Art ancien

XVIIIE SIÈCLE

Louis XV, ses passions et les arts de son temps

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2022 - 949 mots

VERSAILLES

À Versailles, l’exposition consacrée à l’arrière-petit-fils de Louis XIV traite rapidement le sujet biographique pour se concentrer sur le goût d’une époque. Le parcours mêle histoire et histoire de l’art, dans une remarquable scénographie.

Vue de l'exposition Louis XV, passions d’un roi, au château de Versailles. © EPV / Thomas Garnier
Vue de l'exposition « Louis XV, passions d’un roi, » au château de Versailles.
© EPV / Thomas Garnier
Courtesy Château de Versailles

Versailles. Pour ouvrir une exposition biographique, rien de plus naturel que de présenter un portrait du personnage principal. Ceux de Louis XV ne manquent pas dans les collections versaillaises, et les commissaires avaient le choix entre, par exemple, un grand portrait du jeune monarque signé Hyacinthe Rigaud et celui d’un Louis XV sexagénaire sous le pinceau léger d’Armand-Vincent de Montpetit, choisi pour la couverture du catalogue. Mais l’entrée de l’exposition est plus audacieuse : le visiteur tombe nez à nez sur une amusante allégorie du roi « Bien aimé », faite de bronze ciselé, d’émail et d’engrenages. C’est la pendule astronomique à laquelle l’ingénieur Claude-Siméon Passemant a consacré quasiment trente ans de travail : un tour de force horloger qui associe un pendule à une sphère planétaire mouvante et un manifeste des arts, avec son décor de feuilles et de rinceaux.

Entre deux restaurations, cette pièce majeure du patrimoine français (sauvegardée par le comité artistique de la Révolution française, « pour la gloire des arts et des sciences ») vient donner le ton d’un parcours qui cherche l’époque et le goût derrière le monarque. Avec ses pieds anthropomorphes et sa tête en forme de système solaire, la pendule est un vrai portrait chinois du règne de Louis XV : on y retrouve la science, qui se donnait quotidiennement en spectacle à la cour, et les arts, à travers cette technique particulière du bronze doré et ciselé, dessinant le motif végétal libre caractéristique du style rocaille.

L’art rocaille en majesté

L’accrochage très aéré sied à ce style artistique, pourtant caractérisé par son aspect « surchargé ». C’est toute la réussite de la scénographie proposée par Martin Michel (récemment auteur des parcours « Au pays des monstres, Léopold Chauveau » au Musée d’Orsay) et du choix d’œuvres des conservateurs Yves Carlier et Hélène Delalex : l’art rocaille, ou rococo, respire enfin. Il en va de même pour une pièce incontournable, venue de la Wallace Collection de Londres : la commode de la chambre de Louis XV, œuvre de l’ébéniste Antoine Robert Gaudreaus et de l’orfèvre Jacques Caffieri, s’épanouit sur soixante mètres carrés de moquette (*) qui lui sont entièrement réservés. Un retour versaillais confortable pour ce meuble emblématique du style Louis XV.

Ces œuvres ne perdent-elles pas leur sens, extraites de leur contexte et de l’accumulation du mobilier des palais ? On peut arguer, au contraire, que cette vision du style rocaille lui rend sa nature profonde : un travail d’ornemaniste, de dessinateur, misant sur les progrès de l’ébénisterie pour que les inventions fantaisistes puissent être fabriquées. Avant d’être perçus sous leur forme de bronze et de bois, les motifs rocailles existent d’abord dans des recueils gravés, circulant dans toute l’Europe, le public découvrant alors des formes irréalistes, dissymétriques, mais donnant le sentiment du mouvement spontané de la nature. C’est cet émerveillement et cette liberté que l’on retrouve en observant, par exemple, la paire de lustres venue de la bibliothèque Mazarine, à hauteur de regard. L’observation privilégiée et rapprochée d’une autre œuvre de Jacques Caffieri donne la mesure du travail d’invention et de dessin, plus difficilement perceptible quelques mètres au-dessus du sol.

Une scénographie pertinente

La scénographie guide le visiteur dans ce parcours dominé par le style rocaille (le néoclassique, imposé par Madame Du Barry à la fin du règne de Louis XV, arrive en fin de parcours). Bien individualisées, les salles s’organisent le plus souvent autour d’une œuvre phare (une grande machine à électricité dans la salle consacrée aux sciences, un assortiment des statues de places royales dans celle dévolue à l’architecture…) et déclinent sur chaque mur une thématique précise. Le bandeau blanc peint au sommet des cimaises permet à cet accrochage économe, mais efficace, de ne pas flotter dans deux mètres cinquante de fond coloré. Cette « éditorialisation » de chacun des murs empêche le visiteur de passer à côté de certaines œuvres majeures, les dessins notamment, comme les écorchés de cheval signés Edmé Bouchardon pour l’étude des statues équestres : cinq sanguines d’exception.

Un roi dévot et débauché

La concision de la première partie consacrée à la biographie du souverain est également appréciable. La personnalité de Louis XV est incarnée dans la grande salle traitant de son héritage dynastique : à gauche de cet arbre généalogique, un passage consacré aux soirées et aux amours du roi, à droite, une grande vitrine sur son rapport à la religion. Parcourant les vingt mètres qui séparent ces deux thématiques, le visiteur pourra se faire son idée sur ce souverain tout à la fois dévot et débauché.

Faisant la part belle aux objets d’art, le parcours comporte également quelques excursus historiques bien documentés. Dans un petit cabinet noir, on suit l’attentat perpétré contre le roi par Robert-François Damiens en 1757, des effets personnels du criminel jusqu’à son exécution sordide. Un passage livre les coulisses du choix de Marie Leszczynska pour épouser Louis XV : les archives montrent son nom perdu dans une liste d’une cinquantaine de prétendantes. On pourra seulement regretter que la salle consacrée au Parc-aux-Cerfs ne fasse pas preuve de la même précision historique : ce quartier versaillais où un trafic de jeunes filles était organisé au profit du roi est pudiquement évoqué par une odalisque et une belle étude de pied de François Boucher. Seul faux pas dans ce parcours, où grande histoire et histoire du goût se complètent parfaitement.

Précision - 7 novembre 2022

(*) La commode de Louis XV n'est pas présentée sur une simple moquette, mais sur un grand tapis commandé par le Garde-meuble royal à la Manufacture royale de la Savonnerie en 1750.

Louis XV, passions d’un roi,
jusqu’au 19 février 2023, Château de Versailles, Place d’Armes, 78000 Versailles.
Louis XV, passions d'un roi

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°598 du 4 novembre 2022, avec le titre suivant : Louis XV, ses passions et les arts de son temps

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