Justice

Procès Aristophil : la défense se fait entendre

Par Marie Potard · lejournaldesarts.fr

Le 30 septembre 2025 - 828 mots

Les déclarations du comptable et du directeur devant le tribunal hier après-midi ont cependant attiré l’attention sur la fragilité du système.

Lettres anciennes. Image d'illustration. © Andrys, Pixabay License
Lettres anciennes. Image d'illustration.
Photo Andrys

L’audience du 29 septembre au tribunal de Paris a mis en lumière la mécanique interne d’Aristophil, à travers les auditions du comptable Denis Potier, de l’expert en autographes et manuscrits Jean-Claude Vrain et de Gérard Lhéritier, fondateur du groupe poursuivi pour escroquerie en bande organisée.

Premier à la barre, Denis Potier a rappelé avoir, dès 2007, exhorté Gérard Lhéritier à céder des pièces pour préserver l’équilibre financier. « Vendre, c’était la condition sine qua non, sinon la société allait péricliter », a-t-il insisté, soulignant qu’en dessous d’un seuil de revente de 60 %, Aristophil devenait déficitaire. Il a reconnu avoir été momentanément rassuré par l’annonce d’une vente du manuscrit d’Einstein à 38 millions d’euros (l’acheteur s’est finalement désisté).

Jean-Claude Vrain a ensuite été confronté à une vidéo tournée en 2013 lors d’une formation organisée sous l’enseigne Aristophil. Il a cependant nié avoir formé les commerciaux (*), expliquant n’avoir livré qu’un exposé sur l’histoire du marché des manuscrits. « Ce n’est pas en cinquante minutes que je peux former des commerciaux », s’est-il emporté, rejetant toute complaisance. Le tribunal a cependant noté qu’à aucun moment il n’a parlé de « produits Aristophil ». Interrogé sur des ventes spectaculaires − comme une lettre de Flaubert à Victor Hugo achetée 2 350 € (*) et revendue 100 000 € (« le libraire qui me l’a vendu n’y connaissait rien ») − il a concédé avoir fait un coup de marchand, affirmant avoir toujours fixé des prix qu’il estimait justes et traité Aristophil comme un client professionnel.

L’interrogatoire de Gérard Lhéritier a ensuite occupé les débats en fin d’après-midi. Le président du tribunal est revenu sur ses antécédents judiciaires à Strasbourg et au Luxembourg. Lhéritier a reconnu avoir parfois trop fait confiance aux vendeurs, mais a défendu son modèle. Confronté aux accusations d’un marché « en circuit fermé », il a répondu qu’il revendait rarement immédiatement, préférant stocker et classer par spécialité. Concernant une étude interne qui tablait sur une hausse annuelle de 10 % du marché des manuscrits, il a nié toute manipulation : « Je crois toujours à cette progression, peut-être même sous-estimée ».

La cour a longuement évoqué les prorogations d’indivisions, validées selon lui par un comité interne et par les clients eux-mêmes, ceux qui refusaient étant remboursés. Pour Lhéritier, Aristophil avait vocation à tout racheter : « À aucun moment, il n’était question de défaut », assure-t-il, excluant l’hypothèse d’un client non remboursé. Le procureur a rappelé que les commissaires aux comptes alertaient dès 2007, ainsi que son comptable, mais que Lhéritier avait poursuivi sa stratégie et continue de penser qu’« Aristophil était un excellent modèle ». Celui-ci a justifié sa persévérance par la perspective d’un développement international et la création d’une maison de ventes, imputant ses difficultés au ministère de la Culture et à la DGCCRF (répression des fraudes).

Son gain de 170 millions d’euros à l’Euromillions en 2012 a ensuite été évoqué. Il a affirmé avoir réinjecté 40 millions dans Aristophil : « Si j’avais pu sauver la société, j’y aurais mis davantage ». Le président a relevé, non sans ironie, qu’« il est rare qu’un escroc injecte ses fonds personnels dans sa propre escroquerie ».

La journée s’est achevée avec l’ouverture des plaidoiries des parties civiles. Plus d’une vingtaine d’avocats étaient présents, dont Me Eva Abecassis, qui a défendu Mme Rivolzi, à la fois victime et mise en cause par ses propres clients, réclamant plus de 500 000 € de réparations. Plusieurs conseils ont insisté sur la situation des épargnants, souvent modestes, qui n’avaient pas été entendus depuis plus de dix ans et espèrent de ce procès une reconnaissance pleine de leur préjudice.

Les plaidoiries des parties civiles se poursuivent aujourd’hui, suivies du réquisitoire.

(*) Droit de réponse de Jean-Claude Vrain - 25 novembre 2025

L'article intitulé « Procès Aristophil : la défense se fait entendre » que vous avez mis en ligne le 30 septembre 2025 synthétise en quelques mots mon audition par le Tribunal. Dans le souci d'informer complètement vos lecteurs, je me permets de corriger une erreur et d'apporter quelques précisions. Le prix d'achat que vous mentionnez, d'une lettre de Flaubert à Victor Hugo, n'est pas exact. Il est même bien inférieur à la réalité. La rareté de ce document avait il est vrai échappé au professionnel qui me l'a vendu. En effet, sur les six lettres de l'auteur de Salammbô à celui des Misérables, l'on en connait que deux d'intéressantes par leur contenu dont une seule subsiste, celle achetée par Aristophil, à un prix conséquent certes, mais en rapport avec son importance et son caractère unique. À toutes fins utiles, j'ajoute que les marges pratiquées avec cette société étaient légèrement inférieures à ma marge moyenne (30 % environ). Est-il indispensable par ailleurs de vous confirmer que n'ayant aucune compétence financière, je n'ai jamais formé personne chez Aristophil. Je ne pense pas qu'il y ait quiconque pour dire le contraire, pas même le Ministère Public, qui estimant que je n'ai commis aucun délit n'a requis contre moi aucune condamnation. La défense continue de se faire entendre !

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