Restitutions

Restitutions d'œuvres d'art à l'Afrique : une feuille de route sur le bureau de Macron

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 22 novembre 2018 - 721 mots

PARIS

Comment rendre à l'Afrique des milliers d'œuvres d'art arrivées en France sous la colonisation ? Le président Macron va recevoir vendredi un rapport attendu posant les jalons d'une telle restitution, considérée comme un acte de justice mais aussi perçue par certains experts comme une boîte de Pandore.

fétiches africains quai branly
Ingrédients magiques "bilongo" collectés vers 1932 ; ceux-ci peuvent être lus comme un rébus que seul le devin est capable de déchiffrer, Exposition "Recettes des Dieux, esthétique du fétiche" au Musée du Quai Branly

Ce rapport, dont l'AFP a consulté un exemplaire, dresse un inventaire précis des dizaines de milliers d'objets que les colons ont ramené d'Afrique entre 1885 et 1960. Ses deux auteurs proposent un changement législatif majeur du code du patrimoine pour permettre des restitutions de collections se trouvant dans les musées français à des États demandeurs. Les collections privées ne seraient pas concernées. 

Le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, le président français avait annoncé la mise en œuvre dans un délai de cinq ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain, reconnaissant l'anomalie que constitue sa quasi-absence en Afrique subsaharienne. Ces propos ont généré de grandes attentes chez certains Etats.  Selon les experts, 85 à 90 % du patrimoine africain serait aujourd'hui hors du continent.

Emmanuel Macron avait confié à deux universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, le soin de procéder à de vastes consultations. Actuellement, la loi ne permet pas à ces milliers d'objets d'art de quitter la France. Le rapport Savoy-Sarr suggère une modification du code du patrimoine, avec l'introduction d'un article qui stipulerait que des restitutions d'objets africains transférés pendant la période coloniale française pourraient être prévues dans le cadre d'un "accord bilatéral de coopération culturelle" entre "l'État français et un État africain"

Réparation symbolique
   
Pour que le processus puisse s'enclencher, précisent les rapporteurs, il faudrait qu'"une demande émane des pays africains concernés, grâce à l'inventaire que nous leur aurons envoyé". "Une remise solennelle", hautement symbolique, des listes des biens spoliés devrait avoir lieu. Le périmètre de la spoliation engloberait les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l'époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs... 

Dans le quotidien français Libération, les deux auteurs se sont défendus mercredi d'avoir voulu écrire un brûlot : "Nous avons été très soucieux de faire ce travail de façon très méticuleuse, aucunement de façon polémique". Il s'agit à leurs yeux d'une "réparation symbolique". Le rapport recense "au moins 90 000 objets d'Afrique subsaharienne dans les collections publiques françaises". Le Musée du Quai Branly est le plus concerné, avec 70 000 œuvres, dont deux tiers "acquises" durant la période 1885-1960. Soit 46 000 objets potentiellement concernés par des restitutions. Les pays les plus concernés sont le Tchad (9 200 œuvres), le Cameroun (7 800) et Madagascar (7 500).

Sollicité par l'AFP, le musée n'a pas souhaité faire de commentaires avant la remise du rapport au président Macron. Ce sera à ce dernier de suivre ou non les propositions dont la mise en œuvre risque d'être complexe et semée de contestations.
   
Satisfaction au Bénin
   
Le Bénin, qui avait contribué à lancer le dossier avec sa demande concernant les statues royales du Palais d'Abomey, s'est félicité que "la France soit allée au bout du processus", "entérinant une vision nouvelle entre elle et ses anciennes colonies". "Nous ne sommes pas dans une démarche de réclamation brutale" mais "dans un processus d'accompagnement", a indiqué à l'AFP Ousmane Aledji, chargé de mission du président Patrice Talon pour les projets culturels et touristiques.

Alors que certains experts préconisaient une politique de prêts longs et renouvelables, éventuellement sous le contrôle de l'Unesco, le changement du code du patrimoine pourrait ouvrir une boîte de Pandore : des conservateurs en France dénonceront probablement les surenchères idéologiques sur la colonisation. En Afrique même, outre la question du coût et des infrastructures nécessaires pour gérer des collections, pourraient se poser des contestations territoriales, quand des œuvres appartenaient à des royaumes aujourd'hui disparus. Selon l'avocat spécialisé Yves-Bernard Debie, opposé aux restitutions, "ce rapport est vicié" et "inopérant" : "l'obligation pour les rapporteurs de consulter le marché de l'art, n'a pas été respectée. Aucun marchand d'art africain ancien n'a été consulté".

Une éventuelle évolution de la législation française aurait forcément des répercussions dans d'autres anciennes puissances coloniales, comme la Belgique, le Royaume Uni, l'Allemagne, pour les œuvres africaines, mais aussi le patrimoine d'autres régions.

Cet article a été publié par l'AFP le 21 novembre 2018.
 

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