États-Unis - Musée

A Washington, un musée met l'histoire des Noirs à l'honneur

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 22 septembre 2016 - 1377 mots

WASHINGTON / ÉTATS-UNIS

WASHINGTON (ETATS-UNIS) [22.09.16] - Que signifie être Noir aux Etats-Unis ? En dépoussiérant le passé sombre de l'Amérique, c'est en substance à cette question identitaire, politique et sociétale qu'ambitionne de répondre le nouveau musée de l'histoire afro-américaine, que va inaugurer samedi le président Barack Obama.

La réflexion qu'entend susciter le Musée national de l'histoire et de la culture afro-américaine (NMAAHC) revêt une importance cruciale à quelques semaines de l'élection présidentielle, dans un pays secoué à intervalles réguliers par les tensions raciales.

Le premier président noir des Etats-Unis doit prononcer un discours avant d'inaugurer l'imposant bloc moderne paré de bronze sur le National Mall, grande artère au centre de Washington.

L'édifice, un projet centenaire, se divise en deux parties: la première souterraine, consacrée à l'histoire et l'émancipation des Noirs, la seconde, aux étages supérieurs, à la culture et à la société.

Casque noir et gants rouges aux cuirs craquelés de Mohamed Ali, veste noire brillante de Michael Jackson, voiture verte d'un train qui opérait sous la ségrégation... Les objets hautement symboliques sont nombreux parmi les milliers qui ornent le musée.

Mais "comment raconter l'indicible", demande Nancy Bercaw, commissaire de l'exposition "esclavage et liberté", située au niveau le plus bas. En "créant des espaces" et une "tension" entre les objets juxtaposés, reprend-elle, comme ce violon et ces chaînes, pour montrer que "la vie ne se résume pas à travailler ou être esclave".

L'histoire de l'esclavage, qui a pris fin officiellement en 1865 sur les braises de la guerre de Sécession, est "la racine de là où nous en sommes aujourd'hui", explique Nancy Bercaw, devant une cabane d'esclaves acheminée depuis une ancienne plantation en Caroline du Sud.

"Si vous marchez dans la rue, le fait que vous puissiez être arrêté simplement en raison de votre apparence (...) est une pratique qui a 200 ans en Amérique", relève-t-elle en allusion aux brutalités policières actuelles.

"Certaines de ces habitudes se poursuivent dans notre culture parce qu'elles étaient légalement fondées au commencement de cette nation".

Le poids du passé
L'exposition sur la ségrégation raciale, où des portraits de Malcolm X ou Rosa Parks - qui refusa de céder sa place à un passager blanc dans un bus de l'Alabama en 1955 - côtoient une cagoule blanche du Ku Klux Klan ou de terribles photos de Noirs pendus les mains liées, entend également "raconter toute l'histoire" avec ses "hauts et ses bas", note Spencer Crew, commissaire.

Celle sur la lutte des Noirs pour leurs droits civiques, qui évoque le combat du pasteur baptiste Martin Luther King, l'émergence du "Black Power" ou encore les "Black Panthers", offre aux visiteurs un trait d'union avec l'actualité.

Le mouvement Black Lives Matter, qui dénonce les brutalités policières, y est par exemple représenté et un écran tactile permet de se documenter sur les récentes fusillades qui ont visé des Noirs.

L'exposition témoigne de la diversité de l'activisme durant cette période.

Comme ce Noir de 18 ans qui évoque au dos d'une photo sa vie de soldat au Vietnam. En face, un portrait de Mohamed Ali, qui avait refusé de servir dans l'armée. "Cela fait un contrepoint et suggère qu'il n'y a pas une seule façon d'être Noir dans ce pays", résume William Pretzer, un autre commissaire.

Le musée "répond à un besoin urgent d'expliquer les trajectoires complexes, les accomplissements et la persévérance presque impossible que les Noirs incarnent", pour faire évoluer le récit que fait l'Amérique de sa propre histoire, estime Thomas DeFrantz, responsable des études afro-américaines à l'université Duke.

Surtout, juge-t-il, cela pourrait contribuer à faire baisser la température après des années de tensions raciales exacerbées par l'enchaînement des bavures policières.

Même s'il ne sera pas un remède miracle à plusieurs siècles de racisme et de discriminations. "Il ne pourra rien", déplore Thomas DeFrantz, "pour cette policière blanche qui a abattu un homme noir non armé à Tulsa (vendredi), tant qu'elle ne comprendra pas la source de sa peur et de son reniement abject de l'Homme noir".

Que pèsent alors les statues de Michael Jordan ou la trompette de Louis Armstrong, parmi les symboles affichés de la contribution des Noirs dans l'histoire américaine, face au poids du passé ?

