Juan Gris : les années d’après guerre

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 821 mots

Sète prend le risque d’exposer les œuvres de Gris datées de 1919 à 1927, moins appréciées mais aussi moins connues ou analysées. Et pourtant…

Alors que les dernières monographies de Juan Gris (1887-1927), à l’Orangerie à Paris en 1974 puis au Musée Cantini à Marseille en 1998, avaient bien pris soin de présenter un échantillon de toute la (courte) production du peintre cubiste, le Musée Paul-Valéry, à Sète, s’intéresse surtout à ses années d’après guerre, moins considérées. Marchands et historiens préfèrent en général la période 1911-1918, lorsque Gris marche dans les pas du cubisme de Braque et Picasso. Il est alors difficile pour le jeune Espagnol d’échapper à l’emprise de ces maîtres. Arrivé de Madrid à Paris en 1906, après une rapide formation artistique, il change de nom (il est « José Gonzalez » à l’état civil) et s’installe au Bateau-Lavoir, à côté de l’atelier de Picasso. Il peut ainsi suivre en direct l’exécution des Demoiselles d’Avignon et les expérimentations cubistes de son aîné. Mais ce n’est qu’à partir de 1911 qu’il se consacre à la peinture. Auparavant il lui aura fallu gagner sa vie en donnant des dessins de presse. C’est donc presque naturellement que Gris s’inscrit dans la modernité cubiste, avec Le Livre (1911, Musée national d’art moderne), point de départ de l’exposition de Sète et élément de comparaison pour la suite. À vrai dire, cette nature morte illustre davantage les premiers pas de Juan Gris que l’apogée de sa période analytique.

Les années de guerre sont difficiles pour Juan Gris. Sans ressources, il explore plusieurs voies avant de s’engager franchement, au sortir de la guerre, dans une production plus épurée, qui participe au « retour à l’ordre » général. Il faut bien admettre que cette séquence est moins séduisante. La ligne droite règne, les plans semblent s’emboîter les uns dans les autres, les couleurs sont posées en aplat. Si les natures mortes dominent toujours autant sa production, témoignant de l’intérêt qu’il porte aux questions d’espace et de surface, il s’autorise quelques sorties de route iconographique, en introduisant la mer dans une composition (La Vue sur la baie, 1921, Musée national d’art moderne), voire en représentant une maison tout entière (Maison à Beaulieu, 1918, Kröller-Müller Museum, Otterlo). La couleur n’est pas étrangère à cette orientation. Très tôt Juan Gris avait éclairci et diversifié sa palette, lui permettant des juxtapositions de plans larges dans lesquels les objets ne sont pas fragmentés comme dans le cubisme « kaléidoscopique ». Souvent présenté comme le plus orthodoxe des cubistes, Juan Gris a su aussi développer sa propre voie. Il explique sa démarche dans un texte maintes fois cité de 1921 : « Cézanne d’une bouteille fait un cylindre, moi, je pars du cylindre pour créer un individu de type spécial, d’un cylindre je fais une bouteille… » 

Velouté des volumes
À partir de 1924, au moment où la maladie qui l’emportera trois ans plus tard commence à l’affecter, Juan Gris arrondit ses formes, et donne du velouté aux volumes. La courbe s’insinue partout, les couleurs sont plus chaudes, les objets gagnent en autonomie. Suit toute une série de natures mortes, merveilles de composition et de simplicité. Dans Compotier et verre (1924, Musée d’art moderne de Troyes), Juan Gris semble avoir oublié la fragmentation cubiste des objets pour ne s’intéresser qu’à l’arrangement dans l’espace d’objets du quotidien. Le recours aux camaïeux de couleurs permet d’unifier la composition. Ce sont là quelques-unes des œuvres les plus importantes de Gris, aussi fortes que celles de ses débuts. Fort heureusement, elles sont aussi les plus représentées dans l’exposition. Elles ne parviennent pourtant pas à éclipser les malheureux portraits où Gris s’égare quelque peu. Plus grands que les natures mortes et bien mis en évidence, ils perturbent l’appréciation flatteuse que l’on peut faire des dernières œuvres de Gris. L’Espagnol voulait-il montrer sa capacité à rivaliser avec les maîtres de la Renaissance ? Contrairement à Picasso, dont l’influence est ici aussi manifeste, le résultat laisse dubitatif.

La trajectoire de Gris n’est cependant pas aussi directe et lisible qu’on vient de la décrire. Ses travaux enregistrent de multiples allers-retours tout en conservant un point commun : un « faire » minutieux et appliqué. La recherche sur Juan Gris mériterait une mise à jour. Cette exposition le montre bien. Maïthé Vallès-Bled, qui a repris les rênes du Musée Paul-Valéry il y a deux ans pour en faire une halte verdoyante et animée, affronte ici un gros morceau. Il n’est pas facile d’obtenir des prêts quand le corpus des œuvres est limité, et comporte moins de 600 numéros. L’exposition manque parfois de consistance, les petits formats flottent sur les vastes murs, mais au total elle est une étape à ne pas omettre. 

Juan Gris, Rimes de la forme et de la couleur

Jusqu’au 31 octobre, Musée Paul-Valéry, 148, rue François Desnoyer, 34200 Sète, tél. 04 99 04 76 16, tlj 9h30-19h. Catalogue, Éditions Au fil du temps, Souyri, 210 p., 36 €, ISBN 978-2-9182-9807-6.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Juan Gris : les années d’après guerre

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