Photographie

À Lille, la Maison de la photographie doute de son avenir

Installé à Lille depuis 2003, le lieu d’exposition voit d’un mauvais œil le futur « Institut pour la photographie » soutenu par la Maire, Martine Aubry, et Xavier Bertrand, le président du conseil régional des Hauts-de-France. Une inquiétude sur fond de rivalités politiques.

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 21 novembre 2018 - 1153 mots

LILLE

Le centre photographique créé en 2003 se sent menacé par le projet d’« Institut pour la photographie des Hauts-de-France » porté par la Ville et la Région qui ne sont pas du même bord politique. Dans le même temps, l’épouse du fondateur, longtemps proche de Martine Aubry, a rejoint LaRem.

La Maison de la Photographie
La Maison de la Photographie de Lille est située dans un immeuble contemporain
© La Maison de la Photographie

Lille (Nord). Depuis le début de l’année, le torchon brûle entre, d’un côté, Olivier Spillebout, fondateur et directeur de la Maison de la photographie à Lille, et de l’autre, Martine Aubry, maire de la ville, et Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France. La presse régionale se fait régulièrement l’écho des déclarations des uns et des autres. Les dernières en date portent sur un communiqué de presse d’Olivier Spillebout daté du 17 octobre, le jour de l’ouverture d’un colloque organisé par l’« Institut pour la photographie », le projet imaginé par le président de Région en collaboration avec les Rencontres d’Arles et avec le soutien de la Métropole européenne de Lille, propriétaire du bâtiment en centre-ville. Le titre, « La Maison de la photographie demande à la Région de suspendre le projet d’Institut », donne la tonalité du texte arguant que « le comité d’experts n’a pas été consulté » et qu’« Arles à Lille n’est pas une bonne idée », ajoutant que « le projet actuel manque d’ambition et que la localisation à Lille est un mauvais choix ». Avant de conclure que « la méthode d’initiation de ce grand projet interroge largement ».

Interrogé, Olivier Spillebout ne mâche pas ses mots : « On est dans un dossier politique. Il y a une alliance politique entre Martine Aubry et Xavier Bertrand pour rayer la Maison de la photographie de la carte. On les dérange beaucoup. En début d’année Martine Aubry a supprimé la subvention de la Ville. » Un courrier de la Mairie daté du 5 janvier 2018 a rejeté effectivement la demande de 150 000 euros formulée par l’association au titre de son programme d’activités, ce compte tenu « de la situation d’endettement et d’insolvabilité persistante ». Depuis, « la guerre est déclarée », pour reprendre les termes d’Olivier Spillebout. Il fut pourtant un temps pas si lointain où le paysage politique lillois, voire régional, fut un grand soutien à ses initiatives.

Un budget qui bondit entre 2001 et 2011

Quand Olivier Spillebout lance en mai 2001 Transphotographiques à Lille, le festival réunit lors de l’exposition « Willy Ronis » Pierre Mauroy, président de la communauté urbaine de Lille, et Martine Aubry, fraîchement élue à Mairie. La programmation séduit, « Lille, Capitale européenne de la culture 2004 » se profile, l’événement s’y inscrit et Olivier Spillebout, à l’œuvre depuis 1997 pour une meilleure diffusion du médium photographique, a le vent en poupe. Le budget de son association passe de 67 000 euros en 2001 à 810 000 euros en 2011. De fait, la création en 2003 de la « Maison de la photographie », son installation dans une ancienne usine, ont favorisé son développement, soutenu par des subventions publiques couvrant jusqu’à 91,5 % du budget de l’association en 2008, celui-ci incluant l’organisation du festival.

La Ville de Lille arrive en tête des financeurs (255 000 € en 2011) suivie de la Région, dont les subventions s’accroissent durant la même période (passant de 8 000 € à 250 000 € avec un repli en 2006 à 70 000 € à la suite de la décision d’Olivier Spillebout d’annuler Transphotographiques pour en faire une« biennale plus prestigieuse en 2007 »).

