Politique culturelle

COMPTES PUBLICS

Le « quoi qu’il en coûte » à l’heure des comptes

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2024 - 954 mots

La Cour des comptes a commencé à auditer les crédits exceptionnels de la Culture pendant la crise sanitaire. En ressort un manque d’évaluation et de transparence.

Vue de l'exposition Venise Révélée au Grand Palais immersif. © Martin Hieslmair
Vue de l'exposition « Venise Révélée » au Grand Palais immersif.
© Martin Hieslmair

Paris. Trois milliards d’euros, soit l’équivalent d’une année entière du budget de la Culture : la Cour des comptes (sur demande du Sénat) ne pouvait passer à côté de telles dépenses. Les magistrats ont posé leur calculette sur les 3,1 milliards d’euros de crédits exceptionnels accordés à la culture et aux industries culturelles entre 2017 et 2023. Ces crédits se décomposent en deux grands ensembles : 1,6 milliard d’euros au titre du plan de relance et 1,5 milliard d’euros que, par simplification ici, nous rattacherons aux programmes d’investissements d’avenir (PIA).

Malgré son montant, le plan de relance suscite moins de critiques que les PIA. Les magistrats admettent que ces crédits décidés à l’été 2020, soit en pleine période Covid, ont servi à la fois à protéger le secteur culturel affecté par les confinements et à l’accompagner à la sortie de la crise sanitaire. Tout en regrettant qu’une partie de cet argent n’ait pas été utilisée pour transformer certains dispositifs du ministère, comme c’était l’intention initiale.

Ils décochent cependant des flèches contre deux commandes publiques d’art. La première, décidée par Emmanuel Macron, dénommée « Mondes nouveaux » et dotée de 30 millions d’euros, a été transformée en appel à manifestation d’intérêt (AMI). Ce changement de cadre juridique n’est pas anecdotique puisque dans un AMI les œuvres restent la propriété des artistes. Le manque de transparence sur les chiffres laisse penser que beaucoup d’argent a été donné aux deux agences de production (Eva Albarran & Co et Vivanto) et à la structure qui a géré le programme, et pas autant qu’il aurait été nécessaire aux artistes eux-mêmes. Tout cela pour une faible médiatisation. Les magistrats sont si agacés par le manque d’évaluation de ce programme piloté par Bernard Blistène, l’ancien directeur du Musée national d’art moderne, qu’ils exigent que la nouvelle commande prévue ne soit pas lancée avant un audit complet de « Mondes nouveaux ». La seconde flèche concerne la Grande commande Photojournalisme, gérée par la BNF. Ils s’étonnent de l’importance des frais de gestion (360 000 € sur un budget de 4,40 M€), correspondant aux commandes passées aux 200 photographes et au suivi de celles-ci.

Des PIA culturels chronophages

Le volet culturel des programmes d’investissements d’avenir a davantage retenu leur attention. Comme leur nom l’indique, les PIA sont des outils de financement de l’innovation, pluriannuels. Depuis le premier PIA en 2010, doté de 35 milliards d’euros, trois PIA ont été lancés pour un total de 77 milliards d’euros. Le dernier PIA (PIA 4) date de 2020 et a été intégré dans un plus vaste programme dénommé « France 2030 ». Ces programmes sont décidés directement par les services du Premier ministre et les fonds sont gérés principalement par la Caisse des dépôts et consignations et BPIFrance, la banque publique d’investissements. Ils présentent le défaut, selon la Cour, de ne pas associer les ministères concernés, en l’espèce le ministère de la Culture.

D’un montant de 508 millions d’euros, le volet culturel des PIA 1 et 3 (il n’y a pas eu de PIA 2 culture) a été mis en œuvre à partir de 2017. Agissant pour une part comme un fonds d’investissement classique, le dispositif distribue des millions sans grande visibilité en retour. L’exemple le plus connu du public est celui du « Grand Palais immersif », salué par les magistrats (mais y sont-ils vraiment allés ?). Mais pour un GP immersif (qui a reçu 2,30 M€), combien de start-up inconnues ou au business model incertain ? Ainsi, cinq des quatorze sociétés dans lesquelles la Caisse des dépôts a pris des parts dans le cadre de l’un des appel à manifestation d’intérêt ont fait faillite quelques années à peine après leur création. Une société dans laquelle la Caisse a investi 3 millions d’euros ne donne plus signe de vie. Dans un autre fonds, la Cour s’étonne que beaucoup d’argent ait été investi dans plusieurs sociétés qui produisent des podcasts alors que le marché des podcasts payants n’a jamais décollé face à une offre gratuite surabondante (Radio France). Les remarques précédentes concernent principalement le PIA 1. Pour le PIA 3, c’est plus simple, l’État a décrété que la plus grande partie de son enveloppe (190 M€) irait financer les travaux du Grand Palais et du château de Villers-Cotterêts (Aisne), dévoyant ainsi l’esprit des PIA supposés soutenir l’innovation numérique.

La construction du volet culture du PIA 4 ne facilite pas non plus sa lisibilité. Le PIA 4 annoncé en septembre 2020 a été fondu quelque temps plus tard dans le grand programme de relance post-Covid « France 2030 » (qui n’a rien à voir avec le plan de relance). Le PIA 4 « culture » correspond à la « stratégie d’accélération des industries culturelles et créatives (doté de 400 M€) », complété par le volet culture de France 2030 doté de 600 millions d’euros. Le rapport ne rentre pas dans le détail des fonds versés récemment. Il relève cependant que la gestion de France 2030 est tout aussi chronophage et que, décidés en pleine crise sanitaire, nombre de financements ont été sélectionnés sans études préalables suffisantes, ou au profit d’opérateurs expérimentés capables de répondre très vite, tel le Centre national du cinéma et de l’image animée qui a obtenu 350 millions d’euros pour la création de nouveaux studios de tournage.

Ce rapport surprend par le peu d’informations comptables divulguées sur ces milliards dépensés, investis et parfois gaspillés, alors que dans d’autres documents la Cour est autrement plus diserte – voir les notes de frais de l’INA. En fait, les magistrats de la Rue Cambon sont plus outillés pour auditer un opérateur spécifique ou les grandes masses budgétaires classiques que pour contrôler une multitude de financements.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Le « quoi qu’il en coûte » à l’heure des comptes

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