Foire & Salon

ENQUÊTE

Les foires d’art contemporain, un phénomène très occidental

Par Elisabetta Lazzaro et Nathalie Moureau · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2018 - 1319 mots

OCCIDENT

Passé d’une vingtaine à plus de 250 en quelques années, le nombre de foires d’art contemporain explose dans le monde, mais plus particulièrement dans les capitales traditionnelles du marché de l’art.

Le basculement du centre du marché de l’art au milieu des années 1960 de l’Europe vers les États-Unis s’est accompagné d’une montée de l’internationalisation des échanges dans laquelle les foires ont occupé un rôle actif. La Kunstmarkt Köln (Art Cologne), créée à l’initiative de deux galeristes Hein Stünke et Rudolf Zwirner, a impulsé le mouvement en 1967. Art Basel (1970), la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) [1974] et l’Arco (1982) ont ensuite pris le pas. Bien que le mouvement ait été largement européen à ses débuts – il s’agissait de se fédérer et de s’ouvrir à des plus vastes marchés pour faire face à la concurrence américaine –, les États-Unis ont ensuite suivi la tendance. En 1992, Art Chicago voyait le jour. Au début des années 2000, le nombre de foires d’art contemporain était encore assez limité, on en comptait un peu plus d’une vingtaine. Les cinq foires les plus puissantes, Cologne, Art Basel, l’Arco, Chicago et la Fiac s’étaient alors réunies au sein d’une association, l’Icafa (International Contemporary Art Fair Association), aujourd’hui disparue, qui visait à réglementer l’accès aux foires, à assurer qualité et respectabilité des participants et à éviter tout aspect outrageusement commercial apportant son soutien aux galeries.

C’est au cours des quinze dernières années que le mouvement s’est accéléré pour parvenir à plus de 250 foires aujourd’hui. Ce foisonnement a induit une certaine hiérarchisation, mais aussi une uniformisation des foires par strates. Entre 2005 et 2015 le nombre de galeries communes entre la foire de Bâle et la Fiac est passé de 17 % à 43 %.

Concentration dans les pays les plus riches

L’élargissement géographique des foires est plus mesuré. Après avoir quasiment triplé entre 2002 et 2007, passant de 13 à 34, le nombre de pays différents dans lesquels des foires se sont tenues dans le monde stagne depuis les dix dernières années. C’est leur concentration dans un nombre réduit de pays qui est le phénomène le plus marquant depuis 2007. Les pays les plus riches sont les plus concernés. En 2017, 86 % des foires se tenaient dans des pays recensant le plus grand nombre de personnes fortunées, les High Net Worth Individuals qui possèdent un patrimoine de plus d’un million de dollars, résidence principale exclue.

L’Europe est la région où le nombre de foires est le plus élevé (56 %), suivie de l’Amérique du Nord (24 %). Les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) accueillent aujourd’hui 7 % des foires dans le monde. Hormis l’Afrique du Sud, le continent africain est resté étranger à cette évolution. Le nombre de foires qui y sont organisées se compte sur les doigts d’une seule main. De ce point de vue, l’idée d’une globalisation du marché n’apparaît que toute relative. Une étude conduite sur les galeries et artistes présents à Art Basel a ainsi montré qu’entre 2005 et 2012 le nombre de galeries africaines acceptées dans la foire est passé de un à deux ! Dans le même temps, le nombre d’artistes africains représentés dans l’ensemble des stands a augmenté de 25 (soit 0,8 % des artistes exposés) à 94 (2,3 %) (1). Il demeure complexe pour les artistes issus de pays émergents d’accéder au marché international à partir des galeries et institutions locales, la construction de la notoriété étant fondée sur des logiques internationales de réseaux.

Quels sont les pays qui ont le plus bénéficié de cette explosion du nombre de foires ? En France, en Grande-Bretagne et en Espagne, la croissance a été particulièrement élevée depuis le début des années 2000 et chacun de ces pays accueille plus d’une vingtaine de foires aujourd’hui. Aux États-Unis, après la forte croissance des années 2000, un redimensionnement semble s’être opéré avec une diminution sur les cinq dernières années du nombre de foires en dépit de l’implantation sur le sol américain de filiales de grandes foires européennes (Frieze New York en 2012, Tefaf New York en 2017).

