Le château retrace avec pertinence la vie méconnue du fils de Louis XIV en réunissant les œuvres prestigieuses qui l’entouraient.

Versailles (Yvelines). Dans l’ombre du Roi Soleil, il y a son fils, le Grand Dauphin (1661-1711). S’il n’a jamais accédé au trône de France, celui qu’on appelait Monseigneur reste le seul enfant légitime de Louis XIV à avoir atteint l’âge adulte. Le rôle-clé qu’il occupe dans la cour royale ne l’empêche pas de souffrir d’une mauvaise réputation, et surtout d’une bien faible postérité. Mais comme souvent, méconnu ne rime pas avec inintéressant : en lui consacrant une toute première exposition, le château de Versailles met en lumière un personnage certes moins flamboyant que son père, mais digne d’intérêt à bien des égards. L’exposition dresse le portrait d’un prince éduqué, esthète, fin collectionneur. Ces multiples facettes sont présentées dans un parcours bien articulé qui retrace toute la vie du Grand Dauphin, de sa naissance célébrée en grande pompe à Fontainebleau jusqu’à sa disparition soudaine, à l’âge de quarante-neuf ans. Le tout avec clarté, en optant pour une division tripartite qui reprend la formule acerbe du mémorialiste Saint-Simon qui décrivait le prince en ces termes : « Fils de roi, père de roi, et jamais roi ».
De son éducation (moderne pour l’époque) à sa formation à l’art de la guerre, en passant par la constitution de sa descendance et la maturation de ses goûts en arts décoratifs…, l’exposition est dense mais ne submerge pas pour autant. Le Dauphin n’étant pas connu pour ses faits d’armes, l’axe est somme toute moins politique que sociétal, ce qui le rend d’autant plus accessible pour le visiteur. Le choix d’accrocher un portrait du prince à chaque section du parcours cible bien le propos, formant une sorte de frise visuelle signée par les artistes les plus en vue, de Pierre Mignard (1612-1695) à Hyacinthe Rigaud (1659-1743).

Loin de se cantonner à la galerie de portraits, l’exposition rassemble un large éventail d’œuvres : tapisseries, mobiliers, ouvrages richement illustrés, objets décoratifs… Sur fond bleu roi se détache un très précieux manuscrit enluminé consignant les prières à prononcer lors d’une naissance royale. Plus loin, dans une atmosphère rouge cramoisi cette fois-ci, se déploie le jeu de cartes élaboré avec lequel le prince enfant apprenait à reconnaître les blasons des grandes familles d’Europe.
Parmi les 250 pièces exposées, la part belle est faite aux objets dont le Grand Dauphin s’était entouré de son vivant, aujourd’hui conservés au Louvre, au Musée du Prado (Madrid) ou disséminés dans d’autres institutions et collections privées. Plusieurs œuvres inédites ressortent de cette riche sélection, présentées en France pour la première fois, à l’instar d’un superbe portrait d’apparat du jeune Dauphin retrouvé dans une collection privée espagnole. Mais la partie la plus remarquable reste, sans conteste, celle qui réunit certaines des pièces exceptionnelles que le prince mécène avait acquis pour décorer ses résidences : grands bronzes florentins (voir ill.) issus de la Wallace Collection de Londres (qui retrouvent ici leurs piédestaux d’origine), mobilier en marqueterie, porcelaines de Chine, vases de cristal, gemmes, pierres précieuses…

« C’est une exposition qui se veut à la fois d’histoire, puisque l’on met l’éclairage sur une personnalité historique, mais aussi de beaux-arts. À travers les collections du prince, nous interrogeons la question du goût au Grand Siècle, celle de l’évolution du style, souligne Lionel Arsac, conservateur au château de Versailles et commissaire de l’exposition. Par les lieux qu’il a décorés, par les travaux qu’il a ordonnés, le Dauphin fait le pont entre le style Louis XIV et le style des jeunes années de Louis XV. Il a été l’un des grands mécènes de ce renouveau des arts aux alentours de 1690-1700. » Ainsi, une paire de commodes finement plaquées d’ébène et d’amarante, joyaux de la collection personnelle du roi Felipe VI, ont quitté l’Espagne pour la première fois. Le mythique cabinet des glaces, la plus célèbre des pièces de l’appartement versaillais du Dauphin, aujourd’hui disparu, est quant à lui évoqué dans une salle miroitante à la lumière tamisée, qui dévoile entre autres le plus ancien vase chinois attesté en Europe (daté du XIIIe siècle).
Parmi ses points forts, l’exposition pousse loin la recherche dans la restitution de tous ces décors perdus. La scénographie, signée Philippe Pumain, y joue un rôle non négligeable : les peintures de Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681) qui ornaient l’appartement du Grand Dauphin aux Tuileries, démantelé depuis, retrouvent ici leur disposition originelle sur les cimaises. De même, l’architecture du château de Meudon, la résidence favorite du prince, est reproduite sur les murs, tandis que tableaux, statues et dessins des jardins redonnent vie au domaine royal aujourd’hui disparu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Versailles réhabilite le Grand Dauphin





