Art contemporain

Tout ce qui brille n’est pas or

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2018 - 865 mots

PARIS

Les accumulations d’objets du quotidien détournés de l’Indien Subodh Gupta, érigé en star internationale de l’art, trouvent un écrin à la Monnaie de Paris qui lui consacre sa première grande exposition en France.

Sudobh Gupta <em>People Tree</em>, 2018, structure et ustensiles en acier inoxydable, 762 x 1082,5 cm, The Donum Estate, Sonoma, California
Sudobh Gupta People Tree, 2018
Photo Monnaie de Paris / Martin Argyroglo

Paris. Quel meilleur endroit que la Monnaie de Paris pour présenter Subodh Gupta ? L’œuvre de l’artiste indien, qui se distingue par le travail du métal et pose la question de la valeur, trouve sous les dorures du palais du quai de Conti un écrin presque naturel. Aussi n’est-on pas surpris d’être accueilli par un trésor dans cette exposition. Mais c’est un Trésor inconnu (2017), un ensemble d’objets dégoulinant d’un récipient accroché en majesté dans l’escalier principal, à la manière d’une corne dont l’abondance est celle d’ustensiles de cuisine pauvres. En face, dans le salon d’honneur, l’immense crâne de casseroles d’inox lui répond par son enflure, faisant de la conjonction du lieu, du système de l’art et de son public un principe de vanité. Intitulée Very Hungry God (Dieu insatiable, 2006), il renvoie à n’en pas douter au dieu que partagent les communautés les plus diverses, celle du monde de l’art en tête, l’argent. Diamants du pauvre (on pense ici au crâne de Damien Hirst), les ustensiles de cuisine en inox, qui sont la signature de l’artiste indien, pointent un aspect central de son œuvre, la cuisine en tant que pratique. Principe alchimique de transformation de la matière brute en émulsion élaborée, c’est aussi un outil de transformation sociale par la rencontre et l’échange.

On se souvient des populaires soupes de Rirkrit Tiravanija. Plutôt qu’une esthétique relationnelle propre au précédent, chez Gupta on reconnaîtra une esthétique des relations : l’artiste cuisinait l’année dernière pour les collectionneurs dans le cadre du Parcours Art Basel. Pas de grand dîner à la Monnaie, principe de disette pour l’institution publique oblige. Au plaisir gustatif, le public substituera le spectacle des objets. En attendant, un vrai verre d’eau accueille le visiteur en signe d’hospitalité. Des mangues en bronze présentées dans une petite fontaine accrochée comme un lave-mains sont également à la disposition du regard dans le vestibule d’entrée. En face, une pâte à pain repose d’un sommeil de bronze, attendant que la levure conceptuelle et les opérations du regard facilitent la permutation de la matière en art.

Un peu après dans le parcours, des piles de casseroles circulent sur une table, à la manière d’un bar à sushi complexe. Faith Matters (2007-2008) : la foi compte, en effet, car les casseroles sont vides et ne servent au regardeur rien d’autre qu’elles-mêmes en tant que récipients, réceptacles de ce dont le public voudra bien charger ces pièces. Une allusion selon l’artiste à la route de la soie et aux nouvelles routes de l’alimentation mondiale. Avec sa barque cabrée dans l’espace et chargée de jarres (L’Eau est dans le pot et le pot est dans l’eau, 2012), c’est le voyage et l’exil qui sont évoqués, même si Gupta précise ne pas se vouloir trop politique et plutôt poétique. Plus loin, des miroirs d’acier inoxydables se mettent à trembler à intervalles réguliers : c’est le son de l’univers qui vibre et vient détruire notre image. Encore un rappel à la vanité.

En fin de parcours, un récipient doré contient une pierre, The Philosopher’s stone, soit la pierre philosophale. On l’aura compris, l’œuvre de Subodh Gupta est celle d’un alchimiste qui change la matière culinaire brute en mets élaboré, rehausse la casserole en inox au statut d’œuvre d’art, bref, transforme le plomb en or. Une démarche dans laquelle on pourrait voir un héritage duchampien tant cette transformation renvoie à la production de la valeur comme conjonction du regardeur, de l’objet et de la décision de l’artiste et qui prend tout son relief dans le contexte de la Monnaie de Paris.

La coqueluche du monde de l’art

Comme les monnaies, les œuvres indexées sur le marché ont une valeur faciale qui détermine leur valeur intrinsèque, et non l’inverse. L’histoire d’une convention entre producteurs et usagers. Mais la métamorphose la plus « miraculeuse » ici reste celle consistant pour ce fils de cheminot (railway boy, comme il se définit) né dans l’État du Bihar, un des plus pauvres d’Inde, à devenir en quelques décennies la coqueluche du monde de l’art, et ce, en assemblant des casseroles en inox. C’est ce par quoi commencent généralement les récits à son propos et ce sur quoi nous finirons. Ce storytelling qui veut qu’un individu parti de rien parvienne à conquérir le monde (de l’art) répond en effet avant tout à la mythologie néolibérale du self-made-man : devenir tout, tout seul, et à partir de rien. Il y va ici de la transformation sociale du commun en or, non pas comme œuvre collective, mais comme opération alchimique individuelle. Aussi n’est-ce pas un hasard si cette œuvre au final correspond par son vocabulaire formel aux standards de l’art à l’ère de la globalisation marchande : tailles démesurées, surfaces lisses et rutilantes, marques de fabrique. Comme Jeff Koons ou Damien Hirst, son travail, bien que porteur d’une histoire très différente, possède la dimension spectaculaire qui satisfera la démesure des collectionneurs milliardaires autant que les pulsions scopiques du grand public.

Subodh Gupta. Adda/Rendez-vous,
La Monnaie de Paris, 11 Quai de Conti, 75006 Paris

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : Tout ce qui brille n’est pas or

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