Politique

Lille, tous contre la « démesure » de Martine Aubry

Par Véronique Pierron · Le Journal des Arts

Le 6 mars 2020 - 1713 mots

LILLE

La politique culturelle de la maire actuelle est critiquée par les candidats pour ses excès. Beaucoup voudraient redistribuer une partie du budget des grands équipements et manifestations vers les associations locales.

Parade Lille 3000 Eldorado le 4 mai 2019. © Photo Maxime Dufour.
Parade Lille 3000 Eldorado le 4 mai 2019.
© Photo Maxime Dufour.

Dix-neuf musées et espaces d’exposition, autant de salles de spectacle dont huit théâtres, un opéra et un zénith, de nombreux festivals dont le très discuté Lille 3000. À n’en pas douter, Lille est une ville de culture. Son tournant culturel date de l’année 2004 lorsqu’elle devient la capitale européenne de la culture avec toute l’énergie et la ferveur de Martine Aubry. « Lille 2004 a catalysé notre ambition pour un temps, mais nous continuerons à lancer de nouveaux projets dans l’avenir », explique la maire candidate. Dans un territoire où 25 % de la population vit avec moins de 1 000 euros par mois, la culture comme ciment social n’est pas une vaine expression. Toutefois, faut-il parler d’« usure culturelle » de la maire comme le font ses challengers ? « La vraie adjointe à la culture de Lille, c’est Martine Aubry. Elle a plusieurs casquettes et exerce un pouvoir très centralisé et autoritaire », reproche le candidat et sénateur LR, Marc-Philippe Daubresse « Aujourd’hui, elle manque de souffle », lâche-t-il. Si Martine Aubry doit l’essentiel de sa réélection en 2008 à sa politique culturelle, un peu moins en 2014, qu’en sera-t-il en 2020 ? Certes le budget culture a beaucoup augmenté. Hors investissement, il est passé de 25,5 millions d’euros en 2002 à 42,5 en 2019, soit 12,6 % du budget total. Son ancienne directrice de cabinet, Violette Spillebout, dénonce aujourd’hui « un modèle figé depuis 2005, celui d’une hégémonie culturelle au coût exorbitant ».

Cibler les scolaires

Déjà attaquée en 2014 sur ses projets colossaux, la maire de Lille candidate à sa propre succession avait déclaré au magazine L’Express : « Après le dur, nous mettons le paquet sur les politiques douces : l’éducation et la lutte contre l’échec scolaire. » Le 1er février dernier, elle annonçait que d’ici 2026, 100 % des 16 900 élèves en maternelle ou primaire s’initieraient à l’art et à la culture contre 70 % aujourd’hui et indiquait l’organisation de « classes culture ». Une proposition similaire déjà avancée par les Insoumis qui veulent« créer dans les écoles primaires, des espaces consacrés à la création artistique ». La maire promet aussi pour son quatrième mandat, « l’invitation d’artistes dans les écoles et crèches pour y créer des fresques de peinture ou graff ».

Si ses concurrents à l’élection ne mettent pas en cause ce qui a été accompli, ils dénoncent les excès. Ainsi, le mot d’ordre général des autres candidats en lice pour la Mairie est « de stopper les projets pharaoniques comme Lille-Sud », réclame Julien Poix, tête de liste de la France insoumise. Un vœu pieu qu’avait fait la maire candidate en 2014. « Je ne suis pas comme les mecs et leur besoin de laisser des pyramides derrière eux », avait-elle déclaré alors à L’Express. Pas si sûr, si l’on en juge par les « pyramides » auxquelles elle s’est attelée, à l’instar d’Utopia 21-22, l’édition 2020 de Lille 3000 dotée d’un budget de 3 millions d’euros – contre 2,4 millions pour Eldorado, en 2019. Mais aussi la transformation du Musée d’histoire naturelle en grand Musée de la nature, de l’homme et des civilisations dont le coût total des travaux, accolé à un concours d’architecture, est estimé à près de 22 millions d’euros. À noter aussi, le projet de la maire d’une mise en lumière des édifices remarquables.

