Droit

Le contrat de commande

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2015 - 989 mots

Les relations entre un commanditaire et un artiste donnent lieu à un contrat à l’équilibre délicat.

Si l’existence de contrats visant la commande d’une œuvre d’art se révèle bien antérieure à la reconnaissance juridique du statut d’auteur, un tel statut impose depuis un encadrement contractuel précis des relations entre l’artiste et le commanditaire. L’équilibre à rechercher entre les droits de l’artiste, bénéficiant selon l’avancement du travail d’une liberté de création et du droit de divulgation, et les attentes du commanditaire est, à cet égard, parfois bien délicat à établir en raison du caractère aléatoire de ce contrat et de la destinée de l’œuvre. En effet, une telle commande a pour objet une œuvre qui n’existe pas encore et vise la réalisation d’un objet matériel, à laquelle s’adjoint éventuellement la cession des droits d’exploitation de l’œuvre. Contrat d’entreprise, puisqu’il impose d’effectuer un travail adapté aux besoins particuliers du client, le contrat de commande crée pour l’auteur une obligation de faire, nécessitant de détailler les conditions de réalisation de l’œuvre afin de limiter l’aléa de la création.

Ainsi, une fois le choix de l’artiste arrêté, imprimant au contrat son caractère intuitu personae, le commanditaire – collectionneur ou marchand par exemple –, doit préciser à son cocontractant ses attentes, ses directives, sauf à offrir une « carte blanche » à l’artiste. Ces directives peuvent se limiter au seul médium à adopter (peinture, sculpture, gravure, etc.) ou s’épanouir en une palette de précisions diverses, telles que le thème, le sujet ou encore le style à adopter. Pareilles contraintes ont vocation à protéger tant l’artiste que le commanditaire, au moment de la réception de l’œuvre par ce dernier. Faute de directives plus précises que l’indication « un tableau sur le thème Mondrian », la cour d’appel de Paris a donné raison, le 9 février 2006, au commanditaire ayant revendiqué la résolution de la commande pourtant achevée. La cour a, à cet égard, retenu « qu’en déterminant le sujet de l’œuvre d’une manière peu précise, les parties s’accordaient sur une conception très générale du thème » et « qu’il est certain que, pour un œil non averti, le nom de Mondrian est associé à un ordre géométrique de lignes verticales et horizontales et à un strict emploi des couleurs primaires et non aux périodes ‘‘bord de mer’’ et ‘‘immeubles’’ », thèmes retenus par l’artiste Cyril Colonna, lequel n’avait dès lors pas respecté le contrat.

De manière générale, la jurisprudence retient que le commanditaire peut refuser la livraison de l’œuvre, et son paiement, sur le seul fondement d’un défaut de conformité aux attentes préalablement arrêtées. L’appréciation esthétique, purement subjective, ne peut cependant justifier un tel refus. La désignation précise de l’œuvre au sein du contrat est, de ce fait, essentielle puisque la preuve du défaut repose sur le commanditaire.

Droits et obligations de l’artiste
L’auteur, quant à lui, dispose de prérogatives étendues malgré la signature du contrat. Au nom de la liberté de création, il peut refuser de créer l’œuvre commandée, engageant alors sa responsabilité contractuelle et s’exposant à des dommages et intérêts. À cet égard, il est d’usage d’insérer au contrat une clause de « non-répétition de l’œuvre » afin de limiter la possibilité pour l’artiste de reproduire à l’identique l’œuvre commandée. Une fois le processus de création entamé, l’artiste dispose de la faculté de refuser de l’achever, sur le fondement de la liberté de création ou de son droit moral, un tel refus engageant également sa responsabilité. Enfin, même en cas d’achèvement de l’œuvre, l’artiste peut refuser d’en transférer la propriété, quand bien même il s’y était contractuellement engagé. La Cour de cassation a consacré cette solution dès 1900, dans une célèbre affaire opposant James Whistler à Lord Eden, en retenant que « la propriété de l’œuvre ne peut être définitivement acquise à la partie qui l’a commandée que lorsque l’artiste a mis ce tableau à sa disposition et qu’il a été agréé par elle ». Le droit de divulgation, droit discrétionnaire, permet à l’auteur de décider du moment et des modalités de la communication de son œuvre au public. Enfin, l’auteur ne peut jamais se voir imposer une exécution forcée, au stade de la création ou de la livraison.

Une dernière série de difficultés peut survenir une fois l’œuvre livrée et acceptée. Le commanditaire, ayant pris possession de la création, peut refuser de diffuser l’œuvre au public. S’il s’agissait là d’un engagement contractuel, à l’image d’un musée privé ayant souhaité à l’origine insérer l’œuvre à l’entrée du bâtiment, une exécution forcée ou, plus souvent, des dommages et intérêts pourront être prononcés en vue de réparer le préjudice subi par l’artiste. La Régie Renault s’était ainsi vue contrainte, le 16 mars 1983 par la Cour de cassation, à respecter les engagements pris vis-à-vis de Jean Dubuffet, en procédant à l’édification complète du Salon d’été dans ses locaux de Boulogne-Billancourt, un projet qui sera finalement abandonné par l’artiste.

Parfois le déplacement de l’œuvre peut être contractuellement prévu, imposant alors un protocole à respecter sous peine de sanction. Une société a ainsi été condamnée par le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre, le 26 juin 2014, à réparer le préjudice subi par Nathalie Elémento dont l’œuvre avait « été enlevée très peu de temps après son installation de manière contrainte et sans concertation, portant atteinte à la pérennité contractuellement spécifiée ». De même la modification unilatérale des conditions de la diffusion de l’œuvre se révèle fautive. Le TGI de Paris a considéré, le 3 juillet 2015, que la RATP avait commis une faute contractuelle à l’encontre de Jean-Charles Blais en procédant à une dépose temporaire de son œuvre à la station de métro Assemblée-Nationale à Paris, en ne respectant pas le cadre contractuel prévu et en ne laissant subsister que la frise qui faisait partie intégrante de son œuvre. Objet d’attentes et de concessions réciproques, le contrat de commande d’une œuvre d’art est avant tout le meilleur vecteur pour permettre le respect des droits en présence.

Légende photo

Installation de Jean-Charles Blais à la station de métro Assemblée Nationale, Paris, 2013. © Jean-Charles Blais

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Le contrat de commande

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque