Italie - Ventes aux enchères

Les maisons de ventes italiennes face à la mutation du marché

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2019 - 1164 mots

ITALIE

Malgré un léger rebond en 2019 et la dynamique enclenchée par le numérique, les ventes aux enchères en Italie sont limitées – cinq fois moindres en chiffre d’affaires qu’en France –, freinées par une législation pénalisante et un vieillissement des acheteurs.

Rossella Novarini, directrice de la maison de ventes Il Ponte. © Photo Mattia Borgioli
Rossella Novarini, directrice de la maison de ventes Il Ponte.
© Photo Mattia Borgioli

Italie. Les maisons de ventes italiennes retrouvent le sourire. Le chiffre d’affaires des vingt plus importantes a enregistré une hausse de 3,3 % au premier semestre 2019, s’établissant à 160 millions d’euros. Christie’s s’enorgueillit de la meilleure vente avec une nature morte de Giorgio Morandi adjugée à 1,57 million d’euros tandis que Sotheby’s fait un bond de la troisième à la première place du classement des maisons opérant dans la Péninsule. Elle a réalisé six des dix meilleures ventes au cours du premier semestre 2019, notamment avec Con anima, œuvre de Mario Schifano de 1965 adjugée à 972 500 euros. À la tête de Sotheby’s Italia, Filippo Lotti se félicite des meilleurs résultats de ces quatre dernières années avec un chiffre d’affaires de 17,5 millions, en hausse de 28,37 %. « C’est la preuve que notre stratégie mise en œuvre depuis une quinzaine d’années fonctionne. Celle de n’organiser que deux ventes par an d’art moderne et contemporain, en avril et en novembre, explique-t-il. Nous nous concentrons sur le haut et le très haut de gamme. L’Italie est un formidable vivier d’œuvres de grande qualité et il y a une forte compétition entre les différents opérateurs du marché pour les dénicher localement et les acquérir. Un marché qui est dorénavant global avec un poids croissant des ventes en ligne. 80 % de nos acheteurs sur Internet sont étrangers et viennent de 82 pays différents. Malheureusement nous souffrons d’une législation obsolète qui nous entrave. »

La législation incriminée est celle encadrant les exportations. Elle remonte à 1939 et représente la véritable bête noire des antiquaires et maisons de ventes italiennes. La loi italienne sur la protection des œuvres d’art stipule que cinquante ans après la réalisation d’une œuvre, ou si son auteur est décédé, l’achat ne peut se faire qu’avec une licence d’exportation du gouvernement. Le tout accompagné des légendaires lenteurs et incertitudes liées à la bureaucratie transalpine. Ces règles expliquent pourquoi 80 % des exportations sont des œuvres d’art contemporain, et 20 % des acheteurs, des étrangers. « Ils pourraient être bien plus nombreux si la loi était similaire à celle en vigueur chez nos voisins, français par exemple, plaide Filippo Lotti. Malgré les promesses de réforme, rien n’est fait car la classe politique nous a toujours considérés avec méfiance, voire défiance, et perçoit tout changement en la matière comme une incitation au pillage artistique du pays. C’est faux. C’est uniquement la reconnaissance du droit de chaque citoyen de disposer librement et légitimement de ses biens. L’État bloque des œuvres qu’il n’acquiert de toute façon pas pour les exposer. Cela le prive de rentrées fiscales, mais surtout cela n’a aucun sens quand les collections sont par essence dynamiques. »

En attendant une hypothétique modification de la réglementation, les ventes sur Internet sont les plus dynamiques. Elles s’établissaient à 3,5 millions d’euros en 2018 pour la maison Wannenes, enregistrant une croissance de 2,5 %. Pour Cambi, elles représentent désormais 40 % des lots et 16 % de la valeur des ventes, chiffres qui bondissent respectivement à 80 % et 60 % pour Capitolium Art. La valeur des lots progresse continuellement, avec des adjudications de 100 000 euros de plus en plus fréquents et d’autres de 170 000 euros qui sont de moins en moins rares. Bertolami Fine Arts a décidé d’utiliser Internet pour relancer le collectionnisme d’entrée de gamme ou de moyenne gamme, mais surtout attirer de nouveaux clients.

