Au terme d’un mois d’audience, le parquet a décrit un système fondé sur la promesse de rachat et l’illusion de sécurité. La défense de Gérard Lhéritier a réfuté toute escroquerie, invoquant la spéculation.

Paris. Ouvert le 8 septembre et clos le 2 octobre, le procès Aristophil a concerné un dossier hors norme : plus de 35 000 victimes, 1,2 milliard d’euros de préjudices – le chiffre de 1,7 milliard a même été évoqué – et onze ans de procédure depuis les perquisitions menées fin 2014. Devant le tribunal correctionnel de Paris, a été examiné un modèle d’investissement financier fondé sur l’achat de manuscrits par la société Aristophil, revendus comme produits de placement, titrisés soit en parts (contrats Coralys), soit en contrats individuels (Amadeus). La commercialisation de ces produits financiers était confiée à des conseillers en gestion de patrimoine, affiliés à Finestim et Art Courtage. Gérard Lhéritier, instigateur du système, s’appuyait sur ces intermédiaires pour les placer auprès du public. Un montage où, selon l’accusation, l’un conçoit et l’autre exécute la tromperie – « l’un ne va pas sans l’autre », a martelé Guy Grangirard, responsable juridique de l’association ADC France, qui a géré quelque 750 dossiers. Le ministère public a décrit un système trompeur ; la défense a plaidé l’absence d’intention frauduleuse et a renvoyé aux pratiques de commercialisation. Si le procès n’a pas apporté de révélation fracassante, il a montré comment l’accusation et la défense ont présenté des points de vue différents sur les enjeux clés de l’affaire.
Le parquet a vu, dans les brochures luxueuses, sites Internet flatteurs, conférences et événements pour les clienst, une mécanique de persuasion ancrant l’idée d’une sécurité du placement – rachat à échéance du contrat avec une valorisation quasi automatique. Les parties civiles ont dit avoir cru à une « obligation de rachat ». La défense a rétorqué que les documents précontractuels excluaient toute garantie de rachat, hormis pour quelques formules haut de gamme.« La clause était limpide, la perversité se trouvant dans la commercialisation, pas dans l’écriture », a insisté Me Nathalie Schmelck, avocate de l’un des prévenus impliqués dans le montage.
L’accusation a dénoncé un circuit fermé : des rachats financés par l’argent des nouveaux souscripteurs, masquant l’insoutenabilité du modèle. Me Benoît Verger, l’avocat de Gérard Lhéritier, a contesté : « Il n’y avait ni taux d’intérêt ni revenus fictifs. Ici, les clients achetaient un bien tangible, spéculant sur sa valeur future, tout comme Aristophil. » Et d’ajouter, pour présenter un visage favorable : « Gérard Lhéritier avait le syndrome du collectionneur, non celui de l’escroc »– avec un projet de maison de ventes interrompu par les procédures.
Le parquet a pointé des prix d’achat excessifs, nourrissant une survalorisation confirmée par les faibles montants obtenus lors des ventes judiciaires. Marché volatil, achats mal calibrés et reventes à perte, a argué la défense, ce qui contredirait tout enrichissement planifié. La défense a plaidé qu’il n’y avait là rien de répréhensible.
Le parquet a retenu qu’un vernis de respectabilité – musée somptueux dans le 7e arrondissement de Paris, événements, personnalités politiques et culturelles sollicitées – et une communication sur la longévité et la viabilité avaient rassuré indûment des épargnants néophytes. La défense a répliqué qu’Aristophil s’était entourée de notaires, avocats, commissaires aux comptes, avait saisi l’Autorité des marchés financiers, et détenait un patrimoine d’œuvres à la hauteur des promesses (Sade, Breton, incunables…). La défense de Lhéritier a fait valoir que celui-ci n’intervenait pas dans la rédaction des supports commerciaux.
L’instruction a révélé une présentation inexacte des comptes de la société, des flux anormaux entre les différentes structures de Lhéritier avec des montants sans lien avec le curieux marché et l’usage des fonds des investisseurs à d’autres fins que la gestion stricte du modèle.
La défense a soutenu que ces flux relevaient de la gestion interne et visaient à maintenir le stock, non à tromper les clients. Gérard Lhéritier a même réinjecté ses gains personnels au Loto. « Aucun escroc n’engage sa fortune personnelle dans sa prétendue escroquerie », a fait remarquer Me Verger. À supposer des manquements, ils relevaient du civil, non du pénal, a-t-il ajouté.
Outre Gérard Lhéritier, le parquet a mis en cause ceux qui ont conforté le système : notaire, professeur de droit, expert et réseau commercial. Le notaire Me Gautry, poursuivi pour avoir instrumenté les contrats d’indivision, a été accusé d’avoir cautionné par sa signature un dispositif trompeur. Son avocat a répliqué qu’« à 61 ans, il n’allait pas embrasser une carrière de délinquant », rappelant qu’il n’avait jamais rencontré les investisseurs. Le professeur de droit Jean-Jacques Daigre, poursuivi pour complicité, a défendu la conformité de ses avis juridiques : il s’était limité aux seuls contrats Amadeus, qui ne représentaient que 15 % des contrats, une façon de minimiser sa responsabilité. Ses conseils ont plaidé qu’aucune concertation frauduleuse ne pouvait lui être imputée. Quant à l’expert Jean-Claude Vrain, ses avocats Antoine Vey et Luc Brossollet ont soutenu qu’il n’avait « jamais fait d’expertises pour vendre les produits Aristophil », ses évaluations étant destinées aux seuls assureurs. Ils ont relativisé les critiques sur les prix, invoquant la volatilité du marché. Enfin, les trois anciens responsables commerciaux, Jean-Jacques Itard, Michel Perronnet et Philippe Samson, ont été décrits comme les « chevilles ouvrières » du dispositif. Leur avocat, François Saint-Pierre, a défendu au contraire des hommes séduits par le charisme de Lhéritier et convaincus par lui de la solidité du modèle.
Côté victimes, les récits ont montré l’ampleur du préjudice : « Aristophil a tout mis en œuvre pour nous éblouir, nous duper », a déclaré un agriculteur ; une épargnante handicapée a témoigné que « cet argent, c’était le fruit de [s]a souffrance ».
L’expert-comptable de la société Aristophil, Denis Potier, a rappelé ses alertes anciennes : « Vendre, c’était la condition sine qua non, sinon la société allait péricliter. » Jean-Claude Vrain, confronté à une vidéo de « formation » s’est emporté : « Ce n’est pas en cinquante minutes que je peux former des commerciaux et je ne parle jamais des produits Aristophil. » Quant à Gérard Lhéritier, il a multiplié les réponses évasives – « je ne me souviens pas »,« je dois vérifier »…– tout en défendant un modèle qu’il jugeait viable.
Le ministère public a qualifié Aristophil de« système frauduleux structuré » : escroquerie en bande organisée, pratiques commerciales trompeuses, abus de biens sociaux et de confiance, comptes inexacts. Il a requis six ans de prison ferme assortis d’un mandat de dépôt à l’encontre de Gérard Lhéritier ; des peines d’emprisonnement et amendes pour plusieurs co-prévenus (avec le bénéfice du doute pour Vrain).
Tous les avocats de la défense ont plaidé la relaxe, dénonçant une procédure interminable et soulignant que Gérard Lhéritier, aujourd’hui âgé de 77 ans et malade, « n’est plus l’homme d’Aristophil ». Le jugement sera rendu le 11 décembre.
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Ce qu’il faut retenir du Procès Aristophil
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : Ce qu’il faut retenir du Procès Aristophil






