Italie - Biennale

Une Biennale de Venise au diapason de l'époque, numérique et globale

Par Anne-Cécile Sanchez · lejournaldesarts.fr

Le 10 mai 2019 - 696 mots

VENISE / ITALIE

Alors qu’à Venise, la grand-messe de l’art contemporain ouvre demain ses portes au public, les premières impressions sont celles d’un événement qui a su intégrer le numérique dans une manifestation internationale à l’éclectisme assumé, mais sans réelle direction.

El Anatsui dans le pavillon du Ghana, à l'Arsenale © Photo  F. Simode, le 9 mai 2019
El Anatsui dans le pavillon du Ghana, à l'Arsenale
© Photo F. Simode / L'OEil, le 9 mai 2019

Un drapeau breton flotte sur la Lagune. Depuis dix ans au fronton de la Pointe de la Douane, il pourrait laisser penser que le propriétaire des lieux fait la pluie et le beau temps à Venise. Il n'en est rien. Les invités de la soirée donnée comme chaque année par François Pinault sur l'île de san Giorgio Maggiore en ont fait la désagréable expérience : des averses persistantes ont jeté un froid sur les festivités et si parmi elles le stand de crêpes a rencontré un vrai succès, beaucoup de ces frileux happy few se sont réfugiés à l’hôtel Bauer pour un dernier verre.

C'est également sous une ondée glaciale qu'une petite foule s'était massée quelques heures auparavant aux Giardini devant le pavillon français pour son inauguration officielle. Il en aurait fallu davantage pour doucher l'enthousiasme de Laure Prouvost, visiblement émue au moment de lire son discours, sous l'œil inquiet du ministre de la Culture Franck Riester. Celui-ci a salué dans le travail de l'artiste « un monde fluide marqué par la liquidité, les échanges, l'ouverture ». Reste que le lendemain une interminable file d'attente s'étirait devant le pavillon, conséquence d'un bouche-à-oreille positif autant que d'une temporalité peu compatible avec l'écoulement des flux de circulation. Le film au centre de l'installation Deep Sea Blue surrounding you / Vois ce bleu profond te fondre dure en effet vingt minutes pour une jauge de quelques dizaines de personnes à peine. Condensé d'un road trip entre Roubaix et Marseille, il mixe visions urbaines et images de la nature, dans un feuilleté visuel qui éclabousse volontiers la rétine. On peut être, ou pas, sensible à l'humour et à la poésie de Laure Prouvost - on a vu dans la pénombre une larme rouler sur la joue d'un galeriste parisien - toujours est-il que le film, si on veut s'en faire une idée, impose la durée de sa narration et que le public s'attarde plus volontiers dans un cocon obscur. 

File d'attente pour entrer dans le pavillon français à la biennale de Venise © Photo  F. Simode, le 9 mai 2019
File d'attente pour entrer dans le pavillon français à la biennale de Venise
© Photo F. Simode / L'OEil, le 9 mai 2019

Cet effet, d'embouteillage se répétait d'ailleurs à plusieurs endroits de la Biennale, aussi bien dans le parcours de l'exposition internationale que devant certains des 90 pavillons, comme celui du Ghana, bénéficiant au fil des heures d'une popularité de plus en plus forte et présentant une installation de trois écrans diffusant un film de près d'une heure (The Elephant in the Room - Four Nocturnes (2019) de John Akomfrah). Les dispositifs immersifs sont en effet l’une des caractéristiques de cette édition, qui comporte de nombreuses vidéos et pourrait bien, de ce point de vue, être la première Biennale d'art contemporain véritablement passée à l'heure du numérique. Soulignant l'audience accrue de la Biennale au cours de la dernière décennie, son président Paolo Baratta rappelait par ailleurs que ses visiteurs, devenus ses « principaux partenaires » étaient, pour plus de la moitié, âgés de moins de 26 ans. 

Que retenir d'autre de cette édition à l'intitulé sibyllin « May you live in interesting Times » ? Accordant beaucoup de place à des œuvres imposantes, certaines spectaculaires, l'exposition internationale semble au diapason d'une époque avide de sensations.  Même si une tonalité sombre, à défaut de véritable choix éditorial, dessine les contours d'une manifestation en ce sens plus ancrée dans son époque que ne l'était l'édition précédente et qui met en avant des artistes moins nombreux mais néanmoins remarquables. On aimerait pourtant que le registre général soit moins celui du « crash-test émotionnel », pour reprendre la formule utilisée par Ed Atkins à propos d'une de ses séries de vidéos. 

Si elle témoigne de la vitalité de la scène française à travers la présence de plusieurs de ses artistes (Tarek Atoui, Neil Beloufa, Cyprien Gaillard, Dominique Gonzalez-Foerster, Jean-Luc Moulène... ) cette édition se montre, enfin, plus globale que locale. Une artiste italienne, Lara Favaretto, y imprime cependant sa marque avec son installation Thinking Head (2017-2019) nimbant le pavillon central dans une brume opaque de particules d'eau. Jolie métaphore pour une Biennale dépourvue de direction mais de bonne tenue. 
 

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