Le Musée Guimet présente l’avancée de la recherche sur ces bronzes anciens dans un parcours érudit et didactique.

Paris. Des temples majestueux aux sculptures figées dans la pierre, l’architecture d’Angkor exerce une fascination universelle. En revanche, les divinités et objets de culte en bronze qui occupaient, jadis, ces sanctuaires restent un pan plus méconnu de l’art khmer. En se focalisant sur cet art du bronze, le Musée Guimet explore un sujet de recherche encore relativement récent. Et c’est cette tonalité scientifique qui prime dans l’exposition, avec un accent mis sur les secrets de fabrication que révèlent ces précieux bronzes, conservés en plus petit nombre car bien souvent victimes de refontes et pillages.
Contrairement à ce que suggère son titre, l’exposition ne se cantonne pas à Angkor, glorieuse capitale du royaume khmer du IXe au XVe siècles. Pour mieux contextualiser cette foisonnante période, elle opte plutôt pour un parcours chronologique qui retrace toute l’histoire de l’art du bronze au Cambodge, des vestiges protohistoriques jusqu’à l’artisanat contemporain. L’exposition s’ouvre donc sur un retour aux sources de la métallurgie du cuivre, mettant le focus sur un complexe minier récemment découvert et le processus de fabrication des bronzes. Une entrée en matière assez ardue, mais contrebalancée par la pédagogie du parcours, jalonné de cartes, moulages, schémas, films reconstituant l’aspect originel de certaines statues (parfois dorées au mercure) et radiographies qui dévoilent leur composition. L’exposition maintient ainsi un certain équilibre entre connaissance scientifique et plaisir de visite, en s’adressant aussi bien aux spécialistes qu’aux amateurs.

Au total, plus de 200 œuvres, objets et pièces architecturales sont rassemblés, dont plus de la moitié venue tout droit du Musée national du Cambodge (Phnom Penh). « Il n’y a jamais eu, je pense, autant de bronzes khmers réunis dans une même exposition », se réjouit Brice Vincent, maître de conférences à l’École française d’Extrême-Orient (EFEO), qui assure le commissariat avec Pierre Baptiste (conservateur au Musée Guimet), Thierry Zéphir (ingénieur de recherche au Musée Guimet) et David Bourgarit (ingénieur de recherche au Centre de recherche et de restauration des musées de France – C2RMF). Clou de l’exposition, le célèbre Vishnou (voir ill.) du Mébon occidental, chef-d’œuvre de l’art khmer, est relégué dans le hall d’entrée du musée du fait de sa taille : de six mètres de long à l’origine, le buste retrouvé dépasse les deux mètres. Découvert au cœur d’un sanctuaire du XIe siècle en 1936, il s’agit du plus grand bronze connu jamais fondu à Angkor. Et si la statue a déjà voyagé en France par le passé, ses fragments sont ici reconstitués pour la première fois à l’aide d’un ingénieux soclage, au terme de cinq mois de restauration menée par le C2RMF (un méticuleux travail présenté en toute fin de visite).

Du reste, la sélection est finement choisie : plusieurs statues récemment restituées au Cambodge sont mises en lumière, d’autres sont remontées et exposées pour la première fois. Représentations de Shiva, de Bouddha, de Vishnou côtoient sources archéologiques et épigraphiques variées. Plus loin, les objets rituels en bronze abondent : miroir, candélabre, encensoir en forme de lotus… « L’idée, ce n’est pas seulement de mettre l’accent sur la technique de ces bronzes. C’est d’adopter des approches complémentaires : iconographique, stylistique, archéologique, technologique… », soutient Brice Vincent. Mais s’il est vrai que cette succession chronologique permet de déceler des reprises de motifs, de subtiles différences entre les périodes, ces caractéristiques stylistiques auraient toutefois pu être mises en avant plus explicitement. De même, les informations fournies sur l’iconographie restent rudimentaires, parfois éclipsées par le volet technique. Les objets ne sont pour autant pas dépossédés de leur contexte liturgique, qui est recréé jusque dans la scénographie imaginée par Marco Magni. L’éclairage tamisé, qui nuit parfois à la lisibilité des œuvres et des cartels, et les jeux de formes architecturales évoquent l’intimité de la cella (où trônaient les statues des divinités). Une belle immersion dans l’univers de ces temples, foisonnant de vie et de croyances.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Les bronzes khmers sous le prisme scientifique