Politique

ENTRETIEN

François Hollande : « La culture est frondeuse par définition, mais ce n’est pas elle qui m’a été la plus déloyale »

Ancien président de la République

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2023 - 2166 mots

L’ancien président de la République revient sur la politique culturelle de son mandat et commente celle de son successeur.

François Hollande. © Kremlin press office, 2014, CC BY 4.0
François Hollande

François Hollande s’est peu exprimé dans les médias sur le volet culturel de son quinquennat (2012-2017) depuis son départ de l’Élysée. Dans cet entretien exclusif pour Le Journal des Arts, il en esquisse un inventaire, reconnaissant des décisions malvenues (la baisse du budget du ministère de la Culture), s’expliquant sur d’autres (l’arrêt de la Maison de l’histoire de France), et soulignant les réussites (l’Aliph, le régime des intermittents du spectacle). Il livre également son analyse sur la politique culturelle de son successeur et la situation en général du patrimoine et de la création.

Gardez-vous un œil sur l’Aliph (Alliance pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit) qui est – malheureusement – de plus en plus sollicitée, et dont vous êtes à l’initiative ?

Je suis les actions de l’Aliph autant que je le peux depuis la fin de mon mandat. Ce qui m’importe, c’est de vérifier si, au-delà de ma présence à l’Élysée, il y avait eu une poursuite de ce que la France et les Émirats arabes unis avaient voulu après le conflit en Syrie et en Irak. La réponse est oui. Il y a même eu des interventions dans d’autres régions du monde. Je pense à ce qui se passe en Ukraine avec les bombardements à l’est comme au sud, et notamment à Odessa qui est la ville la plus menacée, ou en Palestine. Toutes les épreuves qui affectent le monde nous font craindre que la mission de l’Aliph ne dure encore longtemps. L’un des intérêts de cette organisation est qu’elle est extrêmement souple, elle ne dépend pas d’autorités politiques. Je veux saluer l’action d’Audrey Azoulay comme ministre de la Culture au moment où l’Aliph a été créée qui a à cœur aujourd’hui d’accompagner le processus en tant que directrice générale de l’Unesco. Jack Lang a également joué un rôle important dans cette initiative.

« C’est très difficile la culture. Je trouve que c’est un milieu très dur, très exigeant, très ingrat », aviez-vous dit aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Est-ce toujours votre sentiment ?

Si j’avais un autre sentiment, je ne connaîtrais pas ce qu’est la définition même de la culture. Elle exprime une vitalité et une créativité qui explique sa rugosité et son exigence. C’est un milieu qui ne s’estime jamais assez soutenu par les pouvoirs publics, et jamais assez regardé par les citoyens eux-mêmes comme un élément essentiel de leur mode de vie. Or nos équipements culturels sont parmi les meilleurs du monde, nos musées connaissent une fréquentation considérable. Notre spectacle vivant et nos festivals sont des succès impressionnants. Notre cinéma est un des plus créatifs grâce à son financement original. Mais c’est un milieu qui a besoin, non pas d’encouragements, mais de reconnaissance de ce qu’il produit sur le plan économique et de son rôle social. Car la culture en France a une prétention qui va au-delà de simplement produire des événements, accueillir des expositions, offrir des images, diffuser la lecture, valoriser le patrimoine. La culture a comme fondement de porter des valeurs et de lier les individus les uns aux autres. C’est d’autant plus impérieux dans cette période de tensions que traverse notre pays. La culture est forcément interpellée pour qu’elle s’exprime et, en retour, elle interpelle les pouvoirs publics.
Quant à la relation toujours ardente entre la culture et l’État, elle suppose de la clarté. La culture demande un État qui non pas simplement la protège, mais lui donne les moyens de créer et de diffuser sans se mêler de ses productions et de ses réalisations. Si l’État est absent (et j’associe les collectivités locales qui mobilisent le plus de crédits culturels), il est nécessairement et légitimement mis en cause parce qu’il renvoie au marché ce qui relève de sa responsabilité. Et si l’État est trop présent, il y a un risque sur la liberté de création.
Est-ce que cette tension est un problème ? Je ne le crois pas. Elle est constitutive du rapport de la culture avec le pouvoir, elle est très liée à l’histoire de notre pays. La République a toujours promu les arts et leur démocratisation ; à la différence de la monarchie où c’était le monarque qui jouait un rôle majeur dans la commande et dans les faveurs.

Pensez-vous avoir été soutenu par le milieu culturel durant votre quinquennat ?

La culture est frondeuse par définition, mais ce n’est pas elle qui m’a été la plus déloyale. Il a pu y avoir des incompréhensions, sur le budget, sur les nominations, sur les choix d’investissement… Cela fait partie du débat. Le grand sujet qui a été posé pendant mon mandat a été celui des intermittents du spectacle, un sujet récurrent et conflictuel depuis des années. Je me félicite qu’à travers une négociation menée par Manuel Valls, mon gouvernement ait trouvé une issue pérenne. Je ne dis pas qu’il n’y a plus de problèmes pour les intermittents, mais le régime a été consolidé.

