De nombreux Fonds régionaux d’art contemporain sont confrontés à une saturation de leurs réserves. Leurs ressources leur permettant difficilement de les accroître, certains commencent à limiter les achats d’œuvres volumineuses.

France. Voilà près d’un demi-siècle que les 23 Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) maillant le territoire français prennent le pouls de la création contemporaine. Avec des collections qui avoisinent les 50 000 œuvres, ils constituent le 3e fonds public d’art contemporain du pays. Mais le rythme soutenu des acquisitions – les collections s’accroissent de 2 à 3 % d’œuvres supplémentaires par an, une moyenne largement supérieure à celle des musées – entraîne nécessairement des besoins croissants en espace de stockage : « Nous avons besoin de 20 m² de réserves supplémentaires chaque année », estime Éric Mangion, directeur du Frac Occitanie. Une tendance qui ne semble pas prête de s’inverser, le nombre d’œuvres acquises par les Frac ayant augmenté de 40 % entre 2019 et 2022 (source ministère de la Culture).
« L’engorgement des réserves est un problème rencontré par de très nombreux Frac », ajoute Éric Mangion. En 2025, dix Frac disposent de réserves totalement ou quasiment saturées, et ce, malgré le recours fréquent à des locaux supplémentaires. La situation est, pour certains, plus que critique : les réserves du Frac Champagne-Ardenne (500 m²) sont saturées depuis cinq ans, celles du Frac Réunion (75 m²) depuis plus de trois ans. Six autres Frac ont au moins 30 % d’espace disponible dans l’une de leurs réserves mais courent un risque de saturation dans les prochaines années. La problématique des réserves représente un défi sur le court ou moyen terme pour 70 % des Frac. Seuls sept Frac jouissent d’une certaine marge de manœuvre : le Frac Picardie en raison de la nature de ses collections (il conserve essentiellement des œuvres sur papier) et des lieux comme le Frac Corse et le Frac Île-de-France, lesquels bénéficient depuis peu de nouvelles réserves aux superficies oscillant entre 1 000 et 2 000 m², supérieures à la moyenne des Frac (833 m²).
Bien que certains Frac soient aujourd’hui épargnés par la problématique de l’engorgement des réserves, il y a fort à parier que ce défi les rattrapera dans un avenir proche si leur politique d’acquisition reste inchangée, tant la saturation des réserves ressemble à un« problème sans fin », pour reprendre les mots de Vincent Pécoil, l’ancien directeur du Frac Normandie, en 2024. Car « les réserves sont toujours projetées sur dix ans », rappelle Claire Staebler, directrice du Frac Pays de la Loire, ce qui semble être le nœud du problème.
« Les Frac de “deuxième génération” [n’ont] pas, pour une partie d’entre eux, réglé à long terme, ni même parfois à moyen terme, la question des réserves », concluait le rapport de la mission prospective sur les Frac réalisée par l’Inspection générale des affaires culturelles (IGIAC) en 2021. Leurs bâtiments, construits au début des années 2010 pour répondre à l’enjeu croissant de la conservation des collections, disposent pour beaucoup de réserves très encombrées en 2025. Les réserves de 900 m² du Frac Sud à Marseille font déjà face à un taux de remplissage supérieur à 90 %, douze ans seulement après l’inauguration de son bâtiment. Même constat du côté du Frac Franche-Comté, installé à la Cité des arts de Besançon depuis 2013, et dont les réserves de 380 m² affichent un niveau de remplissage « inquiétant » d’après Virginie Lemarchand, responsable de la collection. Au Frac Bretagne, une « réserve tampon » est actuellement à l’étude pour désengorger la réserve des volumes, pleine à 85 % alors que le bâtiment date de 2012.

Les nombreux espaces de stockage externes qui complètent les réserves principales des Frac disposent rarement de dimensions ajustées à leurs besoins sur le long terme (les 1 300 m² de réserves louées par les Abattoirs depuis 2015, qui s’ajoutent aux 950 m² de réserves in situ, sont par exemple quasiment saturées) et doivent régulièrement se doter de locaux supplémentaires : le Frac Centre dispose aujourd’hui d’une réserve principale et de trois réserves externes.
Les Frac très à l’étroit n’ont d’autre choix que d’agrandir leurs espaces de stockage pour éviter les répercussions qu’une saturation pourrait engendrer sur la gestion de leur collection (complexification des mouvements d’œuvres et du conditionnement) et continuer à garantir la sécurité des œuvres et des personnes. Au Frac Réunion, certaines œuvres sont aujourd’hui couchées sur des étagères. L’étude de programmation menée en 2025, visant à la création de nouvelles réserves de 300 m², était plus qu’urgente.
Seulement, « le problème du coût des réserves n’a toujours pas été résolu », souligne Julie Binet, directrice de Platform, le réseau des Frac. Chaque extension de réserve alourdit la facture des fluides et de l’énergie, et de nombreux Frac doivent payer un loyer pour leurs réserves externes, lequel représente une part importante de leur budget de fonctionnement. « Les budgets des Frac évoluent peu alors que les collections s’accroissent », note la directrice du Frac Pays de la Loire : le faible taux de ressources propres rend effectivement les Frac dépendant des aides financières de l’État et des collectivités territoriales, et ces subventions ont aujourd’hui tendance à décroître.
Alors, pour repousser l’échéance d’un futur projet d’extension, des Frac optent pour l’optimisation des espaces, comme l’Institut d’art contemporain (IAC) de Villeurbanne et le Frac Grand Large : « Nous réfléchissons à une nouvelle organisation des réserves qui permettra de rationaliser le stockage des caisses », confie sa régisseuse générale Pomme Harbonnier.
Ces difficultés encouragent les Frac à innover pour penser le problème autrement : ils sont nombreux à tenter de sortir leurs œuvres des réserves en signant des conventions de dépôt renouvelable tacitement pour des durées de dix ans. « Aux Abattoirs, on essaie de développer une politique de dépôt sur le long terme dans les musées », indique sa directrice Lauriane Gricourt, en témoigne la dizaine d’œuvres déposées l’an passé au Musée Goya à Castres. Autre exemple, le Frac Occitanie, qui a mis 38 œuvres en dépôt dans des établissements du réseau Occitanie Musées en 2024. Ces dépôts ne concernent en revanche qu’un nombre d’œuvres limité, lequel pourrait difficilement être revu à la hausse, et pour cause, « les musées sont eux-mêmes saturés », rappelle la directrice du Frac Pays de la Loire. Mais ces contraintes sont loin de concerner tous les lieux qui pourraient accueillir de l’art contemporain, et le dépôt peut aussi permettre d’alléger les réserves d’œuvres monumentales acquises en grand nombre dans les années 1980-1990, à une époque où la question des réserves se posait peu : le Frac Champagne-Ardenne a notamment mis une gigantesque maquette de Chris Burden, L’esprit de la vigne, en dépôt au Domaine Pommery en 2017.
Autre piste à l’étude ces dernières années : la commande et l’acquisition d’œuvres pour l’espace public. Cette perspective, inscrite dans le projet artistique 2025-2027 du Frac Franche-Comté (à l’instar de son antenne à Arc-lès-Gray, visitable depuis juin 2025, qui vise également à désengorger les réserves), est également envisagée par le Frac Champagne-Ardenne, qui souhaiterait doter la place Museux, à Reims, d’œuvres nouvellement acquises.« Le coût de maintenance d’une œuvre dans l’espace public n’est cependant pas négligeable », argue Bérénice Saliou, la directrice du Frac.
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L’engorgement des réserves : un défi majeur pour les Frac
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : L’engorgement des réserves : un défi majeur pour les Frac