La ville est donc bien dotée en équipements, mais la maire candidate veut ouvrir dans la commune associée de Lomme, le Trinum, un pôle des arts et cultures numériques intégrant un laboratoire citoyen de la donnée, des espaces pour comprendre et maîtriser les technologies numériques et une grande salle de spectacle. Le budget n’a pas été communiqué, ni même son financement. Martine Aubry reprend aussi une idée défendue par la candidate LRM, Violette Spillebout, de créer un musée de l’histoire de Lille. Si, pour ce faire, la maire entend valoriser le Musée de l’Hospice Comtesse, la candidate LRM caresse aussi ses propres « pyramides » en voulant créer « à l’intérieur du Palais de Justice qui va déménager, un Metropolitan Lille Museum au cœur de la vieille ville ». « Un espace d’exposition sera consacré aux artistes locaux qui nous font part d’une vraie souffrance », dénonce-t-elle. Estimant ce projet à « 15-16 millions d’euros », elle souhaite le financer « grâce à un partenariat public/privé où la Ville prendrait en charge 10 millions d’euros ». « J’augmenterai le budget investissement de la Ville à 100 millions d’euros, alors qu’il est fixé à 70 millions d’euros aujourd’hui et le fonctionnement du musée sera financé par un tarif des billets destinés aux touristes relativement élevé ».

Redistribuer le budget des grands équipements
La Grand place de Lille © photo Velevet, 2013, CC BY-SA 3.0.
La Grand place de Lille.
Photo Velvet, 2013

Le leitmotiv des challengers à la Mairie de Lille est de rééquilibrer le budget culture pour en faire profiter des structures plus petites. « Le problème aujourd’hui tient à la concentration des budgets de la Ville entre les mains des grands acteurs et des grandes structures comme l’ogre budgétaire Lille 3000, au détriment des petits acteurs », affirme l’écologiste Stéphane Bailly. Le candidat EELV souhaite ainsi stopper le « principe de ruissellement » des grandes manifestations de la culture au profit d’une « plus grande liberté de création pour les petites associations artistiques et culturelles, grâce à une augmentation de leurs subventions ». Un avis partagé par le candidat sénateur LR. « Depuis la fin de la dynamique de 2004, nous sommes sur une logique de grands événements éphémères qui sont beaucoup trop nombreux », estime-t-il et il propose de « redéployer l’argent de ces événements pour le redistribuer aux associations culturelles de quartier ». Le sénateur calcule : « On pourrait augmenter les moyens des associations de 30 % et, en contrepartie, on baisserait à proportion les budgets des grands événements, ce qui nous permettrait de fixer un budget pour les associations de 22 millions d’euros. »

Radicale, Violette Spillebout veut supprimer « la chape de plomb de Lille 3000 qui crée l’omerta, car les petites associations ne s’expriment pas de peur de perdre leurs subventions ». Piquée au vif par la suppression des 130 000 euros de subventions que percevait la Maison de la photographie dirigée par son mari Olivier Spillebout, elle veut redistribuer les subventions de Lille 3000 aux associations et stabiliser « leur budget sur trois ans ». L’ancienne directrice de cabinet de Martine Aubry compte maintenir malgré tout, le budget culture en le ventilant d’une autre manière. Selon elle, il est aujourd’hui « phagocyté par quelques grandes structures comme l’Opéra, le Théâtre du Nord ou Lille 3000 qui accaparent 85 % du budget de la culture, explique-t-elle. Mon ambition est de diminuer ces subventions et si je parviens à 50 % du budget pour ces structures, je serai satisfaite. » De même qu’elle veut doubler le montant des budgets participatifs « en les faisant passer de 1,5 à 3 millions d’euros ».

Favoriser la lecture

Il semblerait que le talon d’Achille de la culture lilloise soit la lecture et ses médiathèques. « La médiathèque principale Jean-Lévy est dans un état lamentable et l’un de mes premiers objectifs est d’investir pour la réhabiliter, car c’est aussi important que Lille 3000 », explique Thierry Pauchet. Le candidat centriste veut aussi étendre les plages horaires des bibliothèques de quartier aujourd’hui ouvertes seulement le matin. Pour les financer sans surcoût de fonctionnement, il propose d’appliquer « la réglementation rappelée par la chambre régionale des comptes (CRC) qui impose aux agents municipaux de travailler 1 609 heures par an contre 1 519 sur Lille ». Une des ambitions de Julien Poix est d’affecter « 30 millions d’euros à un vaste plan lecture sur plusieurs années en y intégrant la création d’une grande médiathèque multifonctions ». Il compte l’implanter dans un lieu délaissé comme Lille-Sud. « Ce projet fera l’objet d’un référendum d’initiative citoyenne et sera financé en partie, par un emprunt populaire pour que les Lillois s’approprient cet outil », ajoute-t-il. De même, les Insoumis veulent créer une cinémathèque du cinéma d’Europe du Nord dans l’espace de l’ancienne gare Saint-Sauveur.

Enfin, la valorisation des galeries d’art de la ville constitue aussi une préoccupation. Si Marc-Philippe Daubresse veut « mettre en réseau les galeries d’art et réitérer une tentative de création d’un marché de l’art dans la ville », Violette Spillebout veut, quant à elle, « créer la Cité des arts et du design au cœur du vieux Lille et recentrer les galeries d’art en préemptant des pas-de-porte et en soutenant financièrement les galeries ». Dans un autre registre, les Verts veulent « supprimer les espaces publicitaires pour les remplacer par des expositions temporaires d’art contemporain, de photos, de street art, de kiosques à musique et de nouveaux arbres ». « L’objectif est de changer l’imaginaire des Lillois pour construire un univers commun, explique Stéphane Bailly. Nous ne renouvellerons pas le contrat d’1 million d’euros que la ville a signé avec les publicitaires et qui s’arrête en mars 2022. C’est un choix politique », conclut-il.

Lille 3000, Une manifestation contestée

Festival. « Chape de plomb », « ogre budgétaire », les mots ne manquent pas pour disqualifier Lille 3000 qui crée parmi les candidats une unanimité aussi totale qu’inédite. Deux reproches principaux sont faits à cette association créée en 2010 pour perpétuer le dynamisme insufflé par Lille 2004. D’abord, des budgets pharaoniques, « chaque édition de Lille 3000 coûterait 11 millions d’euros », dénonce Violette Spillebout. À cette attaque, Martine Aubry se défend en mettant en avant « le niveau élevé du mécénat, qui représente 34 % sur la période 2012-2017, ainsi que les importantes retombées économiques générées ». La seconde critique tient en « une absence de liberté de la création artistique, car tout passe par Lille 3000 », explique Thierry Pauchet qui « réclame un audit en raison de l’omerta autour de cette association ». Une suspicion encore accentuée par un avis de la Cour des comptes de mars 2019 qui reprochait certains dysfonctionnements sur les salaires ou l’impossibilité de mesurer précisément la fréquentation. « Lille 3000 n’est pas en mesure d’évaluer sa propre action et de rendre compte de la satisfaction du public », indiquait la chambre régionale des comptes. Et ce même si Martine Aubry affirme que « la dernière grande édition, Eldorado, a rassemblé plus de 2,5 millions de visiteurs ». Si les Insoumis veulent changer la nature du festival, les Verts dénoncent le « consumérisme d’un événement qui n’est plus culturel ». Plus radicale, Violette Spillebout veut « supprimer Lille 3000, car le modèle est obsolète, tout est centralisé sur l’association et même les grands mécènes de 300 000 ou 400 000 euros qui faisaient vivre les petites structures sont désormais concentrés sur Lille 3000 ».

 

Véronique Pierron

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°540 du 28 février 2020, avec le titre suivant : Lille, tous contre la « démesure » de Martine Aubry

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque