Droit

Photographies d’œuvres d’art

Photographies d’œuvres d’art, l’appréciation de l’originalité

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2015 - 1211 mots

Deux récentes décisions, l’une au détriment d’Artnet, l’autre au profit d’Artprice, relancent le débat sur l’originalité des photographies publiées dans les catalogues de ventes aux enchères.

L’éligibilité à la protection du droit d’auteur des photographies des œuvres et objets d’art incluses dans les catalogues de ventes aux enchères demeure aujourd’hui en suspens. A priori, une telle protection est due dès lors que l’originalité des photographies est prouvée. Néanmoins, la finalité des catalogues de vente perturbe l’expression de la personnalité du photographe, en raison de la nécessaire représentation fidèle de l’objet soumis au feu des enchères. En effet, la vente d’un objet présenté aux enchérisseurs sans ses imperfections ni les marques du temps passé pourrait être frappée de nullité. Le photographe doit ainsi s’effacer devant l’objet, notamment lorsque celui-ci est en deux dimensions, tels un tableau ou une gravure. Seuls les objets en trois dimensions pourraient alors donner prise au droit d’auteur, à condition que la personnalité de l’auteur puisse s’exprimer sans contrainte et que son travail ne relève pas seulement d’un savoir-faire technique.

Depuis 2009, Stéphane Briolant ne cesse de vouloir faire reconnaître en justice ses droits d’auteur sur les photographies qu’il a réalisées pour le compte de différents opérateurs de ventes volontaires. Et ce avec plus ou moins de succès selon les degrés de juridiction, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris se révélant plus réticent que la cour d’appel à entendre ses droits. Au cœur des revendications du photographe, la reproduction de son travail sans son autorisation sur différentes bases de données en ligne. Ces dernières répliquent constamment sur le terrain de l’absence d’originalité, tentant de faire reconnaître aux juridictions l’expression d’un simple savoir-faire technique, guidé par des impératifs de célérité et de fidélité. Trois procédures distinctes reflètent l’évolution du débat et de l’appréciation judiciaire des photographies.

Condamnation pour contrefaçon
Ainsi, à l’occasion d’une procédure commune avec l’opérateur Camard & associés, la cour d’appel de Paris avait retenu pour la première fois, le 26 juin 2013, l’originalité de certains catalogues de vente et l’originalité de plus de 8 700 photographies de meubles et d’accessoires. Très lourdement condamnée pour contrefaçon, en raison de la reproduction sans autorisation de ces œuvres sur sa base de données, la société Artprice s’est depuis pourvue en cassation contre l’arrêt. L’un des principaux arguments du pourvoi repose sur l’appréciation globale de l’originalité des photographies, appréciation qui ne respecte pas les exigences légales en matière de contrefaçon.

Le 10 mars 2015, la cour d’appel de Paris a retenu une solution similaire au profit de Stéphane Briolant, infirmant en grande partie la décision du TGI, dans une affaire opposant le photographe aux sociétés Artnet France, Artnet AG et Artnet Worldwide. Rejetant la demande en nullité d’un procès-verbal de constat, la cour porta le nombre de photographies éligibles à la protection par le droit d’auteur, réalisées pour le compte de cinq opérateurs différents, à plus de 6 700 sur près de 8 500 clichés présents sur le site Internet Artnet. Par ailleurs, la cour retenait que, lié par un contrat de louage d’ouvrage ou de service aux maisons de ventes, le photographe n’avait nullement cédé ses droits d’auteur et pouvait donc agir en contrefaçon.

Si la qualification juridique du contrat liant le photographe aux opérateurs est juste, il convient toutefois de s’étonner de l’absence d’autorisation ou de cession même à titre gratuit des droits patrimoniaux de l’auteur en raison de la reproduction de ses œuvres dans les catalogues de vente.

