Art déco

XXE SIÈCLE / EXPOLOGIE

Art déco, un centenaire revisité

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 21 novembre 2025 - 1078 mots

Le Musée des arts décoratifs s’attache davantage à montrer ce qu’est l’Art déco qu’à raconter l’exposition de 1925.

Chaise et table à journaux signés Clément Rousseau (1921), Pare-feu de Clément Mère (1923). © Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière
Chaise et table à journaux signés Clément Rousseau (1921), Pare-feu de Clément Mère (1923).
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Paris. Dans la nef du Musée des arts décoratifs (MAD), une représentation grandeur nature d’un wagon de l’Orient-Express est posée verticalement. Le propos est de présenter des maquettes à l’échelle 1 des aménagements dessinés par Maxime d’Angeac pour le nouvel Orient-Express qui circulera à partir de 2027. Orient Express, et donc le groupe Accor qui « orchestre la renaissance du mythe », comme le spécifie le dossier de presse, est le partenaire principal de l’exposition commémorant l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes présentée en 1925 à Paris. Il faut en réalité monter dans les étages pour admirer un millier d’objets évoquant cette manifestation au sein de laquelle, précise Anne Monier Vanryb dans le livre accompagnant l’exposition, « les œuvres présent[ai]ent des esthétiques variées et dont les artistes poursuiv[ai]ent des buts divers ».À l’époque, cet art « n’a pas de nom », comme le remarquait Henri Clouzot dans le Guide Paris arts décoratifs, 1925 (Hachette, 1925), mais chacun sent qu’une modernité s’y affirme – l’Exposition accueillera 15 millions de visiteurs.

Plutôt que de donner une idée de ce qu’a été l’Exposition de 1925, Bénédicte Gady, Anne Monier Vanryb et Emmanuel Bréon ont choisi de s’adresser à un large public en montrant ce que, depuis 1966, l’on s’accorde à nommer « Art déco ». Certes, sept affiches de 1925 témoignent d’entrée de la multiplicité de styles présents à l’Exposition. Mais dans la première salle, les dessins et photos de bâtiments emblématiques (le pavillon Pomone et celui de la Manufacture de Sèvres), le Chapeau cloche (1925) de Jean Dunand, le Service à thé et à café en argent et ébène de Macassar (1923) de Jean Puiforcat et deux robes (Robe du soir portée par Mademoiselle Marcelle Frantz Jourdain […] (1925) de Frantz Jourdain et Robe du soir Maharanée (1925) de Jeanne Lanvin) présentées à côté du paravent L’Oasis (1924), d’Edgar Brandt et Henry Favier, suffisent à recentrer l’attention sur l’Art déco tel que nous le connaissons.

De nombreuses sources

Très riche en objets magnifiques, dont la plupart appartiennent au MAD, le parcours présente les prémices, les influences, les artistes, marques et amateurs qui ont fait ce style. L’importance du cubisme dans sa construction est abordée en plusieurs endroits. Des focus sur sa grammaire visuelle mettent en exergue le motif de la corbeille de fruits hérité du XVIIIe siècle, le retour à l’Antiquité ou encore l’appétence pour les arts d’ailleurs (Afrique, Asie). Pour évoquer les 150 bijoux et accessoires que la marque exposait au pavillon de l’Élégance, le joaillier Cartier (autre partenaire de l’exposition) a rassemblé près de 70 bijoux et dessins datant de 1909 à 1939. Les period rooms« Chez Nelly de Rothschild » et « Chez Jacques Doucet » montrent de prestigieux intérieurs Art déco sans lien avec l’Exposition de 1925.

