Rencontres d’Arles

Henri Cartier-Bresson ? Éventuellement ?…

Le premier film réalisé avec le photographe

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 527 mots

Henri Cartier-Bresson, qui déteste être photographié et a fortiori être filmé, a accepté pour la première fois de participer à un film, qui sera projeté le 12 juillet à Arles, lors des Rencontres internationales de la photographie.

PARIS - "Quand les gens me demandent : vous êtes monsieur Untel ? Je réponds : éventuellement ?". Henri Cartier-Bresson, consacré comme l’un des plus grands photographes du siècle, se protège. N’étant "ni un acteur, ni un avocat" , il n’aime pas subir ce qu’il propose ou impose aux autres : la photographie. Son travail se suffit à lui-même, alors il n’aime pas non plus parler de son œuvre. Il est heureux d’être célèbre mais voudrait rester inconnu.

Il fallait donc la complicité de ses amis, la photographe Sarah Moon et l’éditeur Robert Delpire (directeur du Centre national de la photographie), pour vaincre des réticences, que certains qualifient de "coquetterie". Sarah Moon n’a pas pu se faire aider d’un opérateur, d’un éclairagiste, d’un preneur de son. La plupart des images ont été tournées en vidéo, le son est parfois d’une qualité approximative. Mais ce que le film perd en qualités techniques, il le gagne en spontanéité et en rythme.

Il devient un témoignage émouvant, bien au-delà du documentaire classique sur un "maître". Parfois même, les images et les commentaires se brouillent, comme tous les éléments du puzzle qui ont contribué à créer le mythe Cartier-Bresson. Mais revient sans cesse une image : Henri Cartier-Bresson, déjà âgé, sac au dos, casquette dans une main, appareil photo dans l’autre, marchant d’un pas allègre sur un chemin de campagne. À la fois décontracté et aux aguets, prêt à s’emparer d’un instant qui nous échapperait.

Pendant quarante minutes, se déroulent la vie et la carrière d’"HCB", des bras de sa mère aux bancs de l’école, ses rencontres avec les surréalistes, avec des artistes comme Giacometti, les guerres… Le jeune bourgeois altier devient un libertaire, qui veut se remettre en question. Ainsi, au sommet de sa carrière, après avoir pratiqué la photographie comme le "tir", il est retourné au dessin, "une méditation". Le film s’ouvre sur une autre partie de campagne. Henri Cartier-Bresson, assis sous un arbre comme Monet ou Renoir, dessine paisiblement. Il ne dessine pas seulement en plein air, mais au Museum d’histoire naturelle, où il a passé plusieurs mois, ou au Musée Guimet, fasciné par l’art khmer.

Même si la photographie n’a plus rien à apprendre au co-fondateur de l’agence Magnum, celle-ci reste la trame du film. Henri Cartier-Bresson évoque l’influence déterminante qu’a exercée sur lui la photographie de Munkacsi, trois enfants noirs jouant sur une plage. Il explique son goût pour la composition, "une joie", pour la géométrie, sa méfiance envers l’anecdote, son intérêt pour le reportage, alors que la photographie en soi ne le préoccupe pas. Le plus difficile reste le portrait, car il faut obtenir un "silence" du sujet, il faut qu’il soit "avec lui-même".
"Seules les questions, pas les réponses" l’intéressent. Le film s’intitule "Henri Cartier-Bresson. Point d’interrogation".

Arles, Rencontres internationales de la photographie, 7 juillet - 15 août (le JdA a publié dans son numéro 3 de mai un article sur l’ensemble des expositions et des projections).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Henri Cartier-Bresson ? Éventuellement ?…

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