Politique

Série Les présidents et les arts (2/7)

Georges Pompidou, l’art comme cadre de vie

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 18 octobre 2016 - 1986 mots

Le successeur du général de Gaulle incarne le lettré qui partage avec son épouse son goût pour les créations de son époque. Son septennat, bien qu’inachevé, a été porteur d’une politique culturelle offensive symbolisée par le Centre Beaubourg, qui prendra le nom de l’ancien président.

Quand, au début des années 1960, Claude Pompidou va chercher le soir son mari à la banque Rothschild, sur le chemin du retour à leur domicile, son mari râle régulièrement en passant devant le plateau Beaubourg, terrain vague servant de parking. Dans l’entretien accordé à Daniel Abadie, commissaire de l’exposition « Georges Pompidou et la modernité » organisée par le Jeu de Paume en 1999, elle le raconte. « Il disait tout le temps qu’il fallait faire quelque chose de formidable […], d’un genre totalement nouveau qui réunirait musée, bibliothèque, musique, design […], tous les arts réunis pour un public aussi large que possible grâce à un accès gratuit. » Nommé Premier ministre en avril 1962, Georges Pompidou « présente son projet au général de Gaulle et à André Malraux, qui n’ont pas du tout été intéressés », rapporte-t-elle. « Il en a été très vexé. Ces deux noms réunis auraient pu faire ce qu’ils voulaient et permettre la réalisation d’un tel projet. »

Il se fera donc, mais après la démission du général de Gaulle. George Pompidou à peine élu à la présidence de la République convoque le 11 décembre 1969 un conseil restreint à l’Élysée. Il confie à Robert Bordaz la préfiguration de l’établissement, demande à Henri Domerg – son beau-frère en charge de la Culture à la présidence de la République – de suivre le dossier et fait acquérir par l’État le terrain du plateau Beaubourg. Le transfert du Musée national d’art moderne y est programmé pour la partie collection débutant en 1905. Pompidou, Premier ministre de de Gaulle, avait suivi attentivement le projet d’implantation de ce musée du XXe siècle envisagé en 1963 par André Malraux, tour à tour aux Halles, au Grand Palais, puis à la gare d’Orsay et, enfin, à La Défense. Le Corbusier devait être le concepteur du bâtiment. La mort de l’architecte en 1965 mit un terme au projet. Ce qui deviendra en 1977, soit trois ans après la disparition du chef de l’État, le Centre Georges Pompidou amorce sa création.

L’art, sédiment du couple Pompidou
Le nouvel homme de la France ne désavoue en rien les actions de ses deux illustres prédécesseurs. Il entend les prolonger, les amplifier davantage avec un double souci : donner accès au plus large public à la culture, à l’art, et lutter « contre la tendance à faire croire que la France et Paris ont disparu, au profit des États-Unis et de l’Allemagne en tant que centre important de la création artistique ». « L’admiration, voire la fascination, pour de Gaulle n’a jamais fléchi dans l’esprit de Georges Pompidou », rappelle le biographe Éric Roussel. De Gaulle que Pompidou n’a rencontré qu’au lendemain de la Libération, quand il a rejoint en septembre 1944 son cabinet. « Origine sociale, formation, goûts littéraires ou artistiques : tout opposait a priori le général de Gaulle et celui qui devint son Premier ministre. Tout sauf une certaine idée de la France, de son passé, de son avenir et des moyens à sa disposition pour maintenir son rang dans le monde », indique le journaliste écrivain. Notamment en matière de création. André Malraux, en tant que ministre des Affaires culturelles, en a posé quelques fondements. Georges Pompidou, à la présidence de la République, appose sa propre marque. Beaubourg en est le symbole.

« L’art n’est pas une catégorie administrative. Il est le cadre de vie ou devrait l’être », dit-il dans un entretien au quotidien Le Monde le 17 octobre 1972. Cette vision de l’art et de la culture, Georges Pompidou l’a inscrite très jeune en ligne de vie. Elle est également l’un des sédiments du couple qu’il forme avec Claude Pompidou. Ses études et ses goûts n’y sont pas étrangers. Normalien, premier à l’agrégation de lettres, enseignant ensuite au lycée Saint-Charles à Marseille puis au lycée Henri IV à Paris, Georges Pompidou a acheté, à 18 ans, à peine édité, La Femme 100 têtes de Max Ernst et publié à 50 ans chez Hachette l’Anthologie de la poésie française. C’est d’ailleurs cette appétence pour la poésie, la littérature, le théâtre, la musique et l’art qui a consolidé les liens d’amitié tissés avec André Malraux dès sa nomination comme chef de cabinet du général de Gaulle. En particulier pour l’art sacré, la passion de Malraux et le cheval de bataille du père Marie-Alain Couturier (1897-1954), père dominicain proche de l’ancien ministre de la Culture au travers de leur engagement dans la Résistance, mais aussi de Bernard Anthonioz, gendre du général et autre grand résistant.