S’appuyant sur la description des œuvres du photographe sur près de 527 pages de conclusions, la cour a considéré que l’ensemble des 6 758 photographies étaient originales ; à l’appui, elle a cité en exemple une ou plusieurs photographies à l’occasion de l’évocation de tel ou tel critère reflétant l’expression de la personnalité de l’auteur. Et la cour de rappeler classiquement qu’une telle expression de la personnalité peut se dévoiler au cours des trois phases différentes du travail photographique que sont la « phase de préparation de la prise », le « moment de la prise de vue elle-même » et la postproduction.

Or, la reproduction d’œuvres de l’esprit sans l’accord de leur auteur constitue une contrefaçon, dont le préjudice au détriment de l’auteur doit être réparé. Optant pour une évaluation forfaitaire, la cour a retenu le barème indicatif de l’Union des photographes créateurs, la fréquentation du site, et une rémunération forfaitaire par jour, afin de fixer le préjudice économique à 432 512 euros et le préjudice moral à 100 000 euros pour la contrefaçon. La reproduction des photographies ne constituant pas des œuvres de l’esprit, elle était sanctionnée au titre du parasitisme à hauteur de 171 900 euros.

Choix stéréotypés
Alors que la cour d’appel avait écarté le rapport commandé à un expert judiciaire par les sociétés, au motif d’appréciations « purement subjectives et personnelles – à la limite méprisantes – […] sous une apparence de technicité objective », le TGI de Paris a accueilli un rapport similaire du même expert afin de rejeter, le 5 mars 2015, l’ensemble des nouvelles demandes du photographe formulées contre Artprice, au terme d’une décision courant sur 73 pages. Selon ce rapport, était établi « le caractère stéréotypé des choix effectués par M. Stéphane Briolant qui a effectué un travail de commande de type publicitaire ou de catalogue sans choix artistique, ne répondant qu’au caractère de masse des commandes ».

La société arguait également de plusieurs éléments contestant la qualification d’auteur, d’un point de vue comptable et fiscal. Le tribunal, retint que, « bien que ces éléments contextuels soient troublants quant à l’intention même de Stéphane Briolant et à sa conscience de réaliser une œuvre d’art, le caractère de commande n’empêche pas que les photographies soient protégées au titre du droit d’auteur » et que « le fait de qualifier les photographies d’œuvre d’art ou pas rev[ien] t en tout état de cause au présent tribunal ».

Code imposé
Afin d’apprécier l’originalité de chacune des photographies, le tribunal opta, par simplification, pour le regroupement et l’analyse des clichés par thème : les tables, les chaises, fauteuils et autres, les meubles, les luminaires, les sculptures et les objets divers. À ce titre, pour les tables, le tribunal a considéré que « l’angle de prise de vues des tables varie uniquement en fonction de la forme de la table » et que le même angle était toujours employé, angle constituant un code imposé « pour exposer le plus complètement possible les caractéristiques des meubles à acquérir » conformément « aux sites Internet des boutiques Ikea, Habitat, Roche Bobois ou BoConcept ». L’éclairage et la composition étant toujours identiques. Ainsi, selon le tribunal, le photographe « n’a opéré aucun choix qui révèle sa personnalité mais a reproduit les codes des photographies de catalogue ; le rapprochement des photographies sur le thème des tables montre d’ailleurs clairement et cruellement que ces clichés ont été produits selon le mode opératoire standardisé employant systématiquement les mêmes critères ». Le raisonnement déployé pour les autres thèmes étant identique, le tribunal a, en définitive, rejeté l’ensemble des demandes du photographe, celui-ci échouant à prouver l’originalité de ses photographies.

Dans l’attente de la solution à venir de la Cour de cassation, l’originalité de telles photographies demeure encore incertaine au regard des fortes divergences entre les différents degrés de juridiction.

Légende photo

Alfred Auguste Janniot, Europe, vers 1955, terre cuite, 42 cm, vendu en 2009 par la SVV Camard. © Photo : Stéphane Briolant.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Photographies d’oeuvres d’art, l’appréciation de l’originalité

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