« Les nouvelles technologies ont permis de renouveler la clientèle, qui a profondément changé et s’est fortement internationalisée ces trente dernières années en Italie », estime Rosella Novarini, directrice d’Il Ponte, la première maison de ventes italienne après les géants internationaux Sotheby’s et Christie’s. « Avec près d’une trentaine de ventes par an, elle a affiché en 2018 un chiffre d’affaires de près de 31 millions d’euros, en hausse de 20 %. Auparavant les ventes aux enchères évoquaient auprès du grand public la faillite et elles n’étaient fréquentées que par des professionnels. Maintenant on voit des particuliers qui viennent acheter un objet pour leur collection ou un meuble design pour leur appartement. Les ventes de lots design ont par exemple connu une forte croissance, de 85 % sur un an. »

Un marché structurellement limité

Le design fait partie de ces nouvelles niches de marché qui ne cessent de prendre de l’ampleur comme la photographie, les voitures d’époque ou encore la bande dessinée. Une évolution qui doit s’accompagner d’une réflexion sur le collectionnisme et le positionnement des maisons de ventes. C’est ce qu’appelle de ses vœux Stefano Monti, consultant au cabinet Monti & Taft, spécialisé dans les investissements dans le secteur culturel. « Aucune réponse n’est pour l’instant apportée aux défis que le marché italien devra relever ces cinq prochaines années, déplore-t-il. Sa valeur en 2018 a d’ailleurs subi une contraction, passant de 264,8 à 254 millions d’euros (1). Cela s’explique par des causes structurelles relevant de la crise économique que traverse le pays, mais surtout pour des raisons culturelles. Le nombre de grands collectionneurs, aujourd’hui très âgés, diminue et ils ne sont pas remplacés par de jeunes clients car il manque en Italie les très grandes fortunes de la génération des millenials, qui existent en Asie ou aux États-Unis. Il faut surtout faire émerger de nouveaux collectionneurs en les éduquant à la beauté et non simplement à investir dans l’art comme dans un bien refuge. Il faut aussi faire comprendre que l’on peut acheter des objets à un prix abordable pour initier de nouvelles personnes au collectionnisme et les amener ensuite à dépenser plus et mieux. »

C’est d’ailleurs ce que démontre « The Art Market Report 2018 » de Clare McAndrew [publié par Art Basel]. Plus de 50 % des œuvres qui ont été vendues en Occident ont été adjugées à un prix inférieur à 1 000 dollars. Près de 80 % l’ont été à moins de 5 000 dollars. L’Italie ne représente que 1,3 % du marché international de l’art, contre 85 % pour les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni. « Ces chiffres témoignent des grandes opportunités qui s’offrent à notre pays, poursuit Stefano Monti. Il y a évidemment les grands coups réalisés par les leaders internationaux en Italie ou les excellents résultats obtenus par les “Italian Sales” à Londres. Ces derniers sont dus essentiellement à une fiscalité bien plus avantageuse au Royaume-Uni et à l’absence de problèmes liés à l’exportation que nous rencontrons dans la Péninsule. Mais les maisons de ventes italiennes doivent faire preuve d’une plus grande capacité managériale. Il faut à la fois travailler sur l’offre en investissant sur de jeunes artistes, mais aussi sur la demande en sensibilisant plus et mieux le grand public à l’art. Le travail culturel est immense. 74 % des Italiens ne sont pas entrés dans un musée au cours de l’année écoulée. »

(1) Les montants adjugés en France en 2018 sur le secteur « art et objets de collection » s’élèvent à 1,4 milliard d’euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : Les maisons de ventes italiennes face à la mutation du marché

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