Anna Labouze et Keimis Henni : « Les écoles devraient créer plus de filières »

Cofondateurs d’Artagon, Anna Labouze et Keimis Henni sont à l’initiative d’Art Emergence, dont l’édition inaugurale se tiendra du 18 septembre au 2 novembre. Ils reviennent sur la genèse de cette manifestation et sur ses objectifs.

Art Emergence est une initiative portée par l’association Artagon et par quatre acteurs publics : le ministère de la Culture, la Ville de Paris, la Région Île-de-France et le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, depuis rejoints par d’autres partenaires publics et privés. La fréquence de l’événement va dépendre des possibilités de financement ; l’objectif commun est d’en faire un rendez-vous annuel.

Il s’agit de créer pour les artistes fraîchement diplômés un espace de rencontres avec les professionnels et avec le public. Art Emergence est le prolongement de l’exposition d’étudiants et de jeunes diplômés d’écoles d’art, à l’échelle française et européenne, que nous avons organisée chaque année entre 2015 et 2020 avec Artagon. Cette activité a pris fin au moment de la crise sanitaire, pendant laquelle nous nous sommes concentrés sur le fait de trouver un lieu permanent pour l’association (deux centres de formation et de production sont désormais installés à Marseille et à Pantin). Cependant, ce besoin que nous avions identifié nous paraissait toujours aussi prégnant : il manquait un endroit où les étudiants d’école d’art pouvaient montrer leur travail en dehors de l’école, afin de commencer à lancer des projets, des collaborations. L’idée était aussi de permettre à des artistes d’une même génération, qui font face à des enjeux et à des préoccupations similaires, de se rencontrer.

Jeune Création présentait effectivement le travail de jeunes artistes, peu importe l’année d’obtention de leur diplôme. L’exposition d’Art Emergence propose quant à elle un panorama national des projets de diplôme d’école d’art de l’année passée. En revanche, l’histoire de Jeune Création nous concerne indirectement puisque les partenaires publics ont retiré leur soutien à cette manifestation, pour diverses raisons, et notamment ses mauvaises pratiques professionnelles maintes fois relevées par la presse. Les crédits versés jusque-là à cette association étaient donc à nouveau disponibles alors que nous cherchions depuis un moment à redonner vie à l’exposition annuelle d’Artagon ; les collectivités et l’État se sont donc tournés vers nous, l’année dernière, pour relancer cette initiative en l’adaptant aux enjeux actuels, sous la forme d’une nouvelle manifestation.

C’est en effet un rendez-vous plus ouvert, à l’image des parcours de beaucoup d’artistes aujourd’hui. L’exposition centrale de cette première édition, intitulée « Double Trouble », rend compte de la très grande pluridisciplinarité présente au sein des écoles d’art, avec des élèves qui s’orientent vers le design d’objet, le graphisme, la mode… Nous avons également voulu que les arts vivants soient au programme de cette manifestation à travers un festival (performance, danse, théâtre, musique) qui se tiendra à la Maison des Métallos les 25 et 26 octobre.

L’objectif principal est de leur permettre de se rencontrer, de se professionnaliser, de mettre leur travail en présence du public et de bénéficier d’opportunités. La plupart des écoles en région n’ont pas accès à une telle visibilité. Prenez des manifestations comme le Salon de Montrouge, ou 100 % l’Expo, à la Villette : une majorité d’artistes sélectionnés est issue des écoles d’art parisiennes, ou d’écoles d’art renommées en région, comme les Beaux-Arts de Lyon, ou de Marseille, la Villa Arson à Nice… Certaines écoles occupent des positions dominantes, par extension, leurs diplômés sont particulièrement valorisés. Nous espérons qu’Art Emergence va contribuer à rebattre un peu les cartes. Le principe de l’exposition est en effet d’exposer 42 artistes diplômés en 2024, à raison d’un diplômé par école. Parmi les projets de diplôme sélectionnés, il se trouve des propositions fortes et audacieuses d’artistes formés à Nîmes, à Roubaix, à La Réunion… D’autant que les trois jeunes commissaires auxquels nous avons fait appel – Salomé Fau, Alexis Hardy et Temitayo Olalekan, épaulés par un comité d’artistes établis – ont aussi travaillé à rebours de certaines tendances actuelles dans la création émergente.

Nombre d’artistes sortent d’école très démunis (nous le savons pour en accompagner chaque année plusieurs dans nos lieux à Pantin et Marseille). Certains sont conduits à abandonner pour de mauvaises raisons, à cause de la précarité ou faute de contacts. Nous sommes convaincus que bien conseillés dès leurs débuts, notamment en termes de structuration économique, ils aborderont mieux leur milieu de carrière.

Le faible taux d’insertion professionnelle des étudiants d’école d’art est souvent pointé du doigt. Ce n’est pas l’existence, nécessaire, de ces écoles qu’il faut questionner, mais au vu du nombre toujours plus important d’artistes en activité à l’échelle internationale, il faut en effet tenir compte de la capacité d’absorption du secteur qui est somme toute limitée. Nous pensons qu’il faudrait que les écoles aient les moyens de créer davantage de filières qui ouvrent à d’autres métiers qu’artiste. Quand on est diplômé d’une école d’art, on peut faire de la régie, de la scénographie, ou travailler dans d’autres secteurs, comme la mode ou l’audiovisuel, qui, économiquement, sont malheureusement plus porteurs que le monde de l‘art aujourd’hui.