Société

SOUTIEN AUX ARTISTES

L’aide aux artistes sous la forme d’acquisitions se met en place

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 13 mai 2020 - 1119 mots

FRANCE

Institutions publiques, associations, galeries et mécènes commencent à se mobiliser pour acheter des œuvres aux artistes.

La Ribot, Laughing Hole, 2006, FNAC 2016-0232, Centre national des arts plastiques. L’œuvre illustre l'appel à projets intitulé « La vie bonne » et lancé en mai par le Cnap et Aware, à destination des artistes femmes pratiquant la performance. © Photo Anna van Kooij
La Ribot, Laughing Hole, 2006, collection du FNAC. L’œuvre illustre l'appel à projets intitulé « La vie bonne » et lancé en mai par le Cnap et Aware, à destination des artistes femmes pratiquant la performance.
© Photo Anna van Kooij

France. La période de confinement est propice aux dossiers de candidature. D’autant qu’il en va, pour certaines galeries et pour de nombreux artistes, de leur survie économique. Au moment où l’on entrevoit les dégâts causés par la pandémie, l’institution semble l’un des derniers remparts contre le marasme annoncé.

Le Centre Pompidou, parmi les premiers à réagir, a choisi de transformer son traditionnel dîner de gala de la Société des amis en cocktail, lui-même reporté en octobre, afin d’augmenter les ressources allouées aux acquisitions d’œuvres d’art. Ce dispositif exceptionnel s’accompagne de la volonté, plutôt que de faire entrer dans les collections une pièce monumentale d’un artiste confirmé, de procéder à plusieurs achats d’œuvres d’artistes de la scène française, pour un montant de 30 000 euros maximum la pièce. L’objectif, modeste mais louable, est de « faire une dizaine d’acquisitions », confie Océane Arnaud, codirectrice des Amis du Centre Pompidou.

Avant même que le confinement soit déclaré, le Centre national des arts plastiques (Cnap) avait commencé à alerter le ministère. « J’ai demandé des fonds exceptionnels, on nous a attribué 1,2 million d’euros », relate Béatrice Salmon, la directrice de l’opérateur public. Près de la moitié de cette enveloppe (500 000 euros) a été affectée à une aide ponctuelle aux artistes-auteurs, les 600 000 euros restants étant consacrés à une session exceptionnelle d’acquisitions, à destination des galeries, tous domaines confondus (arts plastiques, photo, arts décoratifs). La scène française est, là encore, prioritaire, chaque galerie pouvant faire deux propositions pour un montant plafonné à 25 000 euros par acquisition. La sélection s’annonce ardue pour la commission qui doit se réunir en juin, les dossiers affluant de tout l’Hexagone, et, entre autres, de galeries de renom telles que Lelong & Co, qui soumet une aquarelle de Barthélémy Toguo et une peinture de Marc Desgrandchamps. « Nous allons communiquer les résultats avant l’été, assure Béatrice Salmon, et nous avons assoupli les règles de paiement. » L’objectif étant que l’argent arrive le plus vite possible chez les artistes. « Il faut que la solidarité soit au rendez-vous, résume Béatrice Salmon, ajoutant : je n’estime pas que ce soit un solde de tout compte. C’est un premier temps. » Comprendre que le Cnap fait ce qu’il peut, avec les moyens du bord. « Cela équivaut à partager une demi-biscotte entre 200 galeries », ironise amèrement un marchand. La démarche, aussi limitée soit-elle, a cependant vertu d’exemple.

Deux Frac augmentent leur budget d’acquisition

Les Frac [Fonds régionaux d’art contemporain] sont également très attendus sur ce front de l’aide aux artistes, puisqu’ils disposent d’une visibilité budgétaire et de collections « vivantes ». Ces structures régionales semblent cependant assez lentes à se mettre en mouvement, à deux exceptions notables, le Frac Nouvelle-Aquitaine Méca et le Frac Auvergne. Le premier vient de désigner 25 lauréats, à la suite d’un appel à projets lancé pour soutenir les artistes face à la crise. Les 50 000 euros alloués à cette initiative proviennent en grande partie des recettes de sa billetterie. « 2 000 euros par artiste pour produire une œuvre, c’est un coup de pouce, une somme que l’on donne sans obligation de résultat de leur part », convient la directrice, Claire Jacquet, qui a dû, avec son équipe, opérer un tri parmi plus de 400 dossiers. « Notre comité d’acquisition devait se réunir le 20 mai ; j’ai fait le choix d’avancer et de dématérialiser cette réunion, détaille pour sa part Jean-Charles Vergne, du Frac Auvergne. Le montant initial, de 135 000 euros, a été exceptionnellement porté à 188 000 euros, et nous avons bouclé notre sélection en une semaine, avec l’aval de notre conseil d’administration. » Procédure d’urgence qui a bénéficié à dix-sept artistes (dont Myriam Haddad, Philippe Durand, Agnès Geoffray, Denis Laget…) et à une dizaine de galeries françaises. « En tant qu’institution publique, nous sommes dans notre rôle », estime Jean-Charles Vergne.

Contrainte d’annuler la cérémonie, prévue le 16 mars, de l’édition 2020 du prix Aware : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, Camille Morineau, la fondatrice de l’association, a vécu l’annonce du confinement « comme un électrochoc ». Une aide de 2 000 euros par artiste a immédiatement été adressée, à la manière d’une invitation, aux lauréates successives du prix, dont les créations seront mises en ligne sur le site. « J’ai reconstruit notre budget afin de dégager cette somme, conçue comme un geste de proximité », explique Camille Morineau.

D’une discussion amicale avec Béatrice Salmon est née une seconde initiative, plus ambitieuse, associant les moyens et les compétences des deux entités. Baptisé « La vie bonne », en référence à un texte de la théoricienne Judith Butler, il s’agit d’un appel à projets à destination des artistes femmes, pour des œuvres performatives. Les artistes retenues recevront une somme de 5 000 euros ainsi que le paiement de frais de production (avec un plafond de 2 000 euros). Les projets, diffusés sur le site d’Aware courant octobre, intégreront la collection du Cnap. Et feront écho à la réflexion de Judith Butler, s’interrogeant sur « la possibilité d’une vie bonne à l’intérieur d’un monde dans lequel la bonne vie est structurellement ou systématiquement interdite au plus grand nombre ».

La philanthropie se réveille

SECTEUR PRIVÉ. « Mon grand souci, ce sont les artistes », soupire Daniele Balice, codirecteur de la galerie Balice Hertling. Ce sont eux en effet les plus fragiles dans cet écosystème où les initiatives privées sont encore rares, et parfois minuscules. Des petits collectionneurs, ceux qui règlent leurs achats en plusieurs mensualités, appellent en ce moment les galeries pour leur dire d’encaisser tous leurs chèques, témoignent ainsi certains marchands. Touchée par ce geste, aussi symbolique soit-il, Anne Barrault se félicite de ce que la plupart des artistes de sa galerie exercent une activité d’enseignement leur assurant un fixe régulier. Et tente de verser des avances à ceux qui ne disposent d’aucun revenu, afin d’injecter un peu de liquidité dans leurs finances. En créant le collectif « Les Amis des Artistes », la galerie Valérie Delaunay essaie pour sa part d’enclencher un cercle vertueux. « En cas de vente, 70 % seront versés directement à l’artiste et les 30 % restants iront dans une cagnotte pour être redistribués à d’autres artistes. » La Fondation des artistes, qui soutient chaque année des projets pour un montant total de 500 000 euros, a maintenu, par écrans interposés, sa commission mécénat printanière, et une sélection fondée sur des critères artistiques. Antoine de Galbert, à travers sa fondation, a quant à lui balayé toute hiérarchisation esthétique. En décidant, très rapidement, d’ouvrir un « fonds de solidarité », il a multiplié les soutiens ponctuels, comme autant de « gouttes d’eau », d’un montant maximum de 5 000 euros. Ces aides d’urgence s’adressent majoritairement à des associations et des collectifs. « J’espère pouvoir en aider une centaine », estime le collectionneur et Mécène.

Anne-Cécile Sanchez

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°545 du 8 mai 2020, avec le titre suivant : L’aide aux artistes sous la forme d’acquisitions se met en place

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