Galerie - Foire & Salon - Ventes aux enchères

La pandémie accélère la mutation du marché de l’art

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 27 octobre 2020 - 794 mots

Annulation des foires, accélération des ventes en ligne, opérations solidaires entre marchands… Même le virus de Covid-19 éradiqué, plus rien ne sera probablement comme avant pour le marché de l’art.

Pour le marché de l’art comme pour beaucoup d’autres secteurs économiques, il y aura un avant et un après-Covid-19. La pandémie a accéléré la mutation d’acteurs aux méthodes de vente jusqu’ici encore assez traditionnelles, et longtemps résistantes au commerce en ligne. Certes, avant le coronavirus, quelques grosses galeries américaines comme Hauser & Wirth ou David Zwirner avaient déjà misé sur le numérique, tout comme les maisons de ventes aux enchères Christie’s et Sotheby’s. Mais, globalement, le modèle dominant restait la transaction physique avec le client, en boutique, et surtout sur les foires qui généraient l’an dernier encore près de la moitié du chiffre d’affaires des galeries. Le rapport de l’économiste Clare McAndrew sur l’évolution du marché de l’art au premier semestre 2020, montre bien les bouleversements en cours, avec, pour les 800 galeries d’art moderne et contemporain interrogées, un chiffre d’affaires en chute de 36 % dans le monde et de 32 % en France. Certes, ce n’est pas si mal, après l’arrêt brutal imposé par le confinement et l’annulation de foires majeures comme Art Basel. Mais la facture Covid n’est pas soldée : au 1er juillet, 21 % des galeries étaient encore fermées, note le rapport.

Les foires en sursis ?

Les foires, jusqu’ici incontournables pour rencontrer les grands collectionneurs, ne représentent plus que 16 % des ventes des marchands sur le semestre, contre 46 % précédemment, tandis que les ventes en ligne grimpent, elles, de 10 à 37 % de l’activité. Le business model a donc changé, et il n’y aura probablement pas de retour à la situation antérieure. D’autant que la multiplication des foires était déjà dénoncée en raison de l’aberration écologique liée aux déplacements engendrés. « Les foires occuperont toujours une place de choix dans notre stratégie, mais il faudra repenser “l’expérience foire”, observe Iwan Wirth, président de Hauser & Wirth. La valeur de la relation humaine et du contact aux œuvres restera importante mais, avant la crise, nous avions déjà réduit notre participation aux foires, suite à un audit sur l’empreinte carbone de nos transports. » Le galeriste Georges-Philippe Vallois estime, lui, qu’un rééquilibrage va s’opérer entre les foires, jusqu’ici dominantes, et les marchands. « Nous devons réfléchir à des alternatives comme des plateformes virtuelles mutualisées entre plusieurs galeries, le renforcement d’événements communs destinés à ramener les collectionneurs dans nos espaces comme ces invitations faites à des confrères étrangers… », argumente-t-il.

Un marché en réalité virtuelle

Les galeries ont beaucoup misé sur les ventes en ligne pendant le confinement, développant les online viewing rooms, sur leur propre site ou sur celui des foires virtuelles d’Art Basel ou de Frieze. Selon Clare McAndrew, les trois quarts des galeries se sont tournées vers ce type de transactions pour maintenir une activité et estiment que ces pratiques vont croître en 2021. D’ailleurs, les investissements technologiques sont passés de 8 à 10 % des coûts des galeries, pendant que les dépenses consacrées aux foires chutaient de 29 à 16 %. Ainsi, Hauser & Wirth a créé ArtLab, une division recherche et innovation, qui a imaginé un outil de modélisation des expositions en réalité virtuelle. « À l’avenir, il sera primordial de donner à voir aux collectionneurs plus d’œuvres qu’on ne peut en acheminer, ce qui révolutionnera la manière de faire les foires », poursuit Iwan Wirth.

Des collectionneurs très actifs

De leur côté, les collectionneurs sont restés très actifs dans les achats en ligne. Clare McAndrew a interrogé 360 d’entre eux, vivant aux États-Unis, au Royaume-Uni et à Hong Kong et disposant de plus d’un million de dollars de liquidités : 92 % ont acquis des œuvres ce semestre et à des prix élevés puisque 56 % ont dépensé plus de 100 000 dollars et 16 % plus de 1 million. Mieux encore, 59 % des sondés affirment que la pandémie a accru leur envie de collectionner, en particulier ceux âgés de 23 à 38 ans. Les galeries confirment avoir constaté leur souci de les soutenir dans cette période difficile, ainsi que les artistes et les musées. Mais la pandémie a également suscité une solidarité entre marchands. Ainsi, David Zwirner a créé Platform pour aider les jeunes galeries à survivre en ligne, tandis qu’Emmanuel Perrotin a invité 26 galeries à exposer chez lui après le déconfinement. Les maisons de ventes aussi ont tendu la main aux marchands. Christie’s a vendu aux enchères des pièces proposées par des exposants de la Biennale Paris finalement annulée et Phillips s’est associé à la plateforme digitale Nomad de ventes privées d’art et de design. Mais ces initiatives sont à double tranchant pour les galeries, car ces maisons leur font de plus en plus concurrence et développent à vive allure leurs ventes de gré à gré.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°738 du 1 novembre 2020, avec le titre suivant : La pandémie accélère la mutation du marché de l’art

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