JUSTICE

La malheureuse histoire du sauveteur des photos de HCB

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2017 - 513 mots

PARIS

Un promeneur découvre en 1991 dans la rue des tirages d’Henri Cartier-Bresson. La justice lui a ordonné de les rendre à l’État qui à l’époque voulait les détruire.

Paris. Les contes sont parfois bien cruels. Voici un promeneur qui, en 1991, découvre d’étonnants restes de panneaux de bois sur le trottoir, devant un immeuble en construction du 11e arrondissement de Paris. Sur ces supports incongrus sont collées des photographies ne portant ni signature ni tampon. Notre homme les décolle précieusement, puis les restaure et les conserve. Ces tirages sont-ils ceux d’un anonyme les ayant laissés bizarrement fixés et abandonnés au gré d’un déménagement précipité ? Ce n’était pas là l’avis de leur découvreur, certain d’avoir trouvé des originaux d’Henri Cartier-Bresson. Pour s’en assurer, il contacte le photographe en 2000 et échange avec lui jusqu’à son décès en 2004. La découverte est heureuse : les neuf tirages sont authentiques. Mais le malheur prend parfois d’étranges détours, car l’origine des photographies est stupéfiante.

L’histoire veut qu’à l’occasion de la première présentation en France d’Henri Cartier-Bresson, en 1955 au pavillon de Marsan, au Louvre, plus de 350 photographies aient été spécialement tirées pour être fixées sur 85 panneaux composant l’exposition. En 1968, l’artiste faisait don de ces photographies à l’État, qui les conservait depuis lors dans les locaux du Centre national d’art contemporain (Cnac) – lequel gère les collections du Fonds national d’art contemporain – après les avoir inscrites à l’inventaire du dépôt des œuvres d’art de l’État. Mais à l’occasion du déménagement du Cnac à Puteaux, en 1991, l’état de très mauvaise conservation des tirages conduisit les services concernés à solliciter l’accord de l’artiste pour leur destruction. Celle-ci eut prétendument lieu en 1991, sans la présence du maître de l’instantané cependant. En réalité, la destruction fut sans nul doute hasardeuse, car la quasi-totalité des tirages retrouvés par notre promeneur provenaient bien des panneaux réalisés en 1955 et jetés sans délicatesse sur le bitume parisien. Alerté, le Cnac faisait parvenir en novembre 2011, vingt ans après la fameuse découverte, un courrier au détenteur en précisant que les tirages en sa possession restaient la propriété de l’État. Les velléités de vente à des musées nationaux furent ainsi mises en échec pour le détenteur, qui ne tarda pas à tenter de faire reconnaître sa propriété devant la justice.

Mais la cour d’appel de Paris vient, le 15 juin 2017, de confirmer que huit des neuf photographies provenaient bien des panneaux de l’exposition au pavillon de Marsan. Or, selon la cour, « la décision de destruction des œuvres altérées […] n’équivaut pas à une décision de déclassement faisant sortir les biens qui en sont l’objet du domaine public, laquelle nécessite […] l’intervention d’un acte administratif constatant le déclassement ». En d’autres termes, les tirages n’ont jamais cessé d’appartenir à l’État et leur restitution doit être ordonnée. La neuvième photographie n’est pas concernée par la mesure, faute de preuve suffisante relativement à son origine. Vingt-cinq ans après l’instant décisif de leur sauvetage, ces tirages réintégreront donc les collections publiques. L’histoire ne dit pas encore ce que l’État compte en faire.

Légende photo

Henri Cartier-Bresson, Autoportrait, 1957. © Fondation HCB/Magnum Photos.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : La malheureuse histoire du sauveteur des photos de HCB

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