Frac

« Les directeurs de Frac sont maintenant des figures reconnues »

Par Éva Hameau · Le Journal des Arts

Le 10 octobre 2025 - 1135 mots

C’est l’une des premières conclusions de l’étude actuellement menée par Nicolas Heimendinger sur le profil des directeurs de Frac depuis 1982.

Nicolas Heimendinger. © Arthur Pequin
Nicolas Heimendinger.
© Arthur Pequin

France. Si les métiers dans les musées, et plus particulièrement celui de directeur-conservateur, constituent un axe de recherche à part entière dans le champ de la muséologie, les directeurs de Frac ont peu attiré l’attention des chercheurs depuis l’émergence de la fonction en 1982. Ces derniers sont pourtant des intermédiaires de l’art contemporain au même titre que les galeristes, les curateurs ou les collectionneurs privés. Lauréat de la première bourse de recherche sur les Frac (lire encadré ci-dessous), lancée l’an dernier par Platform (le réseau des Frac), Nicolas Heimendinger, chercheur postdoctoral à l’Université Paris-Nanterre, mène depuis novembre 2024 un chantier de recherche sur le profil des directeurs de Frac et leur politique d’acquisition. Le Journal des Arts fait le point sur ses premières conclusions, qui donneront lieu à une publication sur le site de Platform très prochainement.

Une fonction aux contours flous dans les années 1980

« La fonction de directeur de Frac n’est pas tout à fait établie dans les années 1980, note Nicolas Heimendinger. Certains s’occupent déjà de la direction artistique tandis que d’autres gèrent uniquement les affaires administratives et la médiation, les choix d’acquisition étant dans ce cas dévolus aux conseillers pour les arts plastiques des Directions régionales des affaires culturelles (Drac) qui sont membres des comités techniques d’acquisition. » Une disparité qui s’explique avant tout par l’absence d’encadrement juridique de la profession au cours des premières années d’existence des Frac : la circulaire du 3 septembre 1982 établit la composition des comités techniques mais ne précise aucunement les missions des directeurs. Mais la situation évolue rapidement, et ce, grâce aux réflexions structurantes des membres d’une association peu connue du public comme des professionnels : l’Association nationale des directeurs de Frac, fondée en 1986, qui « porte d’emblée la revendication d’une spécificité des fonctions de directeur de Frac et d’un contrôle sur la direction artistique des collections ». Au cours de ses recherches, Heimendinger réalise que la mise en place du principal outil opérationnel des Frac, le projet artistique et culturel, suit de près la spécification des missions des directeurs : il est en effet instauré par une convention établie en 1992 par Olivier Kaeppelin, alors membre de la délégation des arts plastiques au ministère de la Culture. Et la circulaire du 28 février 2002 ne fait que préciser et renforcer les missions des directeurs des Frac et le poids du projet artistique, à tel point que vingt ans plus tard, « le statut des directeurs ne paraît plus soulever de difficultés particulières» d’après la mission prospective sur les Frac, réalisée par l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) en 2021.

Un ancrage dans la « culture du curatorial »

« Il n’y a pas encore, au début des années 80, de vivier très étendu de professionnels de l’art contemporain », rappelle le chercheur. Les multiples témoignages d’anciens directeurs de Frac lui permettent de saisir le caractère profondément hétéroclite de ce premier cru : aux anciens étudiants en histoire de l’art – très peu sont spécialisés en art contemporain – se mêlent des « militants de l’art contemporain, en quelque sorte, des gens qui ont monté des petits lieux d’exposition et qui se sont spécialisés sur le tas ». Il n’existe pas, jusqu’au milieu des années 1980, de formations professionnalisantes dédiées aux métiers de l’art contemporain en France. L’École du Magasin, fondée à Grenoble en 1987, est le premier programme de formation aux pratiques curatoriales à voir le jour en Europe. Des formations universitaires émergent ensuite dans les années 1990-2000 et se multiplient au début du XXIe siècle. L’évolution du profil des directeurs est intrinsèquement liée au développement de ces formations académiques : les futurs directeurs se spécialisent progressivement en art contemporain et sont de plus en plus nombreux à suivre des études curatoriales. « Les formations de curateurs jouent de fait un rôle central dans la propagation d’une “culture du curatorial” », pour reprendre les mots de Jérôme Glicenstein dans L’invention du curateur. Mutations dans l’art contemporain (2015). L’analyse de Nicolas Heimendinger va en ce sens : « Aujourd’hui, le profil d’un directeur de Frac est vraiment celui d’un curateur d’art contemporain », affirme-t-il.

Montée en prestige social

L’âge des directeurs au moment du recrutement a, lui aussi, considérablement évolué : alors qu’ils arrivent à la tête des Frac entre leurs 25 et 35 ans dans les années 1980, ils sont aujourd’hui embauchés à des âges plus avancés, entre 45 et 50 ans. En 2021, seuls 10 % des directeurs de Frac ont moins de 40 ans, et 40 % ont plus de 55 ans. La plupart disposent déjà d’une expérience professionnelle solide dans le milieu de l’art contemporain lors de leur prise de poste. Selon le chercheur, ce phénomène de vieillissement, indissociable d’une « montée en spécialisation » de la profession, traduit « une montée en termes de prestige social : alors qu’ils sont mal identifiés dans les années 1980, les directeurs de Frac sont aujourd’hui des figures reconnues au sein du monde de l’art contemporain ». Et le chercheur estime que le processus de masculinisation de la profession dans les années 1990-2000 « est sans doute solidaire de la montée en prestige social du statut de directeur de Frac ». Profession très féminine au départ – « les fonctions des directeurs sont très administratives en 1982 et on recrute souvent des femmes à ces postes, qui sont encore un peu déconsidérés » –, les Frac étaient dirigés par 70 % d’hommes en 2003. Une tendance qui s’inverse dès la fin des années 2000, suivant un processus général de féminisation des professions culturelles. En 2025, les Frac comptent près de 70 % de directrices.

Cette analyse du profil des directeurs de Frac n’est que le premier aspect du chantier de recherche. L’étude de leur perception du travail d’acquisition et de la formation de leurs goûts artistiques va se poursuivre au cours des prochains mois.

Une bourse de recherche pour mieux connaître les Frac  


PLATFORM. « Hormis la mission prospective de l’IGAC en 2021, Platform n’avait pas vraiment initié de projet de recherche sur les Frac avant l’an dernier », explique Julie Binet, la secrétaire générale du réseau des Frac. La bourse de recherche, lancée par Platform à l’été 2024, est le fruit de cette prise de conscience. Si, dans l’appel à projets, l’association affirmait sa volonté d’initier un projet de « valorisation des collections des Frac », le comité de sélection a finalement retenu un projet de recherche portant sur la figure du directeur de Frac. « Nous avons estimé qu’il était judicieux, pour un premier chantier de recherche sur les Frac, de répondre à la question récurrente : “comment se font les acquisitions ?” », argue Julie Binet. Une manière de rendre le fonctionnement des Frac explicite avant de s’attaquer aux collections : Platform envisage de lancer un appel à projets sur des axes variés tous les deux ans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : « Les directeurs de Frac sont maintenant des figures reconnues »

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