Art contemporain - Église

Morbihan, Maine-et-Loire : La retraite spirituelle de l’art

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 964 mots

DIVERS LIEUX - MORBIHAN

Pour sa 20e édition, « L’art dans les chapelles » a convié vingt artistes à intervenir dans autant d’édifices religieux du Morbihan. Tandis que Vincent Lamouroux a installé « Belvédères » dans le cloître de l’Abbaye de Fontevraud.

Les amoureux des vieilles pierres s’en sont fait une raison ; rares sont aujourd’hui les visites de monuments historiques qui ne ménagent pas une rencontre avec une œuvre contemporaine. Cette tendance au mélange des genres et à la collision des temps n’échappe pas aux écueils d’un effet de mode, au risque de jeter le discrédit sur les projets méritants que réservent les pérégrinations estivales. 

Dans le Morbihan, où le parcours « L’art dans les chapelles » fête ses 20 ans ; à l’Abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire), ou dans la quarantaine de monuments nationaux concernés par le programme « Monument et animaux » imaginé par Claude d’Anthenaise, directeur du Musée de la chasse et de la nature (lire p. 18), la présence de l’art contemporain dans le cadre patrimonial fait sens. « L’effet Versailles est tout ce que je voulais éviter », signale ce dernier. Quand elle n’est souvent qu’un accessoire décoratif ou un atout médiatique, l’œuvre devient ici un « interlocuteur » de l’histoire du lieu, dont elle révèle un aspect. Xavier Kawa-Topor, directeur de l’Abbaye de Fontevraud, revendique pour l’art contemporain ce rôle d’appropriation (collective) du patrimoine. Chaque année, la programmation de l’abbaye s’articule autour d’une notion liée au devenir de la société contemporaine. Cet été, sous le titre « En marchant », est envisagée une idéologie du nomadisme, d’une marche qui permettrait d’échapper aux idées reçues, formatages et autres carcans. Ainsi l’artiste Vincent Lamouroux a-t-il été invité à créer une œuvre dans le cloître cistercien, carrefour des déplacements et lieu de la déambulation méditative. Il a édifié en son centre un monumental escalier labyrinthique, une montagne russe qui se parcourt à pied et où, sur chaque marche, se contemplent sous un angle inédit plusieurs siècles d’histoire. Belvédères, en tant que sculpture praticable qui implique le corps, questionne la valeur d’usage de l’œuvre d’art autant que celle de l’édifice patrimonial, quand tous deux se partagent le présent et le même lieu. 

Apparitions
Ces triples pèlerinages convient à une réflexion croisée sur le site, l’art, l’architecture et la religion. C’est précisément ce qui se joue au long du parcours de « L’art dans les chapelles », sous la houlette d’Olivier Delavallade. Si on peut regretter l’absence de thématique, la « carte blanche » offre une diversité de réponses et de postures singulières dans ce dialogue entre un artiste et un édifice où le culte est encore pratiqué. Dans la chapelle de la Trinité, Cécile Bart (Bieuzy-les-Eaux) compartimente la nef de ses grandes toiles transparentes aux formes géométriques colorées. L’artiste brise l’unité symbolique de l’espace, y crée de nouveaux recoins. Dans l’un d’eux, l’ombre d’un triangle noir pourrait abriter une force occulte, repoussée par une Vierge dont la statue, située dans le chœur, transparaît derrière une surface bleue. La peinture redessine l’architecture, joue avec les symboles et en superpose d’autres, comme sur les murs de la chapelle Saint-Jean (Le Sourn), où Olivier Nottellet fait apparaître les stigmates d’un mystérieux chantier de construction. Plus radicalement, Slimane Raïs refond les plans de la chapelle Notre-Dame-des-Fleurs (Moustoir-Remungol). Son plancher trace une diagonale au sol, prolongé à l’extérieur par un dallage en pierre, et « réoriente » par la même occasion l’édifice à 45° vers La Mecque, destinant ce lieu de prière potentiel tant aux chrétiens qu’aux musulmans.  

Hydre et Danse macabre
Ailleurs, les œuvres s’intéressent à l’iconographie chrétienne, à l’exemple du diptyque vidéo de Patrick Hébrard, dans la chapelle Notre-Dame-du-Guelhouit (Melrand), qui interroge la représentation du « hors-champ » dans la tradition de l’Annonciation. Philippe Mayaux, de son côté, campe une mise en scène franchement iconoclaste dans la chapelle de la Trinité (Cléguérec), où le jubé en bois peint devient l’élément de décor d’une danse macabre. Ses fragments de corps en plastique aux membres tranchés laissant apparaître les os et la chair donnent la réplique à la statuaire du chœur, encadré par un Christ sanguinolent et un saint Barthélemy écorché brandissant sa peau vidée.
Quand elle invite à la contemplation, l’œuvre immisce dans l’espace sacré le sentiment romantique, glissé dans les failles de la piété. Cette humeur habite la chapelle troglodyte de Saint-Gildas (Bieuzy-les-Eaux) où, sur une bande fluo éclairée à la lumière noire, Éric Winarto fait apparaître un fragment de nature tourmentée ; celui-ci se laisse voir au travers d’une meurtrière entourant l’édifice construit à la mémoire du saint ermite. La chapelle Saint-Nicolas (Saint-Nicolas-des-Eaux) est envahie par l’hydre de Rainer Gross, épiphanie maléfique, grandiose et menaçante malgré la fragilité de sa structure en lamelles de bois. Sortie du mur, elle s’enroule et se déploie dans l’architecture comme un mauvais présage.

Les artistes s’intéressent enfin au modèle du parcours touristique qui a absorbé ces sites bientôt désertés du culte. Heidi Wood suspend ainsi d’immenses chasubles dont l’ornement reprend la signalétique générique des panneaux routiers indiquant la proximité de la chapelle Notre-Dame-du-Moustoir (Malguénac). Et Christophe Cuzin signe le geste critique le plus violent. Refusant d’inscrire son œuvre dans une chapelle, l’artiste a édifié sa propre chapelle sur une petite colline, au lieu-dit Le Cloître (Pluméliau), un cube rouge comme une balise, une maison de Monopoly. La couleur, en référence au film de Clint Eastwood L’Homme des hautes plaines (1973), où le héros fait peindre son village en rouge pour annoncer une sanglante vengeance, invoque le pouvoir subversif de la peinture. 

L’art dans les chapelles

Jusqu’au 18 septembre, vallée du Blavet, pays de Pontivy, (accueil) Maison du Chapelain, Saint-Nicomède, 56930 Pluméliau, tél. 02 97 51 97 21, www.artchapelles.com, tlj sauf le mardi 14h-19h.

Vincent Lamouroux, Belvédère(s)

Jusqu’en octobre, Abbaye de Fontevraud, 49590 Fontevraud, tél. 02 41 51 87 97, www.abbayedefontevraud.com, tlj 9h30-19h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Morbihan, Maine-et-Loire : La retraite spirituelle de l’art

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