Parmi les proches, des artistes
Dans son ouvrage de souvenirs L’Élan du cœur, Claude Pompidou rappelle « la grande influence » du père Couturier sur elle et son mari. L’influence des galeristes et des artistes a diffusé pour sa part son souffle tout au long de leur existence, là encore très tôt, que ce soit durant les années où Georges Pompidou a alterné les fonctions entre le cabinet de Gaulle et la banque Rothschild ou à Matignon où il fait installer dans son bureau un tableau de Soulages. Denise René, Mathias Fels, Iris Clert, Raymond Cordier, La Galerie de France et Karl Flinker sont des enseignes régulièrement visitées par Pompidou. La fréquentation des artistes et l’achat d’œuvres obéissent à un panel aussi large. Claude Pompidou le mentionne à différentes reprises. L’art cinétique de Vasarely, Agam, Soto ou l’abstraction de Soulages, Herbin, Fontana, Vieira da Silva les intéresse autant que les Nouveaux Réalistes (Martial Raysse, Arman, Hains, Yves Klein…) ou les artistes en début de carrière tels que Jean-Pierre Raynaud. « Nombre d’entre eux ont été invités chez eux quai de Béthune à Paris sur l’île Saint-Louis ou dans leur maison de campagne à Cajarc dans le Lot ou à Orvilliers en Île-de-France. « Le couple partage les mêmes goûts », souligne Alain Pompidou, leur fils, qui vient de faire paraître chez Flammarion Claude, C’était ma mère. Sonia Delaunay, Vasarely, Soulages, Hans Hartung, Niki de Saint Phalle et Tinguely comptent parmi les proches, la Fondation Maeght constitue de son côté une étape coutumière des vacances d’été.

Faire rentrer la modernité à l’Élysée
L’élection à la présidence de la République de Georges Pompidou n’a rien modifié de son positionnement vis-à-vis de ses artistes et de la création. Seule la visite impromptue des galeristes a été supprimée des habitudes pour des raisons de sécurité. Ce sont les galeristes qui vont à l’Élysée présenter un choix d’œuvres, tandis que Claude Pompidou, après avoir rénové les appartements privés de Matignon, révolutionne avec son époux la physionomie du 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré. « Je veux faire rentrer la modernité à l’Élysée », déclare Georges Pompidou. Salle à manger, fumoir et salon bibliothèque conçus par le designer Pierre Paulin bouleversent par leur décor, mobilier et luminaires la physionomie de l’aile est du palais, que renforce l’aménagement de l’antichambre par l’artiste cinétique Yaacov Agam. La rénovation du fort de Brégançon est aussi entreprise avec, en décor, des meubles de Pierre Paulin.

Du côté du ministère des Affaires culturelles, « la politique culturelle que Malraux avait inspirée et mise en œuvre est jugée par Georges Pompidou comme une composante essentielle, et donc durable de l’action politique », témoigne Jacques Rigaud (1932-2012). L’ancien directeur de cabinet du ministre des Affaires culturelles Jacques Duhamel (1969-1973), puis de Maurice Druon en 1973, président ensuite de RTL durant vingt ans et promoteur du mécénat d’entreprise, a été un des acteurs de l’ombre des affaires culturelles des années Pompidou. « C’est Georges Pompidou, le premier, dit-il, qui a pris en compte la culture, non pas seulement comme un secteur de l’action publique qui concerne le théâtre, la musique, les arts plastiques, mais comme une dimension de l’action publique dans tous les domaines d’activité. »

Le tandem Georges Pompidou-Jacques Duhamel, ministre d’État des Affaires culturelles de 1971 à 1973 du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, s’y emploie. Jacques Duhamel a succédé à Edmond Michelet (1899-1970), choisi d’abord par Georges Pompidou pour succéder à l’emblématique André Malraux. Une nomination détonante à relier au parcours de l’ancien déporté et fidèle des fidèles du général de Gaulle et de Georges Pompidou. Durant ces quinze mois passés Rue de Valois, le ministre Michelet s’est focalisé sur la défense du patrimoine avec la loi sur les monuments nationaux du 17 juin 1970 et sur la création des unités pédagogiques d’architecture, l’École des beaux-arts étant remplacée par un réseau d’unités indépendantes. À l’instar de Georges Pompidou, il n’a entravé en rien la destruction des halles de Baltard. 

