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Série Les présidents et les arts (3/7)

Valéry Giscard d’Estaing, retour aux musées et au patrimoine

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 21 novembre 2016 - 1694 mots

PARIS

Après Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing aiguille la politique culturelle davantage vers le patrimoine. Les musées nationaux bénéficient de cette politique, notamment le Louvre et les musées d’Orsay et Picasso créés à cette période. Même si l’avenir du Centre Pompidou a été un temps mis en suspens par le président.

De tous les présidents de la Ve république, Valéry Giscard d’Estaing est celui qui a le moins imprimé sa marque personnelle sur la politique culturelle. Sensiblement plus jeune que les autres, il est assez représentatif des nouvelles générations pour qui la culture classique, celle des humanités, n’est plus la référence absolue en termes de formation et de vie de l’esprit. Polytechnicien et énarque, d’une intelligence dont personne n’a mis en doute l’ampleur et l’acuité, il a affiché son goût pour le XVIIIe siècle, pour l’opéra et pour Maupassant, un peu comme on le fait en mentionnant, à la fin des notices biographiques, la pratique du golf ou de la voile », juge en 1995 Jacques Rigaud dans L’Exception culturelle, Culture et pouvoirs sous la Ve République (Grasset). Celui-ci poursuit : « La culture et les arts sont désormais gouvernés davantage par leur portée symbolique que par un véritable projet politique. » En quelques lignes, l’ancien directeur de cabinet du ministre de la Culture sous Georges Pompidou résume un sentiment que nombre d’acteurs culturels de l’époque partagent sur l’ancien ministre de l’Économie et des Finances porté par les urnes à la présidence de la République, le 27 mai 1974.

Rompre avec les années Pompidou

Tout oppose, il est vrai, Valéry Giscard d’Estaing et Georges Pompidou. À l’homme de lettres, grand amateur de poésie, de littérature, de musique et d’art contemporain succède un brillant polytechnicien, inspecteur des finances de 48 ans, investi dans la construction d’une « société libérale avancée » fondée sur le soutien à la montée en puissance du privé, du marché et des collectivités territoriales, y compris en matière de politique culturelle et artistique. La place, le rôle et les enjeux de la culture dans la gouvernance d’un pays ne rentrent guère dans ces questionnements à la différence de son prédécesseur. En témoigne Démocratie française, livre programme de sa politique édité en 1976.
Au bilan de son septennat, les réformes sociales sont de loin celles qui ont marqué une mandature impactée par les deux premiers chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et une flambée du chômage. Abaissement de la majorité à 18 ans, légalisation de l’avortement, réforme de la loi sur le divorce, assouplissement de la mainmise de l’État sur les médias et instauration du collège unique dans l’éducation nationale comptent à son actif. Sur le plan culturel et des arts, ses premières décisions donnent le ton. La rétrogradation du ministère des Affaires culturelles au rang de secrétariat d’État à la Culture est le premier marqueur de la rupture avec son prédécesseur. Quant à la durée de vie de ses responsables, déjà écornée durant l’ère pompidolienne, elle continue à être écourtée tandis que le profil et le champ de compétences des protagonistes varient au rythme des remaniements ministériels.

Au secrétaire d’État à la Culture Michel Guy (1974-1976), ami proche de Georges Pompidou et directeur du Festival d’automne, succède ainsi la journaliste Françoise Giroud (1976-1977), première femme portée à cette fonction, qui sera elle-même remplacée sept mois plus tard par Michel d’Ornano (1977-1978) au portefeuille élevé au rang de ministère de la Culture et de l’Environnement.

À l’Élysée, Valéry Giscard d’Estaing a fait vider les appartements privés de leurs décors et mobiliers de Pierre Paulin. Seuls sont conservés, dans la salle à manger, le « bar-autruches » et le plafond lumineux. La modernité pompidolienne n’est pas du goût du nouvel hôte du Château qui ne s’en cache pas en affirmant ses préférences pour le XVIIIe, le mobilier Louis XIV ou Louis XV et « pour la sculpture antique et les grandes traditions de la peinture figurative, des primitifs italiens à l’impressionnisme et au symbolisme », déclare-t-il quand on l’interroge. Le fort de Brégançon n’échappe pas à ce retour du classicisme.

La mise au rebut de l’avenir du Centre Beaubourg, que Valéry Giscard d’Estaing envisage trois mois à peine après le début de son mandat, s’inscrit dans cette veine. Sans l’opposition ferme de Jacques Chirac, alors Premier ministre, le projet de Georges Pompidou n’aurait certainement pas vu le jour. Alain Pompidou, le fils de Claude et Georges Pompidou, le raconte dans son livre Claude, c’était ma mère (Flammarion). « Heureusement qu’elle a pu compter sur la détermination de Jacques Chirac. Par fidélité à la mémoire du président, il a été jusqu’à mettre en balance sa démission, en août 1974, obtenant la tenue d’un conseil restreint à l’Élysée présidé par Valéry Giscard d’Estaing pour décider de la poursuite ou non des travaux. Après avoir obtenu satisfaction, Jacques Chirac veillera à l’inscription des crédits nécessaires à l’achèvement du bâtiment », précise-t-il. Le 31 janvier 1977, le Centre Georges Pompidou est inauguré par Valéry Giscard d’Estaing accompagné de Raymond Barre (Premier ministre), Françoise Giroud (secrétaire d’État en charge de la Culture), Jacques et Bernadette Chirac et Claude Pompidou entourée de ses proches. Son succès auprès du public dépasse les pronostics.

La création du Musée d’Orsay

À défaut d’être incarnée par un président de la République ou un ministre de la Culture de renom, la politique culturelle n’en est pas pour autant mise en berne, en dépit d’un budget de la culture toujours aussi restreint. La part de ce dernier dans le budget général de l’État passe de 0,61 % en 1974 à 0,56 % les trois années suivantes, pour fléchir à 0,52 % en 1979 puis à 0,47 % en 1981, et donc revenir à son taux de 1972. Les grands axes de la politique culturelle giscardienne sont de fait essentiellement patrimoniaux. Dans le prolongement de ses prédécesseurs rue de Valois, Michel Guy les définit avant que ses successeurs ne les renforcent.

La sauvegarde du patrimoine, notamment urbain, fait l’objet d’une variété de mesures de classement et d’inscription à l’inventaire des monuments historiques. Elles s’inscrivent dans le prolongement de celles prises sous la mandature précédente où l’on avait commencé à raser à tour de bras. Au classement de la gare d’Orsay et du « buffet » de la gare de Lyon au temps de Georges Pompidou vient s’ajouter celui de nouvelles gares, hôtels de ville, palais de justice, halles et usines. La Cité des sciences et de l’industrie naît d’ailleurs du sauvetage, en 1979, des abattoirs de la Villette et de la reconversion par l’architecte Adrien Fainsilber du parc de cinquante-cinq hectares de friches et de bâtiments. Le Musée d’Orsay lui-même s’est construit à partir du sauvetage de la gare d’Orsay, inscrite à l’inventaire le 8 mars 1973 par Jacques Duhamel, alors ministre des Affaires culturelles de Georges Pompidou. La décision du conseil interministériel du 20 octobre 1977 de construire le Musée d’Orsay donne le feu vert à la construction et l’élaboration de ce musée consacré à l’art du XIXe siècle.

La renaissance des musées en dehors de Paris

Entre-temps préparée sous Michel d’Ornano, la loi-programme sur les musées est votée le 11 juillet 1978 sous Jean-Philippe Lecat. Elle affecte au futur Musée d’Orsay 363 millions de francs (189,91 millions d’euros en valeur 2015), tandis que l’équipe lauréate du concours réunissant les architectes Renaud Bardon, Pierre Colboc et Jean-Paul Philippon remettent leur avant-projet détaillé du musée en juillet 1980. Après les deux lois-programmes consacrées au patrimoine bâti en 1962 et 1968, cette loi-programme des musées sur cinq ans (1978-1982) est une première. Elle jouera un rôle capital dans la régénération des musées nationaux en matière de restauration, de réaménagement et de construction. « À la mission traditionnelle de conservation du patrimoine artistique, archéologique de la France, elle adosse celle d’une présentation rationnelle des collections publiques et de la mise en place de programmes d’animation culturelle », note l’historien Gérard Monnier dans L’Art et ses institutions en France (Folio).

En bénéficient surtout « le Musée du Louvre (dont les premiers travaux ne s’achèveront qu’en 1989 et 1993), le château de Versailles et, dans une moindre mesure, les musées de Fontainebleau, de Compiègne, de Pau, d’Écouen, de Saint-Germain et de la Malmaison. Vient ensuite la création du Musée d’Orsay, du Musée Picasso, du Musée des arts de la mode et le réaménagement des Arts décoratifs ». Les dations importantes qui se font durant ces années 1970 sont d’autres éléments moteurs. À commencer par celles des héritiers de Picasso en 1973 et 1979 auxquelles est affecté l’Hôtel Salé dans le Marais, futur Musée Picasso.

Un septennat bien terne

Au niveau territorial, tandis que les directions régionales des affaires culturelles (Drac) sont généralisées, Michel Guy initie les chartes culturelles, autre innovation importante du septennat Giscard. Le ministère et la ville et/ou la région qui y souscrivent s’engagent sur plusieurs années en matière d’investissement et de soutien aux activités culturelles et artistiques. Grenoble est la première ville à en bénéficier. Suivent La Rochelle, Strasbourg, Dijon et Reims. « La Vieille Charité à Marseille devra son sauvetage à la charte signée par la ville et l’État », relève Gérard Monnier.

Quand le septennat s’achève et que la campagne présidentielle bat son plein, le discours de politique culturelle de Valéry Giscard d’Estaing paraît néanmoins bien terne face à un François Mitterrand qui « emprunte à André Malraux le prestige et la mystique d’un État culturel fort apportant la culture au peuple et en faisant barrage aux industries culturelles », note Xavier Greffe, professeur émérite à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, et Sylvie Pflieger, maître de conférence à l’université Paris-Descartes dans La Politique culturelle en France (Documentation française).

Au parti socialiste, Jack Lang, alors à la tête du secrétariat national à l’action culturelle du PS, a déjà préparé la loi sur le prix unique du livre en réponse à l’arrêt de 1979 libéralisant le prix du livre. L’ancien directeur du théâtre de Chaillot, démis de ses fonctions par Michel Guy en 1974, s’est engagé à partir de cette année-là aux côtés de François Mitterrand et a participé à la rédaction des Cent dix propositions pour la France où le candidat François Mitterrand affirme vouloir faire de la culture une priorité nationale. Une autre ère se prépare.

Série Les présidents et les arts
  • De Gaulle et Malraux : une certaine idée de la France *
  • Georges Pompidou, l’art comme cadre de vie *
  • Valéry Giscard d’Estaing, retour aux musées et au patrimoine *
  • François Mitterrand, le président bâtisseur *
  • Jacques Chirac l’allié des arts et de la culture *
  • Sarkozy l’ambigu *
  • Hollande à l’épreuve de la création *

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°696 du 1 décembre 2016, avec le titre suivant : Valéry Giscard d’Estaing, retour aux musées et au patrimoine

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