Le musée montre "que les Noirs étaient là depuis le début" et que les générations actuelles se sont construites sur cet "équilibre entre oppression et combat contre l'oppression", analyse Paul Gardullo, responsable d'une exposition culturelle.

"L'identité afro-américaine est complexe. Elle est différente selon la région où vous vivez et à travers le temps. Il n'y a pas une seule identité" noire aux Etats-Unis, résume-t-il. "Mais l'histoire des afro-américains est centrale dans l'histoire américaine".
 

Par Shahzad ABDUL

 

Le musée de l'histoire afro-américaine de Washington : un siècle d'atermoiements


Un siècle après la naissance du projet en pleine ségrégation raciale et quelques mois avant que le premier président noir des Etats-Unis ne quitte la Maison Blanche, le Musée de l'histoire afro-américaine de Washington s'apprête à accueillir samedi ses premiers visiteurs.
Présentation en dates et en chiffres.

1915 : un projet vieux de 101 ans
L'idée d'ouvrir dans la capitale fédérale américaine un musée qui soit consacré à l'histoire des Afro-américains remonte à "il y a plus de 100 ans", explique la Smithsonian, institution privée qui gère la plupart des musées de la ville, dont le dernier venu.
D'anciens combattants noirs américains, excédés par la discrimination, créent en 1915 une "commission des citoyens de couleur" ayant pour but de créer un monument qui célèbrerait leur contribution dans l'histoire américaine.
"Ce jour heureux est issu d'un siècle d'efforts saccadés et contrariés pour commémorer l'histoire afro-américaine", a résumé Lonnie Bunch, directeur du musée, lors d'une présentation à la presse.

2003 : George W. Bush signe le projet
Après des années marquées par les faux départs et des batailles politiciennes, un projet de loi du député noir de Georgie John Lewis finit par passer au Congrès, ouvrant la voie à une concrétisation du projet. Ce dernier est officiellement ratifié par le président conservateur George W. Bush en 2003.
"Ouvrir le musée a demandé les efforts de présidents et de membres du Congrès", rappelle le Smithsonian, qui a attribué en 2006 le terrain sur le National Mall, grande artère au centre de Washington.

2012 : première pierre à l'édifice
L'édifice de 37.000 m2 reçoit sa première pierre en février 2012. En novembre 2013, les deux premiers objets, parmi les plus impressionnants, sont installés dans le bâtiment, dont l'ossature prend forme. Il s'agit du wagon d'un train de 1920, en circulation sous l'ère ségrégationniste et d'une tour de prison de Louisiane.
En octobre 2014, le dernier morceau qui compose la structure est posé et trois mois plus tard la superstructure, des panneaux d'aluminium plaqués de bronze, est terminée.

2015 : annonce de l'ouverture
La date d'ouverture est annoncée le 2 février 2015. Les vitres ne sont alors pas encore posées, pas plus que les 3.600 panneaux qui constituent le lourd habillage extérieur (230 tonnes).

24 septembre 2016 : l'inauguration
Le musée sera inauguré samedi après une cérémonie officielle lors de laquelle le président Barack Obama, qui quittera ses fonctions en janvier, doit prononcer le discours d'ouverture.
L'ancien président George W. Bush sera également présent.
"Maintenant, enfin, le Musée national de l'histoire et de la culture afro-américaine est ouvert à tous les Américains et au monde, pour mieux comprendre le parcours des Noirs américains et comment ils ont façonné l'Amérique", a anticipé le directeur du musée la semaine dernière devant la presse.
L'inauguration, a-t-il ajouté, "honore le rêve de plusieurs générations et de milliers de personnes qui ont travaillé si dur et tant sacrifié pour que ce rêve devienne réalité".

Un demi milliard de dollars
Le musée a coûté 540 millions de dollars (480 millions d'euros). La moitié des fonds, soit 270 millions, sont financés par le budget fédéral américain, tandis que l'autre l'est par le Smithsonian par le biais de donations privées.

34.000 objets à exposer
Le musée possède plus de 34.000 objets, dont près de la moitié lui ont été donnés, qu'il va exposer alternativement sur ses sept niveaux et douze expositions.
Seuls quelque 10% de ces objets seront exposés en permanence.
Le musée a construit "une collection destinée à illustrer les principales périodes de l'histoire afro-américaine", précise le Smithsonian, de l'esclavage à la période contemporaine, en passant par la conquête des droits civiques.

Site internet du NMAAHC

Légende Photo :
Le Smithsonian National Museum of African American History and Culture (NMAAHC) © Photo Fuzheado - 2016 - Licence CC BY-SA 4.0

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