À sa mort, son successeur Jacques Duhamel donne à la politique culturelle de Georges Pompidou les outils de ses ambitions malgré des moyens réduits. De 1969 à 1974, la part du budget du ministre dans le budget général de l’État est passée de 0,42 % à 0,61 %. « Jacques Duhamel fut sans doute le premier ministre de la Culture à ne pas être brouillé avec les chiffres », souligne le fidèle complice de Jack Lang, Claude Mollard, alors ancien rapporteur du groupe financement de la commission des Affaires culturelles du VIe plan (1971-1975), qui donnera naissance au Fonds d’intervention culturelle (Fic), fonds en soutien aux opérations culturelles ou artistiques menées par les autres ministres et les collectivités territoriales.

Si Duhamel n’a pas le lyrisme de Malraux, il a le sens de l’innovation institutionnelle. « Sous son ministère, l’ensemble de méthodologies et des pratiques de l’action culturelle changent profondément », rappelle Claude Mollard, le Fic et la construction du Centre Pompidou constituant l’esprit et les bases de ce qui deviendra l’ingénierie culturelle.

« Douze ans d’art contemporain », le fiasco d’une exposition
Les maîtres mots de la politique culturelle impulsée par Pompidou et portée par ses ministres successifs sont transversalité, interdisciplinarité, innovation, démocratisation et décentralisation. Le système du 1 % est étendu à tous les établissements publics. Les monuments historiques tels que Fontevraud ou Villeneuve-lès-Avignon sont transformés en centre culturel de rencontres et les premiers postes budgétaires pour les directeurs régionaux des affaires culturelles (Drac) sont débloqués. Le Festival d’automne, festival pluridisciplinaire voulu par Georges Pompidou, est confié à Michel Guy, le Théâtre national de Chaillot à Jack Lang directeur du Festival de théâtre universitaire de Nancy. Le compositeur et chef d’orchestre de l’Opéra de Hambourg Rolf Liebermann est, quant à lui, le premier étranger à être nommé à la tête de l’Opéra de Paris, tandis que Pontus Hultén, directeur du Moderna Museet à Stockholm, se voit confier la direction du futur Centre Pompidou. Pierre Boulez est associé au projet. Georges Pompidou impulse ses nominations et fait front aux frondes successives contre ces choix notamment parlementaires qu’inscrit Maurice Druon, le successeur de Jacques Duhamel à la suite du remaniement ministériel d’avril 1973.

« Georges Pompidou souhaitait les meilleurs professionnels pour redonner à Paris et à la France sa place sur la scène internationale […]. La culture devait être la dimension supplémentaire de son action politique », explique en 1999 Claude Pompidou. L’organisation en 1972 à sa demande de l’exposition « 1960-1972. Douze ans d’art contemporain » par François Mathey, conservateur en chef au Musée des arts décoratifs, s’inscrit dans ce sens. À nouveau, cette initiative fait scandale à l’Assemblée nationale. Elle suscite aussi des réactions de réprobation du côté des artistes, y compris de ceux qui ont été sélectionnés. Martial Raysse et Julio Le Parc refusent d’être exposés par un pouvoir qu’ils contestent. Georges Pompidou, froissé, ne visitera par l’exposition. Le remaniement ministériel de mars 1974 voit la nomination d’Alain Peyreffite au ministère des Affaires culturelles et de l’Environnement. Un rapprochement surprenant qui n’aura pas le temps de montrer sur quoi il aurait débouché. Le 2 avril, Georges Pompidou décède, et son successeur, Valéry Giscard d’Estaing, entend se démarquer de ses choix.

 

Claude, C’était ma mère

Alain Pompidou, Flammarion, 19,90 €.

Série Les présidents et les arts
  • De Gaulle et Malraux : une certaine idée de la France *
  • Georges Pompidou, l’art comme cadre de vie *
  • Valéry Giscard d’Estaing, retour aux musées et au patrimoine *
  • François Mitterrand, le président bâtisseur *
  • Jacques Chirac l’allié des arts et de la culture *
  • Sarkozy l’ambigu *
  • Hollande à l’épreuve de la création *

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°695 du 1 novembre 2016, avec le titre suivant : Georges Pompidou, l’art comme cadre de vie

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