La restauration d’une marqueterie d’André-Charles Boulle avec des pièces plus récentes ne lui fait pas perdre son authenticité si elles sont mentionnées dans le catalogue de vente.
Paris, 1864. Le baron Salomon James de Rothschild (1835-1864) meurt brutalement d’une crise cardiaque. Troisième et moins connu des quatre autres fils du fondateur de la branche parisienne de la famille Rothschild, Salomon a toute sa courte vie cultivé un intérêt pour l’art en collectionnant des objets d’art précieux, livres, tableaux et meubles du XVIIIe siècle. Sa veuve, la baronne Adèle (1843-1922), poursuit la collection et fait bâtir en sa mémoire l’hôtel Salomon de Rothschild du 11, rue Berryer à Paris qu’elle lègue avec une partie de son mobilier à l’État français qui y crée le 1er décembre 1922 la Fondation Salomon de Rothschild. En 1976, le ministère de la Culture a l’idée de réunir cette fondation avec le legs de Jeanne et Madeleine Smith au sein d’une seule entité : la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques (FNAGP), devenue la Fondation des Artistes en 2018. En 2001, la directrice administrative de la FNAGP décide de disperser une partie du mobilier afin de renflouer ses caisses finances à l’occasion d’une vente aux enchères publiques menée par la maison Daguerre. Le lendemain de la vente, le président de la fondation Éric de Rothschild est furieux. Il souhaite demander l’annulation de la vente, mais le conseil d’administration de la fondation approuve, après coup, la vente !
Heureusement une issue salvatrice apparaît : les collectionneurs Maryvonne et François Pinault ont été déclarés adjudicataires, au prix de 1,2 million d’euros, d’une table à écrire en marqueterie par découpe superposée dite « marqueterie Boulle » du nom de son inventeur André-Charles Boulle (1642-1732), ébéniste du roi de France dont l’apport aux arts décoratifs français est indéniable. Cette table est présentée dans le catalogue comme « époque Louis XVI (accidents et restaurations) ». Très rapidement, les époux Pinault découvrent que les quatre pieds du meuble ont été refaits au XIXe siècle, que le plateau et le chant des tiroirs ont été replaqués à la même époque et que certains bronzes ainsi que le cuir dataient du XIXe siècle. Ces derniers refusent de payer le vendeur et sollicitent l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités « substantielles » (ancien article 1110 du Code civil) – « essentielles » depuis 2016 (article 1133 dudit code).
La législation est particulièrement protectrice des intérêts des personnes qui s’aventurent sur le marché de l’art et repose pour partie sur les dispositions de droit commun qui offrent la possibilité aux intéressés de demander l’annulation de la vente. L’acheteur doit démontrer que l’erreur qu’il allègue porte sur une qualité substantielle de la chose et qu’elle est entrée dans le champ contractuel. La question posée par les époux Pinault aux juges est simple : lorsqu’un meuble a été restauré au fil du temps, notamment par des pièces plus récentes, ces restaurations font-elles perdre au meuble son authenticité malgré leurs mentions dans le catalogue de vente ?
Le 13 octobre 2005, le tribunal de grande instance de Paris répond par la négative. Déboutés, les époux font appel. Le 12 juin 2007, la cour d’appel de Paris les repousse à nouveau en estimant que, malgré les restaurations et réparations postérieures, le meuble n’a pas été reconstitué, mais seulement réparé pour en consolider les parties les plus faibles sans que ces interventions remettent en cause son authenticité. Dès lors le catalogue qui mentionnait que le meuble est d’époque Louis XVI, qu’il est signé de Dufour et qu’il a subi des accidents et des restaurations était conforme à la réalité ! Opiniâtres, les époux se pourvoient en cassation.
Le 30 octobre 2008, la Cour de cassation leur donne raison car « la table avait été transformée au XIXe siècle à l’aide de certaines pièces fabriquées à cette époque […] de sorte que les mentions du catalogue par leur insuffisance, n’étaient pas conformes à la réalité et avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté ce meuble n’avait subi aucune transformation depuis l’époque Louis XVI de référence ». Mais, le 21 septembre 2010, la cour d’appel de Paris, chargée de rejuger l’affaire, résiste et déboute les époux Pinault en retenant l’argumentaire des premiers juges d’appel. Les époux n’en démordent pas et pourvoient une seconde fois en cassation.
Le 20 octobre 2011, la Cour de cassation rejette définitivement leur pourvoi 2011 au motif qu’« après avoir constaté que l’installation de la marqueterie incontestée Boulle sur ce meuble d’époque Louis XVI et l’estampille C.-J. Dufour constituaient son originalité, la cour d’appel a estimé que les époux Pinault s’en étaient portés acquéreurs en considération de ces éléments, comme de la provenance du meuble issu de la collection Salomon de Rothschild ». Échec et mat : les époux Pinault sont condamnés à payer au vendeur le prix de vente.
Alors que la Cour de cassation a longtemps considéré que l’inexactitude du catalogue établissait à elle seule l’erreur sur la substance, elle brise l’automaticité de ce lien en permettant le maintien de la vente, qu’importe l’inexactitude du catalogue dès lors que le consentement de l’acquéreur n’y trouvait pas son centre de gravité. Ceci explique que les juges ont pu annuler en 1998 la vente d’un dessin présenté comme une peinture de Nicolas de Staël, mais ont pu maintenir en 2020 la vente d’une table « Compas » de Jean Prouvé présentée comme étant en chêne alors qu’il s’agissait de bois plaqué chêne. En effet, la volonté de l’acquéreur était d’acquérir un mobilier de Prouvé (le piètement) et non une simple table en bois (le plateau en chêne) ! L’arrêt « Boulle » marque donc une avancée majeure pour le droit du marché de l’art et le droit des contrats. Il rappelle l’importance de la rédaction des mentions dans les catalogues de ventes, même si l’authenticité des œuvres d’art soulèvera toujours d’éternelles questions.
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2011, l’importance des mentions dans le catalogue de vente
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : 2011, l’importance des mentions dans le catalogue de vente





