Musée

Bonnard de retour dans le Midi

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 853 mots

LE CANNET

Aucun lieu n’avait encore été consacré au peintre de la couleur. C’est désormais chose faite avec l’ouverture le 25 juin d’un musée au Cannet, où il avait acquis une résidence.

Le Cannet - Le musée Bonnard avec les aménagements autour de la villa Le Bosquet © Photo Mossot, 2011
Le Cannet - Le musée Bonnard avec les aménagements autour de la villa Le Bosquet.
Photo Mossot, 2011

En 1963, une ultime transaction mettait un terme à la longue saga judiciaire opposant les héritiers de Pierre Bonnard (1867-1947) (lire l’encadré). Près de cinquante ans plus tard, le peintre bénéficie du tout premier musée à lui être entièrement dédié. 
Modeste dans ses volumes et son architecture, ce nouvel établissement, inauguré le 25 juin, est né de la volonté de la ville du Cannet (Alpes-Maritimes) de rendre hommage au peintre qui y a acheté, dès 1926, une résidence, « les Bosquets ». Sa création, d’un coût de 4,47 millions euros, aura été rondement menée. En 2003, le conseil municipal émet un vote en faveur du projet. Le pari semble alors un peu déraisonnable car, dans la ville azuréenne, il ne reste plus guère de trace de Bonnard. Sa villa, classée monument historique après avoir été rachetée aux enchères par ses héritiers, est trop exiguë pour accueillir un musée. En revanche, un bâtiment de style Belle Époque, voisin de la mairie, l’hôtel Saint-Vianney, a été racheté peu de temps auparavant, et constitue une belle opportunité foncière en centre-ville. Mais le plus dur reste à faire : bâtir ex nihilo une collection, en centrant le propos sur l’époque du Cannet (1922-1947) sans s’interdire quelques incursions dans d’autres périodes. Cela même si les œuvres de Bonnard atteignent depuis longtemps des sommets sur le marché de l’art.

Mais Michèle Tabarot, députée maire du Cannet – devenue depuis présidente de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale, ce qui aide sans doute – frappe déjà à la bonne porte. Françoise Cachin, directrice honoraire des Musées de France, soutient le projet et fait entrer dans la partie la spécialiste Marina Feretti Bocquillon et le collectionneur Philippe Meyer. Disparu en 2007 – quatre ans avant Françoise Cachin –, ce dernier a été relayé dans son action par sa fondation, devenue le principal philanthrope du musée. C’est elle qui a acheté au bénéfice de l’État la magistrale Vue du Cannet (1927), rare grand format de cette période, destiné à être mis en dépôt au Cannet. 

Prêts prestigieux
Moins de dix ans après le lancement du projet, le musée a acquis quelque 150 œuvres (parmi lesquelles beaucoup de dessins), les deux tiers ayant été obtenus grâce à des libéralités de la famille ou de collectionneurs, mais aussi par quelques achats largement soutenus par le Fonds du patrimoine. Un projet de collaboration avec le Musée d’Orsay – lequel n’envisagerait toutefois pas de dépôt permanent d’œuvres – est par ailleurs à l’étude. Pour constituer une collection cohérente, un budget confortable de 500 000 euros par an, ajustable en fonction des opportunités, devrait être maintenu pendant plusieurs années. La première exposition temporaire, dédiée logiquement au Cannet, est en effet riche de prêts prestigieux, octroyés par la Tate Modern de Londres, le Musée d’Orsay ou le Musée national d’art moderne. Il faudra donc attendre octobre, quand ces chefs-d’œuvre seront retournés à leurs propriétaires, pour juger de la véritable teneur de cette collection permanente, encore en devenir. 

Le procès Bonnard

C’est une saga judiciaire qui n’a sûrement pas profité à la notoriété de l’artiste. Mais elle a fait jurisprudence en matière de droit d’auteur. Après la mort de Bonnard, sans descendance, en 1947, ses héritiers se livrent à une bataille judiciaire pour mettre la main sur l’héritage du peintre. Car, alors que l’épouse de Bonnard, Marthe, lui avait toujours assuré ne pas avoir de famille, l’ouverture de sa succession révèle l’existence de quatre nièces. Fallait-il s’attendre à autre chose de la part de celle dont le peintre a appris la véritable identité le jour de son mariage ?
Des années de procès suivront, mettant en jeu une fausse déclaration de succession rédigée par le peintre à l’initiative de son notaire peu après la mort de Marthe. Cela afin d’éviter de perdre les œuvres de son atelier.
Intervient alors un personnage inattendu. Comme il l’a raconté dans ses Mémoires (1), le marchand d’art Daniel Wildenstein flaire la bonne affaire. Alors que les Terrasse, héritiers du côté de Bonnard, ont perdu en première instance, il leur rachète leurs droits pour 1 million de dollars et prend à son compte le contentieux. Et ce sera le coup de théâtre. En plaidant le droit moral du peintre sur son œuvre, le marchand gagne la partie et se retrouve propriétaire de la totalité des peintures de l’atelier, à l’exception de 25 tableaux. S’il fait don de plusieurs œuvres à la famille, 180 tableaux, « les plus beaux, les plus magnifiques » comme le précise le marchand dans son livre, sont depuis partis dans les obscurs trustees de la famille Wildenstein. Pas sûr qu’ils donnent lieu, un jour, à une dation Wildenstein en faveur du Cannet.

(1) Yves Stavrides, Daniel Wildenstein, Marchands d’art, 1999, éd. Plon.

Bonnard et le Cannet

Jusqu’au 25 sept., Musée Bonnard, 16, bd Sadi-Carnot, 06110 Le Cannet, tlj sauf lundi 10h-20h, jusqu’à 21h le jeudi. Catalogue, coéd. Musée Bonnard/Hazan, 160 p., 25 euros, ISBN 978-2-7541-0561-3.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Bonnard de retour dans le Midi

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