Dans quelle mesure le nombre de foires existantes dans un pays est-il corrélé à sa position sur le marché de l’art international ? Si l’on regarde la situation française, on constate que la proportion de foires organisées sur le territoire au regard du nombre de foires totales dans le monde (9 %) est assez proche du poids qu’elle occupe dans les transactions mondiales, soit 7 % du chiffre d’affaires total réalisé dans le monde, galeries et ventes aux enchères comprises (2). Ce rapport ne transparaît pas de la même façon dans les pays où les transactions mondiales sont concentrées, soit le Royaume-Uni (10 % de foires et 21 % de transactions), les États-Unis (23 % de foires et 40 % de transactions) et la Chine (2 % de foires et 20 % de transactions). Cela renvoie à la question de l’organisation, à la portée des foires, et aux transactions qui y sont effectivement réalisées. La qualité de l’événement importe, comme le public qu’il est susceptible d’attirer. Une étude portant sur 80 foires dans le monde montre que les dix foires les plus fréquentées réalisaient 60 % de l’ensemble des entrées (3) en 2014.

Quoi qu’il en soit, le nombre relativement élevé de foires existant en France (22) témoigne de la vitalité du territoire national et d’une ouverture à la diversité. De nombreuses foires ont toutefois une existence éphémère. On pense aux multiples foires satellites de la Fiac, comme Chic Art Fair, Show Off, Slick et Cut Off, auxquelles succèdent désormais Young International Art Fair ou encore Asia Now. Certaines foires de taille réduite arrivent toutefois à tirer leur épingle du jeu, que ce soit en ciblant un médium particulier, tels le dessin ou la photo (Drawing Now, Paris Photo) ou en s’attachant à un art plus classique (Élysées Art, Art Up). La demande est en effet potentiellement élevée pour ce dernier segment, comme le montre le récent engouement de la galerie Opéra pour les foires, en participant en 2017 à huit foires à l’étranger, alors que jusqu’alors elle limitait sa stratégie de développement à l’implantation de filiales dans les quartiers huppés de capitales étrangères. D’autres foires enfin ont opté pour une tout autre voie en proposant que les comités de sélection soient constitués d’experts non marchands plutôt que de galeristes pour éviter les conflits d’intérêts. Le salon Galeristes fondé par Stéphane Corréard s’inscrit dans cette lignée. À l’étranger, Independent et Volta offrent des exemples de foires conçues sur ce modèle qui ont réussi à s’exporter (Independent Bruxelles et NY, Volta Bâle et NY) et connaissent une certaine pérennité. Des initiatives limitées aux galeries et artistes émergents, qui gagneraient sans doute à s’étendre aux grandes foires.

Le monde des foires fonctionne à l’image de celui des galeries, avec un taux de mortalité élevé pour les petites structures, tandis que les plus grosses étendent leur empire. Mais tandis qu’Art Basel s’installe en force à Miami et à Hongkong, que Frieze se décline en Frieze Masters et Frieze London et s’implante à New York, la Fiac peine à établir des succursales tant dans son propre pays – comme l’a montré la courte vie d’Off(icielle) – qu’à l’étranger avec l’abandon du projet d’implantation de la Fiac à Los Angeles (2014-2015). En dépit de son dynamisme, le monde des foires françaises semble soumis aux mêmes difficultés que connaissent nombre de galeries et d’artistes français. Un travail de qualité, qui peine toutefois à essaimer et à s’exporter.

(1) Bala Curioni et al. (2015), « Making Visible Artists and Galleries in the Global Art System », in Cosmopolitan Canvases, Oxford University Press. (2) Art Basel et UBS (2018), The Art Market. (3) Skate’s Art Fair Report 2014. Elisabetta Lazzaro est économiste et professeure à l’université des arts à Utrecht (HKU) Nathalie Moureau, professeure, à l’université Paul Valéry de Montpellier

Les foires 2002-2017
Les foires 2002-2017
SIGNATAIRES

Article rédigé par Elisabetta Lazzaro, économiste et professeure à l'université des arts à Utrecht (HKU), et Nathalie Moureau, professeure à l'université Paul Valéry de Montpellier

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Les foires d’art contemporain, un phénomène très occidental

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