Belgique - Politique culturelle

Assurance baisse d’activité

En Belgique, les artistes bénéficient désormais d’un statut spécifique

Par Gilles Bechet, correspondant en Belgique · Le Journal des Arts

Le 10 janvier 2024 - 1017 mots

BELGIQUE

Le nouveau statut de « Travailleur des arts » va permettre aux comédiens, techniciens mais aussi artistes de toucher une allocation quand leur rémunération sera en baisse.

Artiste au travail. © Antoni Shkraba / Pexels
Artiste au travail.

Belgique. En Belgique, comme en France, le statut d’artiste est évoqué et discuté depuis des années sans réelles avancées. Mais le confinement lié à la crise du Covid-19 lui a donné un coup d’accélérateur. Pendant cette période, de nombreux artistes se sont retrouvés sans ressources et ont dû, pour certains, s’approvisionner auprès de banques alimentaires mises en place par des associations de bénévoles. Une majorité des artistes vivent de petits boulots, de bricolages et d’arrangements, parfois à la limite de la légalité. Mais cela devrait changer à partir du 1er janvier avec l’entrée en vigueur du statut de « Travailleur des arts ».

La nouvelle « carte » de Travailleur des arts

Pour bénéficier des allocations prévues à leur attention, les artistes devront d’abord faire valider leur statut par la nouvelle Commission du travail des arts dont la moitié des membres est issue du secteur professionnel artistique, l’autre moitié se partageant entre administrations fédérales, organisations patronales et organisations des travailleurs indépendants et salariés. Une fois ce statut accordé, l’artiste pourra bénéficier d’une allocation octroyée par l’ONEm (organisme fédéral qui gère l’assurance chômage), s’il a effectué l’équivalent d’un nombre de jours de travail requis sur une période de référence qui précède la demande.

Si ce nouveau statut concerne l’ensemble des travailleurs du secteur culturel, dont en premier lieu les comédiens et techniciens du spectacle vivant (théâtre, cinéma…), il bénéficie aussi aux artistes plasticiens. Avant la réforme, pour obtenir le droit à des allocations chômage, l’artiste devait, comme n’importe quel travailleur, avoir travaillé un certain nombre de jours. Désormais, pour se voir accorder l’attestation de Travailleur des arts, il devra apporter la preuve de revenus liés à une activité principale dans le domaine des arts de 13 546 euros brut durant les cinq années précédant la demande, ou 5 418 euros durant les deux dernières années. Une attestation appelée « Starter », destinée aux primo artistes, pourra être délivrée à partir de 300 euros brut de revenus dans les trois ans précédant la demande. L’attestation de Travailleur des arts est délivrée pour une période de cinq ans, celle de Starter pour trois ans.

Le fonctionnement et la pertinence de cette commission seront évalués après plusieurs mois d’activité. De nombreuses zones floues subsistent, particulièrement pour les arts plastiques. « La Commission devra évaluer “l’artisticité” de la pratique dans le temps et les revenus qui y sont liés. Ce que certains considèrent comme un contrôle étatique sur ce qu’est et doit être la création artistique », explique Tiphanie Blanc, coordinatrice de la Fédération des arts plastiques (FAP). Une large part du travail artistique est en effet invisible et on demandera aux artistes de le justifier, comme le temps passé à l’atelier ou ce qu’on y a produit. Tout cela implique pour l’artiste de conserver un maximum de traces de ses échanges avec les différentes structures ou institutions.

Participant aux discussions qui ont précédé l’élaboration du statut, la FAP a pu constater le fossé entre ce qu’est la vie d’artiste et la manière dont les politiques et l’administration essaient de cadrer les choses. « La frontière est mince entre ce qui est considéré comme créatif et ce qui ne l’est pas. On a pu, par exemple, ajouter la catégorie d’artiste conceptuel ou d’artiste multidisciplinaire et faire accepter les commissaires d’exposition et les écrivains sur l’art. »

Le calcul des indemnités compensatrices

Le principe des allocations est de soustraire aux allocations du trimestre suivant les revenus artistiques et salariés qui dépasseraient un montant de référence. C’est donc une forme de garantie de rémunération. L’artiste n’a pas à se déclarer au chômage, c’est l’administration qui constate une baisse de sa rémunération. Le calcul des revenus artistiques ne sera pas simple car les artistes plasticiens peuvent faire valoir devant la commission des sources de revenus multiples, que ce soit par la vente d’œuvres, le défraiement pour une exposition, une bourse ou un travail salarié. Une clé de répartition est prévue pour convertir les montants bruts en jours de travail qui s’ajouteront alors aux jours de travail salariés effectués (dans une école d’art par exemple).

Entre inquiétude et soulagement

« C’est une réforme complexe. On doit dorénavant passer par une première porte d’entrée qu’est la commission pour pouvoir tenter de faire valoir des règles dérogatoires en matière de chômage devant l’ONEm, qui fixera et octroiera l’allocation de travail des arts. Quand certains sont très heureux d’ouvrir pour la première fois un droit à la sécurité sociale, d’autres s’inquiètent d’un plafonnement de revenus en raison d’autres règles au niveau de l’ONEm. En fait, cela devient une affaire individuelle et personnelle. Ce statut sera plus attractif pour certains que pour d’autres », note Anne-Catherine Lacroix, conseillère juridique à l’Atelier des droits sociaux.

Beaucoup d’artistes voient arriver cette réforme avec soulagement. Pendant l’année transitoire qui a précédé l’entrée en fonction de la Commission du travail des arts, on a vu un accroissement très net des bénéficiaires de la nouvelle allocation de l’ONEm. Même si elle ne considère pas faire partie des artistes les plus précaires et s’estime plutôt privilégiée par rapport à d’autres, l’artiste Clara Thomine voit cette garantie de rémunération comme la possibilité de sortir d’une certaine précarité : « Cela va me permettre de mettre en place des projets à court terme. Avant d’obtenir le statut, j’étais sous les radars, je n’existais pas socialement. Le statut de Travailleur des arts va me permettre de prendre du temps pour préparer des dossiers et penser à quelque chose qui ressemble à une carrière. » Pour Carole Louis, une artiste qui, ces dernières années, a orienté son travail vers la performance, une forme d’art qui ne génère pas beaucoup de revenus, le statut d’artiste est un vrai soulagement. « Cela m’a stabilisée et m’a permis de travailler à des projets avec plus de sérénité. »

Le statut de Travailleur des arts qui se met en place en Belgique, apporte de réelles avancées, avec un accès plus large, un montant des allocations légèrement revu à la hausse et une meilleure prise en compte du travail invisible, mais comporte aussi encore beaucoup inconnues.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : En Belgique, les artistes bénéficient désormais d’un statut spécifique

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