On y retourne pourtant dans une section consacrée à la Société des artistes décorateurs (SAD) qui a conçu l’espace (deux appartements et une galerie) nommé « Une Ambassade française ». « Membres ou non de la SAD, précise le texte de salle, tous les décorateurs sont appelés à soumettre des projets pour décorer ces pièces, puis à voter pour leur attribution. Grâce à ce concours insolite, la SAD expose une très grande diversité de propositions esthétiques, en un éclectisme assumé et parfois critiqué. » On peut voir la toile Les Métiers de la décoration. Le mobilier (1925) d’Henri Rapin qui figurait dans la Cour des métiers sur laquelle s’ouvrait Une Ambassade française. Or, Robert Mallet-Stevens, chargé d’aménager ces pièces, avait dû renoncer aux œuvres de Fernand Léger et de Robert Delaunay qu’il voulait y faire figurer en raison du veto de la SAD, dont faisait partie le peintre Rapin. Il est dommage que « l’affaire de la Cour des métiers », telle qu’on l’a appelée, ne soit pas évoquée et que l’Exposition de 1925 apparaisse beaucoup plus consensuelle qu’elle ne l’était en réalité.

Après avoir consacré un important chapitre aux grands noms de l’Art déco que sont Jacques-Émile Ruhlmann et Pierre Chareau, le parcours s’ouvre tout de même sur une salle intitulée « Contemporains, modernes ou modernistes ? ». Y est évoquée la « multitude de tendances qui traversent l’Art déco » puis « la création de l’Union des artistes modernes en 1929, réunissant des grands noms de l’Art déco mais aussi l’entourage de Le Corbusier et de Charlotte Perriand, [qui] clarifie les oppositions. Se distinguent alors les tenants d’un luxe décoratif et les avocats d’une production rationalisée de masse ». Consacrée à ce « luxe pauvre » que fut la production moins élitiste d’Eileen Gray, de Jean-Michel Frank et de Francis Jourdain, qui ne participaient pas nommément à l’Exposition, la fin du parcours effleure à peine le rôle des grands magasins, lesquels exposaient en 1925. S’appuyant sur sa prestigieuse collection, le MAD montre l’Art déco en tant que construction a posteriori d’un style qui perdure aujourd’hui, au moins pour le partenaire Orient Express, et non les enjeux et contradictions de l’Exposition de 1925.

Le rôle capital des régions françaises à l’Exposition de 1925  


Valence (Drôme). Où se nichait la modernité qui, en 1925, a ébloui les visiteurs de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes ? Dans une broche de Boucheron ou un meuble d’André Groult. Mais aussi sur des gants ou de la vaisselle de céramique craquelée. « À Valence, qui possède un héritage architectural Art déco, explique Ingrid Jurzak, directrice du musée et commissaire de l’exposition avec Sung Moon Cho, nous avons voulu dire comment, dans les régions, l’Art déco a irrigué les productions architecturales et d’arts décoratifs, mais aussi de quelle manière les créateurs, les artisans des provinces se sont appropriés ces formes et les ont synthétisées avec des formes plus traditionnelles, vernaculaires. » Une « Maison de la Bretagne » présentait ainsi l’artisanat traditionnel de dentelles, faïences, textiles, reliures et mobilier revisité par le groupe d’artistes Ar Seiz Breur. Un « Studio basque » et la galerie des ensembles mobiliers français montraient les créations de Benjamin Gomez, le pavillon des Alpes-Maritimes affichait le style architectural méditerranéen synthétique de Charles Delmas que traduisaient les meubles de Clément Goyenèche. Les rubaniers de Saint-Étienne et les soyeux lyonnais rivalisaient de créativité, la manufacture de porcelaine Ahrenfeldt de Limoges innovait avec le décor « Rayons-nuages » de Jean Luce tandis que se développait un style rustique dans les grès ou les faïences. C’est cette double esthétique, encore très présente dans l’architecture des régions françaises, que met en valeur cette passionnante exposition.


L’Art déco des régions. Modernités méconnues,

jusqu’au 11 janvier 2026, Musée de Valence, 4, place des Ormeaux, 26000 Valence.

1925-2025. Cent ans d’Art déco,
jusqu’au 26 avril 2026, Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°665 du 14 novembre 2025, avec le titre suivant : Art déco, un centenaire revisité

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque