Livre - Ventes aux enchères

Enchères

Le catalogue de vente, un outil stratégique

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 31 décembre 2014 - 1135 mots

Textes scientifiques, photographies travaillées, formats luxueux : les catalogues de ventes ne cessent de se sophistiquer afin d’être des atouts dans la compétition qui anime les grandes maisons.

Deux pots de chambre et leur couvercle, deux douzaines d’assiettes chinoises bleues et blanches, une table de dîner en acajou… Dans un petit carnet d’une quarantaine de pages émaillées de mentions manuscrites, la liste digne d’un inventaire à la Prévert est égrenée sans qu’aucune image ne vienne l’interrompre. Le temps de ce premier catalogue de ventes de Christie’s du 5 décembre 1766 semble aujourd’hui bien loin. Aujourd’hui les catalogues de ventes sont remplis de photos, d’images d’archives, de textes et d’articles, flirtant tant avec le livre d’art qu’avec le magazine. « Alors que le “tout Internet” aurait pu conduire à la disparition du catalogue, son importance s’en est trouvée renforcée. Il s’agit de trouver un équilibre, parfois complexe, entre un catalogue très documenté et la nécessité de clarté pour rendre le propos compréhensible rapidement », précise Cécile Verdier, directrice Europe du département d’arts décoratifs du XXe chez Sotheby’s.

La qualité des images est fondamentale et les photos font l’objet d’un travail de plus en plus soigné, tandis que les documents d’archives sont de plus en plus présents au fil des pages. « Nous comptons huit à dix jours de séances photo et un bon mois de recherches iconographiques », précise Frédéric Chambre, directeur général de Piasa. Au-delà des notices, le texte prend également une place de choix, avec d’imposants éclairages historiques cherchant à replacer l’œuvre dans son contexte. « Les textes sont constamment enrichis, le travail est de plus en plus sophistiqué », confirme Carine Decroi, directrice de la communication d’Artcurial. Un travail qui se rapproche de plus en plus du livre d’art ? « Notre volonté est de faire de vrais livres dans lesquels on veut replonger. Notre travail rejoint le livre d’art, mais je parlerais plutôt de livre d’images. Nous ne nous disons pas historien de l’art, nous cherchons à recréer des univers », poursuit Frédéric Chambre. Le fond le dispute à la forme et certains catalogues sont présentés comme de véritables objets : perforés et entourés d’une housse de fourrure en l’honneur de Jean Royère (1), consultables en 3D grâce à des lunettes spécifiques pour une vacation consacrée à la collection Demotte/ Andrée Macé (2) ou recouverts de cuir lors d’une vente de montres Patek Philippe (3). Dans les plus grandes maisons, les papiers et les formats sont même déclinés selon la typologie des ventes : chez Artcurial, format tabloïd pour certaines ventes, couverture mate et tranche fluo pour les plus branchées, format à l’italienne pour l’automobile…

Le « magalogue », machine à rêves
Inspirée par le succès des magazines de décoration, la nouvelle maison Fauve Paris a poussé plus loin la transformation du catalogue de ventes, donnant naissance au « magalogue ». Dans cet objet hybride on trouve édito, entretien d’expert, propos de collectionneurs, bande dessinée ou mots croisés, quand les lots sont accompagnés de textes détaillés et de photos mises en scène empruntant plus à l’univers de la mode ou de la décoration qu’à celui des enchères. « Le catalogue est au cœur de notre projet global repensant la maison de ventes, un monde obscur aux usages codifiés, mais qui suscite la curiosité. Nous avons imaginé cet outil avec une optique pédagogique et avec l’idée de faire rêver », explique sa présidente Lucie-Eléonore Riveron.

Cette évolution des catalogues de ventes a bien entendu un prix. Lors de la « vente du siècle » Bergé-Saint Laurent, on estime à 1,6 million d’euros les coûts de réalisation des 7 000 exemplaires d’un catalogue en cinq volumes et 10 kg, présenté dans un coffret spécial. Mais à vente exceptionnelle, catalogue exceptionnel. La norme chez Christie’s oscille plutôt entre 1 % et 3 % de l’estimation du produit de la vente. Cela permet d’aligner quelques zéros sur l’addition des plus grandes vacations newyorkaises, qui peuvent décliner jusqu’à une quinzaine de catalogues pour une même vente. À Drouot, Alexandre Ferri, directeur de la maison éponyme confie : « Cela représente un vrai budget dans l’économie de la vente, même si les coûts d’impression ont diminué, de 10 000 à 20 000 euros comprenant photos, graphisme etc. ».

Des enjeux marketing
À quelle stratégie répondent ces dépenses ? Les enjeux sont nombreux, dans un contexte de concurrence accrue entre les maisons de vente et de mondialisation croissante du marché de l’art. Auprès des acheteurs, des médias ou d’autres acteurs du marché, le catalogue est un puissant vecteur de communication pour les opérateurs. « C’est un objet de séduction, qui sert à véhiculer une image et un univers », commente Carine Decroi. « C’est la première pierre pour faire rêver, dans une époque de communication extrême. Avant, on vendait en donnant beaucoup moins d’infos », poursuit Alexandre Ferri. Pour Lucie Éléonore Riveron, c’est un outil clé de démocratisation des enchères vers un public néophyte. « Le fait de rendre les catalogues plus accessibles et plus compréhensibles permet d’ouvrir les ventes à un public non initié et de conquérir de nouveaux marchés », indique-t-elle. Le phénomène souligne ainsi le poids croissant du marketing dans le fonctionnement des maisons de ventes autant que l’évolution de l’acte d’achat. Le soin particulier accordé à cet outil est d’autant plus important que les clients se déplacent de moins en moins pour voir les œuvres, a fortiori s’il s’agit d’une clientèle étrangère. « Pour nos ventes design, plus de 60 % des acheteurs n’ont pas vu l’exposition » précise Frédéric Chambre. Cette transformation des catalogues est également révélatrice du rôle fondamental joué par la provenance des œuvres et collections, lesquelles peuvent se voir attribuer un ouvrage spécifique (le « vanity » chez Sotheby’s), en parallèle du catalogue général. « La provenance est devenue un élément clé de la valeur d’un objet, même si cela n’est pas vraiment nouveau. (…) Le vanity remplit plusieurs fonctions : il permet de valoriser une collection, souligner son importance culturelle, historique, son caractère unique ou sa provenance. Ce focus contribue à créer de la valeur », indique Cécile Verdier. Auprès du vendeur, le catalogue est également un outil commercial de poids. « Il fait partie intégrante de la proposition faite au vendeur, qui comprend tout un plan marketing sur la façon de présenter la vente auprès du public. C’est un outil de négociation très important : pour remporter le contrat d’un lot que nous souhaitons, la couverture peut être mise dans la balance », indique Beverly Bueninck, responsable de la communication chez Christie’s. Le catalogue sera-t-il le prochain coffee table book [beau livre d’art]?

Notes

(1) Vente Jean Royère chez Millon-Camard le 10 mars 2000.
(2) Vente de la collection Demotte/Andrée Macé chez Jean Claude Renard le 23 septembre 2013.
(3) Vente Patek Philippe chez Christie’s le 9 novembre 2014.

Légende photo

Couverture d'un catalogue de vente

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Le catalogue de vente, un outil stratégique

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