Antiquaire - Foire & Salon

Foires : quand les antiquaires s’en détournent

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 7 mai 2025 - 1006 mots

Certains marchands ne veulent plus participer à des salons et préfèrent miser sur leur galerie et Internet.

Le stand de la Galerie Marc Maison lors de la Brafa 2025. © Emmanuel Crooÿ
Le stand de la Galerie Marc Maison lors de la Brafa 2025.
© Emmanuel Crooÿ

France. Pour nombre de marchands, les foires d’arts et d’antiquités restent incontournables, notamment pour maintenir une présence à l’international et attirer de nouveaux clients. Mais certains n’ont pas hésité à se détourner de ces grands rendez-vous qui leur apparaissent comme l’héritage d’un monde en mutation, à adapter ou à contourner.

Standardisation des stands, rentabilité incertaine, fatigue logistique ou simple changement de stratégie, les raisons varient mais se recoupent. Surtout, entre les coûts du stand et les dépenses annexes (transport, assurances, hébergement, personnel, communication…), l’addition est souvent salée (entre 50 000 et 100 000 €). « Il y a un risque financier lié aux foires qui est très important. On ne peut plus penser comme avant le Covid, en se disant : “J’ai à peine fait mes frais, je me rattraperai sur la foire suivante” », souligne le marchand de tableaux et dessins anciens, Alexis Bordes. Et d’ajouter : « C’est une aberration économique : pourquoi dépenser plus d’argent en frais de foires dans l’année que le loyer de la galerie quand on a de beaux locaux ? »

Au-delà du simple prix de présence, il y a aussi la pression implicite de « faire une bonne foire », de montrer des pièces spectaculaires, de tenir la comparaison avec les confrères ; sans compter que le public a changé. Entre curieux en quête d’inspiration décorative, étudiants, touristes ou acheteurs professionnels venus « repérer » sans intention immédiate d’achat, certains marchands ne souhaitent plus prendre de risque, dans un marché où la vente n’est plus garantie par la seule visibilité.

Face à ces inconvénients, des antiquaires ont réorienté leur stratégie afin de maintenir et développer leur activité, en privilégiant des ventes plus discrètes et des formats alternatifs. L’idée n’est pas de disparaître du radar, mais de se repositionner. Moins visible, mais mieux placé – tel est leur credo.

Réinvestir la galerie

Tout miser sur son espace et sa situation géographique, c’est le cas notamment de l’antiquaire Philippe Vichot, qui a arrêté les foires (Biennale, Brafa) il y a une dizaine d’années, et ne compte pas y retourner.« Je n’aime pas travailler dans l’urgence, j’aime le côté feutré de la galerie. Avec mon assistant, Romain Guiot, nous jouons à fond la carte de la galerie, il y en a toujours un qui est présent. Et puis nous sommes dans le Carré Rive Gauche, qui est déjà en lui-même un salon à ciel ouvert ! » L’accueil sur rendez-vous, dans un espace aménagé qui favorise les échanges approfondis, est une bonne alternative car elle séduit une clientèle en quête de discrétion toujours plus nombreuse. « Certains de mes clients ont horreur des vernissages et viennent presque incognito dans ma galerie en chambre », raconte un marchand.

D’autres misent sur le digital, en investissant dans des plateformes spécialisées pour atteindre une audience mondiale, en créant un site web, des catalogues numériques ou en utilisant les réseaux sociaux comme Instagram. « Depuis toujours, je ne fais pas de foire – je n’aime pas les lieux publics, je n’aime pas m’exposer, et ça marchait tellement bien dans le magasin, que ça n’aurait pas servi à grand-chose », explique Valérie Levesque, spécialisée en antiquités asiatiques. « Mais aujourd’hui que l’activité a baissé, je me suis tournée vers le digital, notamment vers WeChat (pour le marché chinois) et Instagram où je publie des objets à vendre. »

D’autres encore privilégient l’organisation d’expositions thématiques ou de ventes sur invitation au sein de leur galerie ou dans des lieux valorisants. Ces événements offrent une expérience plus personnalisée aux clients et renforcent les relations. C’est le cas de l’antiquaire versaillais, Ludovic Pellat de Villedon, et ses dîners d’été à l’Hôtel de Bouillon, avec des invités choisis. Alexis Bordes, lui, a participé à des foires pendant vingt-cinq ans mais a arrêté depuis deux ans. Et même si la Brafa lui manque pour son côté convivial, « au lieu de me disperser comme avant, d’enchaîner les foires de façon chronophage, je passe plus de temps à m’occuper de mes clients et à faire vivre ma galerie en appartement. Je fais entre trois et quatre expositions par an, avec des catalogues numériques et papier. Ça me coûte entre 25 et 35 000 euros maximum contre 55 000 pour un stand à la Brafa. C’est très rentable et il y a moins de pression ».

Les portes ouvertes ou salons plus intimistes et ciblés (comme Opus Ancient Arts par exemple) font également partie des options.« L’âge venant, je n’ai plus envie de participer à de grands salons », confie Christian Béalu, spécialisé en céramique, qui autrefois exposait à la Biennale ou à la Tefaf. « Même si des clients n’achètent que là et qu’on se sent un peu pénalisés, on a décidé de se concentrer sur la galerie, en privilégiant des événements dans nos murs, comme le Parcours de la céramique, le Carré Rive Gauche… », poursuit le marchand, qui réalise aussi régulièrement de petites vidéos sur Instagram pour présenter ses objets.

La 3e édition d'Opus Ancient Arts, espace Commines à Paris © Photo Clotilde Bednarek pour Le Journal des Arts
La 3e édition d'Opus Ancient Arts, espace Commines à Paris.
© Photo Clotilde Bednarek pour Le Journal des Arts

La collaboration avec d’autres professionnels, comme des décorateurs d’intérieur, d’autres antiquaires ou des expositions croisées avec des galeries d’art contemporain ou de design, permet de créer des synergies et d’élargir la portée de leur offre. « Avec les attentats de 2015, puis la crise sanitaire, nous avons joué la prudence – une Biennale des antiquaires nous coûtait 90 000 €. Aussi, nous avons trouvé une nouvelle manière de travailler. Après avoir développé Instagram, nous avons lancé des expositions chez nous, puis donné des cartes blanches », raconte l’antiquaire Laurence Vauclair. Laura Gonzales à l’occasion de la Paris Design Week (2021), Fromental (2022) ou encore Émilie Bonaventure (2023), se sont ainsi succédé dans sa galerie. « En dix ans, depuis que nous ne faisons plus de salons, nous sommes plus connus qu’avant, et les gens viennent à nous. Nous avons réussi et prouvé qu’une galerie peut vivre sans foires. »

En combinant ces approches, marchands et antiquaires arrivent non seulement à compenser l’absence de participation aux foires, mais aussi à créer des opportunités pour se démarquer et reprendre la main sur leur communication et leur clientèle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Foires : quand les antiquaires s’en détournent

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