Musée

XIXE SIÈCLE

L’autre visage de Corot

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 28 février 2018 - 876 mots

Le Musée Marmottan Monet s’attache aux portraits et figures de fantaisie du peintre plus connu pour ses paysages mélancoliques. Des œuvres alors destinées à ses recherches formelles, qui font aujourd’hui preuve d’une certaine modernité.

Paris. Moins connues que les paysages ou les « souvenirs », les figures de Camille Corot (1796-1875) sont pourtant la coqueluche des historiens de l’art. Le peintre les montrait peu, sauf à sa famille et ses amis quand il s’agissait des portraits, et à des peintres et amateurs d’art venus à son atelier pour ce qui est des figures de fantaisie. Si les critiques du temps ne leur accordaient pas d’importance, elles ont été remarquées à la vente après décès de l’artiste et ont fait l’objet d’études par la suite. Au point que le Louvre, qui conserve La Femme à la perle (1868-1870) et La Dame en bleu (1874), a organisé en 1962 l’exposition « Figures de Corot ». Plus de cinquante ans après cette démonstration et plus de vingt ans après la rétrospective Corot présentée au Grand Palais (1996), le Musée Marmottan Monet redonne la main au Louvre avec une exposition consacrée aux portraits, dont Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du Louvre, est le commissaire.

Dans l’intimité de l’atelier

À travers une soixantaine d’œuvres est dévoilée la face plus secrète du travail de Corot. De fait, si ses contemporains s’amusaient de ce qu’ils nommaient les « semaines du modèle » pendant lesquelles le peintre vieillissant s’accordait la présence d’un modèle à longueur de journée dans son atelier, on sait aujourd’hui ce qu’il en faisait : en le peignant, il interrogeait la modernité. Confronté à Courbet, Degas, Manet et sa propre élève, Berthe Morisot, Corot essayait, la brosse à la main, de comprendre la « nouvelle peinture ». Non pas en l’imitant, mais en allant chercher en lui-même une inspiration qui s’exprimait dans la figure. Ce qui explique la force de La Lecture interrompue (1870), mais aussi que La Dame en bleu puisse passer pour une œuvre impressionniste, que Le Moine au violoncelle (1874) évoque pour nous un Cézanne et que L’ItalienneouFemme au manchon jaune (vers 1870) ait appartenu au peintre du XXe siècle Lucian Freud.

Une autre raison poussait Corot à représenter des personnages. Pour camper les petites figures de ses paysages habités, il croquait les gens de la rue ou les faisait venir dans son atelier. À Paris, il engageait des modèles qu’il costumait ou qui, parfois, posaient nues. Il semble qu’à la fin de sa vie, ces études aient pris leur autonomie. Il ne s’agissait pas de portraits – bien que l’on reconnaisse souvent les modèles – mais de figures de fantaisie, comme il en existait au XVIIIe siècle, qui exprimaient des émotions, des états d’âme, tout comme ces paysages qu’il appelait « souvenirs ». Les différentes versions de L’Atelier (entre 1865 et 1873), où une femme en robe italienne est confrontée à un paysage posé sur un chevalet pourraient donc être conçues comme une mise en abyme.

L’exposition du Musée Marmottan montre tous ces aspects. Elle débute par un paysage, Tivoli. Les Jardins de la Villa d’Este (1843), que Berthe Morisot a copié et que sa fille, Julie, a acquis et donné au Louvre. Il constitue donc, lui aussi, une sorte de mise en abyme, puisque le Musée Marmottan conserve le premier fonds mondial d’œuvres de Berthe Morisot, comme le rappelle le directeur du musée, Patrick de Carolis, dans l’avant-propos du catalogue. Suivent les portraits de la famille et d’amis de Corot à l’inspiration ingresque, réalisés dans la jeunesse du peintre, puis les figures italiennes du début de sa carrière, répertoire de personnages pouvant être intégrés à des paysages. Ensuite vient une section « Autour du modèle » avec des figures d’étude encore très proches du portrait datant des années 1830 aux années 1850.

C’est avec Emma Dobigny, un modèle professionnel qui commence à poser pour Corot dans les années 1860, que se fait la transition vers la figure de fantaisie. La jeune femme apparaît dans La Jeune Grecque (vers 1868-1870) et on la retrouvera, en toute fin de parcours, dans La Dame en bleu (1874). Une suite de « Variations poétiques » (Italiennes, liseuses…) mène aux figures à mi-corps dans lesquelles le peintre confronte l’héritage des maîtres de la Renaissance à la modernité. C’est le cœur de l’exposition.

La suite, moins convaincante, présente les figures masculines – soldats en armure et moines –, puis les nus mythologiques. Plusieurs figures féminines sont rapprochées sous le seul prétexte qu’elles appuient leur visage sur leur main. La Madeleine lisant (1854) voisine avec La Zingara au tambour de basque (1865-1870) sans raison apparente. Le visiteur retrouve le fil lorsque vient la section « Les ateliers : une réflexion sur l’art du peintre ».

Dans cette exposition, qui comporte de nombreux cartels augmentés et est dotée d’un catalogue érudit, il y a beaucoup d’œuvres à découvrir ou à revoir avec un œil neuf. On peut cependant regretter l’absence de L’Italienne Maria di Sorre (1825-1828) qui appartenait à Picasso, des très modernes Portrait de jeune fille (1850 ou 1859) et L’Étude (vers 1868) de la National Gallery de Washington, ou de dessins provenant des albums conservés au Louvre où Corot notait les attitudes qu’il reprendrait pour ses figures de fantaisie.

 

Corot, Le peintre et ses modèles,
jusqu’au 8 juillet, Musée Marmottan-Monet, 2 rue Louis-Boilly, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : L’autre visage de Corot

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