Art déco

L’Art Déco

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 25 novembre 2025 - 1117 mots

Une exposition au Musée des arts décoratifs nous emmène au cœur des Années folles. Avec mille créations, c’est une invitation à mieux comprendre l’Art déco, à l’occasion du centenaire de l’Exposition internationale qui a propulsé ce style moderne, audacieux et raffiné sur le devant de la scène mondiale.

1. Consécration d’un style résolument moderne

En 1925, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes marque à Paris l’apogée de l’Art déco. Celui-ci s’est développé pourtant dès le début du XXe siècle, en réaction à l’Art nouveau. En 1908, « le point de départ est sans doute le texte de l’architecte Adolf Loos Ornement et Crime», avance Anne Monier Vanryb, conservatrice au Musée des arts décoratifs de Paris et commissaire de l’exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco ». À travers ce violent pamphlet qui est édité en langue française par Le Corbusier en 1920, l’auteur s’emporte contre « le fléau ornementaliste de l’art ». Dans l’Art nouveau, l’ornement crée l’objet. Par exemple, l’accoudoir d’une chaise est une plante qui s’enroule sur elle-même. Dans l’Art déco, les formes se géométrisent et le décor est cadré par la forme de l’objet. Préparée dès les années 1910 par les décorateurs français et plusieurs fois reportée notamment à cause de la guerre, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes présente ainsi une réponse de la création française à la question de l’ornement, à rebours du fonctionnalisme radical du Bauhaus allemand.

2. L’héritage du grand style français

On le compare souvent à Jean-Henri Riesener (1734-1806), qui fut l’ébéniste favori de Marie-Antoinette. « Jacques-Émile Ruhlmann, décorateur des élites, génial maître des essences rares et de l’ivoire, incarne une certaine idée de l’Art déco français », souligne Anne Monier Vanryb. Surnommé le « Pape de l’Art déco », Ruhlmann (1879-1933) porte une attention particulière aux techniques, comme en témoignent les marqueteries d’ivoire et de bois précieux ou les délicats filets de bronze doré de ce Cabinet État rectangle fleur de 300 kg, très ostentatoire. Ce meuble, qui fut installé en 1926 à l’Élysée où il est resté une vingtaine d’années, affiche par ailleurs la grammaire visuelle de l’Art déco, qui regarde vers le XVIIIe siècle. Son décor floral reprend ainsi un motif caractéristique du siècle de Louis XVI. Ces roses revisitées, très stylisées, constituées de spirales enchâssées, sont devenues un décor typique de cet art qui s’est développé en réaction aux arabesques de l’Art nouveau.

3. Le soft power de l’Art déco

Va-t-il prendre vie, se mettre à marcher, se blottir contre nous ? Ce chiffonnier anthropomorphe, très organique et sensuel, tranche avec les lignes géométriques que l’on associe généralement à l’Art déco, dont il est pourtant le trésor du genre. Réalisé en 1925 par André Groult (1884-1966), il a été présenté au sein de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, en 1925. La Société des artistes décorateurs, à laquelle appartient la majeure partie des artistes décorateurs français de l’époque, y avait une carte blanche pour concevoir l’ameublement d’une ambassade française. « Il s’agissait de présenter un art censé promouvoir l’image de la France. Aucune ligne directrice n’a été donnée, si bien que les créations retenues ont été d’une grande diversité », indique Anne Monier Vanryb. Au sein du pavillon de l’ambassade française, ce meuble gainé de galuchat – peau de poisson tannée et poncée très délicatement pour faire apparaître de petits grains, selon une technique utilisée au XVIIIe siècle pour de petits objets de luxe – prenait place dans la chambre de Madame, pièce aux tons pastel, où était accroché un tableau de Marie Laurencin (1883-1956).

4. Des bijoux libérés

Adieu les corsets ! Au début du XXe siècle, les femmes se libèrent, portent des robes fluides. Leurs bras se dénudent, favorisant par exemple l’essor des montres-bracelets. « Des bijoux d’un genre nouveau accompagnent la libération des femmes, en particulier après la Première Guerre mondiale, lorsque celles qui ont remplacé les hommes dans les usines ont conquis des libertés nouvelles », souligne Mathieu Rousset-Perrier, co-commissaire de l’exposition du Musée des arts décoratifs. Ce nécessaire mesurant 14 cm de long et 3 de large contient un rouge à lèvres, un compartiment pour la poudre et un petit miroir. Il accompagne l’avènement d’une mode nouvelle, celle de se remaquiller dans l’espace public, au théâtre ou au restaurant. Porté au doigt grâce à un anneau, cet objet aux allures de bijou révèle aussi les influences asiatiques du style Art déco, qui s’impose dans la joaillerie dès le tout début du XXe siècle – « alors même que l’Art nouveau avait peu marqué les bijoux portés par les femmes », souligne Mathieu Rousset-Perrier. Si les joailliers s’inspirent désormais des formes géométrisées des arts orientaux, ils n’hésitent pas non plus à intégrer des apprêts dans leurs créations. Les deux plaques de jade de ce nécessaire, rapportées de Chine, en témoignent.

5. L’Art déco du quotidien ?

Coûteuses, très travaillées, la plupart des créations de l’Art déco s’avèrent réservées à une élite. Pourtant, des décorateurs, des architectes et des artistes réfléchissent à la question de sa démocratisation et à la possibilité d’une production en série, qui pourrait être diffusée dans les grands magasins. En 1929, un certain nombre d’entre eux – Francis Jourdain, Eileen Gray, Charlotte Perriand, Le Corbusier ou encore Sonia Delaunay – fondent l’UAM, Union des artistes modernes, en réaction contre un Art déco jugé trop luxueux et élitiste. Certains membres de ce groupe s’intéressent à la rationalisation de la production pour le peuple. D’autres, à l’instar d’Eileen Gray ou Charlotte Perriand, réfléchissent ainsi à des pièces de mobilier, mais sans visée sociale. « Après avoir créé des pièces en laque très précieuses, Eileen Gray se lance ainsi dans la fabrication de pièces de mobilier très rationnelles, censées s’intégrer et se fondre dans l’architecture, comme cette coiffeuse », observe Anne Monier Vanryb.

6. L’Orient-Express

Somptueux et raffiné, il traverse l’Europe, de Paris à Vienne, puis Venise et Constantinople. Dans les années 1920, grâce à des décorateurs comme René Prou pour la marqueterie ou René et Suzanne Lalique pour la verrerie, le train de l’Orient-Express, véritable palais roulant imaginé dès 1883 par Georges Nagelmackers (1845-1905), devient un manifeste de l’esthétique Art déco. Un siècle plus tard, l’architecte et designer français Maxime d’Angeac (né en 1962) est missionné par le groupe Accor pour réimaginer et restaurer ce train mythique, dont 17 voitures ont été retrouvées. Pour cela, il ressuscite le savoir-faire des ensembliers des années 1920 à travers une interprétation contemporaine des luxueux décors de l’Orient-Express. Plutôt que de reconstituer à l’identique les décors qui ont été abîmés, Maxime d’Angeac a choisi de leur rendre hommage. Il a conçu par exemple un décor en broderie de bois : cette technique indienne inconnue dans l’Art déco se situe dans la filiation de ce style partageant un même goût pour la préciosité des savoir-faire artisanaux.

« 1925-2025. Cent ans d’Art déco »,
Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris-1er, jusqu’au 26 avril 2026, madparis.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°791 du 1 décembre 2025, avec le titre suivant : L’Art Déco

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