Sur la même période 2001-2011, les subventions de la métropole lilloise s’accroissent, passant de 8 000 à 150 000 €, celles du Conseil général du Nord sont plus chaotiques avant d’être supprimées jusqu’en 2011. Les crédits apportés par Lille 3000 oscillent de leur côté selon les années entre zéro et 50 000 euros en 2004 et 2008, ceux de l’État vont de 5 000 à 8 000 euros entre 2001 et 2005. On dit alors de la Maison de la photographie qu’« elle a le soutien de Martine Aubry », bien qu’Olivier Spillebout manifeste régulièrement depuis 2008 contre le « trust des subventions de la Ville par Lille 3000 ». Violette Spillebout, l’épouse d’Olivier Spillebout, est une proche de la maire de Lille qui fut également présidente de la Métropole (2008-2014) avant que Damien Castelain se fasse élire.

Loyers impayés

Chargée de mission au cabinet de Pierre Mauroy pour la communication, les projets innovants et le tourisme (1997-2001), Violette Spillebout a été successivement cheffe de cabinet (2001-2005), directrice adjointe de cabinet (2006-2008) et directrice de cabinet de Martine Aubry (mars 2008-août 2013). Quand elle exprime son souhait de partir, Martine Aubry l’aide à trouver un poste à la SNCF, comme son ancienne directrice de cabinet le raconte dans La Voix du Nord en février 2018. « Je voulais changer de métier », souligne-t-elle avant de préciser qu’elle « n’était plus en phase avec beaucoup de choses », notamment sur le plan culturel. « Mais j’avais des liens très forts avec Martine Aubry et je ne suis pas partie fâchée. […] On a continué à se voir après mon départ. »

Mais, son retour en politique le 7 janvier 2018 au côté de Christophe Itier, chef de file de La République en marche dans le Nord, n’a guère été du goût de Martine Aubry. Marion Gautier, adjointe déléguée à la culture, se refuse cependant à lier la suppression des subventions de la Ville à la Maison de la photographie ce ralliement, rappelant l’endettement de 174 000 euros de l’association dû à ses loyers impayés. Créances qu’Olivier Spillebout a finalement soldées à la fin 2017.

Transferts budgétaires

Suivre l’évolution des subventions publiques accordées à la Maison de la photographie, c’est convoquer les querelles politiques régionales, notamment celle qui opposa à partir de fin 2011 Martine Aubry au socialiste Daniel Percheron, président du conseil régional Nord - Pas-de-Calais (2001-2015), sous le mandat duquel le soutien à la structure sera supprimé. L’association verra ainsi son budget divisé par deux (405 000 €), la Ville de Lille ayant par ailleurs fortement baissé ses subventions (de 255 000 € en 2011 à 135 000 € en 2012). « Pour que la Maison de la photographie ne fasse pas de vagues, Martine Aubry a alors convaincu le Département du Nord et la Drac de compenser », raconte Violette Spillebout. Chacun apportera respectivement 60 000 euros et 50 000 euros à l’association. « À cette époque, Martine Aubry est première secrétaire du PS, engagée dans la primaire socialiste, virtuellement présidente ou ministre, ce qui explique les déblocages de fonds», rappelle-t-elle.

Par la suite, les subventions publiques se limiteront entre 2013 et 2017 à celles de la Ville (130 000 € par an) et à deux financements liés à Lille 3000 (33 000 € en 2014, 16 000 € en 2015). La part de l’autofinancement de l’association dans le budget s’accroît essentiellement par la location des espaces du bâtiment, et le soutien de partenaires privés tels que la BNP-Paribas pour l’exposition actuelle « Yann Arthus-Bertrand ». En 2018, seul Transphotographiques, organisé de mai à juillet par l’association, a bénéficié d’une subvention de 30 000 euros de la Ville, du Département et de la Région.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : À Lille, La Maison de la photographie prise en étau

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque