir choisi cette image ?
L’exposition comporte un nombre très important d’éléments de nature similaire qui reflètent des situations complexes mêlant discours, idéologie et jeux de pouvoir. C’est une image parmi 200 autres. Nous avons décidé d’inclure le musée d’art contemporain comme lieu de légitimation de l’autorité. Cette histoire a dominé nos médias récemment. Ne pas en parler nous paraissait l’occulter alors que nous avons décidé de ne pas éviter des sujets et des anecdotes qui sont parfois bien plus importantes. D’autre part, l’exposition a une dimension autocritique, elle admet ne pas être capable de résoudre des situations. 

Vous attendiez-vous à avoir des réactions du public ?
Le dispositif de documents est pensé pour parler principalement avec un public « non averti » qui ne connaît pas spécialement l’art contemporain. Celui-ci ne connaît pas ce cas particulier et l’aurait découvert. D’autre part, nous avons essayé d’avoir des images qui investissent toutes les communautés, donc celle de l’art aussi. 

En l’occurrence, Parker Bright a réagi au nom de la communauté noire américaine en s’inscrivant dans la mouvance des « identity politics ».
Ce qui nous intéresse, c’est l’ambiguïté avec laquelle les idéologies s’articulent dans des discours mêlant formes, images et réalités sans les séparer. Par ailleurs, l’exposition essaye de contrebalancer les systèmes de représentations des réseaux sociaux. Ces derniers amplifient les juxtapositions de discours binaires, vidant parfois de sens tout contenu et empêchant ainsi de penser le monde dans sa complexité.

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