Le débat culturel lors de la campagne des présidentielles de 2012 portait sur la Hadopi [La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet]. Dix ans après les termes du débat ont bien changé !

Il y avait à l’époque une partie de la gauche qui voulait supprimer la Hadopi et éviter toute régulation. Je n’étais pas sur cette position. Elle avait provoqué une prise de distance de certains milieux culturels à l’égard des socialistes. J’ai trouvé une synthèse et une solution pour le streaming qui s’est aujourd’hui imposé. Je constate que nous avons pacifié la relation.

Avec le recul, ne regrettez-vous pas d’avoir diminué le budget de la Culture pendant deux ans alors que le montant de cette baisse était faible par rapport au déficit budgétaire ?

Il serait trop facile de renvoyer cette responsabilité sur le ministre du Budget de l’époque [Jérôme Cahuzac]. Les arbitrages budgétaires sont toujours mécaniques, dans une période où il faut absolument réduire le déficit. Nous étions en pleine crise financière qui pouvait déboucher sur une crise économique. Ce coup de rabot a été mal compris puisque, généralement, quand la gauche arrive au pouvoir, elle augmente le budget de la culture. Là, on avait mis la culture au même traitement que les autres budgets. Mais j’avais prévenu que les deux ans de redressement seraient suivis par trois ans de redistribution et de rétablissement. Il se trouve que le budget 2017 a été supérieur, inflation comprise, au budget 2012. Mais pour répondre à votre question, oui, je regrette cette décision. Quitte à faire des économies, il eut mieux valu les faire dans les « dépenses fiscales » qui sont nombreuses, y compris dans la culture.

Vous avez abandonné le projet de Musée de l’histoire de France de votre prédécesseur, ne pensez-vous pas qu’un tel lieu serait utile pour débattre de l’histoire de France, « en public » ?

Notre histoire nous unit, à condition de la connaître, y compris dans ses parties obscures. Prenons Napoléon, il y a la création d’institutions qui existent encore, mais aussi les guerres ou le rétablissement de l’esclavage. L’histoire charrie à la fois ce que nous avons en commun et qui fait notre fierté, mais aussi des événements tragiques dont nous nous devons de faire retour. Le projet de Musée de l’histoire de France s’inscrivait malencontreusement dans un débat sur l’immigration et sur l’identité nationale. Il a submergé le débat, d’où la méfiance d’un certain nombre d’historiens, même s’ils étaient nombreux et de toutes sensibilités dans le projet. Le deuxième malentendu, qui explique beaucoup de la déconvenue, a été d’utiliser les locaux de la direction des Archives pour installer ce musée ; la crainte des Archives était d’être fondues dans ce musée.
Est-ce qu’il faut le reprendre ? La bonne idée serait de confier cette mission à la direction des Archives, parce que c’est sa responsabilité. Elle a les locaux pour ça. Mais les Archives ne sont pas simplement à Paris. Ce qu’il conviendrait de créer c’est une Maison de l’histoire de France à l’échelle de toute la nation.

La Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts qu’Emmanuel Macron vient d’inaugurer est-elle une bonne idée ?

Je comprends la nécessité de réhabiliter un château prestigieux dans lequel François Ier s’était lui-même investi. Le succès de cette opération va dépendre de ce qui va être exposé et présenté pédagogiquement auprès des jeunes générations. Je crois judicieux d’y montrer des œuvres qui illustrent la constitution de notre langue aux différentes époques. J’ai visité de nombreux musées pendant et depuis mon mandat, et j’ai pu mesurer l’importance des œuvres exposées, de leur scénographie, comme au Louvre-Lens qui est une véritable réussite.

Vous avez inauguré beaucoup de musées mais n’en avez lancé aucun. Un regret ?

En effet, j’ai inauguré beaucoup de musées, et c’est la raison pour laquelle je me suis convaincu que ce n’était pas forcément à moi d’en lancer un nouveau. Je voulais précisément faire autrement, pas forcément « faire » dans la pierre, mais dans l’humain. J’ai créé une fondation, La France s’engage, pour le soutien aux initiatives innovantes, sociales, culturelles. Je constate par ailleurs que les musées en région sont de grande qualité et méritent d’être davantage soutenus par l’État.

Regrettez-vous que votre décision d’ouvrir le Louvre, Orsay et Versailles le 7e jour [leur jour de fermeture] pour les scolaires ait rapidement été abandonnée ?

Oui, car nous savons qu’il y a chez les jeunes un blocage psychologique pour entrer dans un musée. Ce verrou doit être levé dès la scolarité. La gratuité n’est pas suffisante, il faut travailler en amont. Pour autant, il ne suffit pas de mettre des élèves dans des salles d’exposition, il faut leur fournir des explications, faire des animations ludiques et susciter leur curiosité en faisant appel à la diversité de leurs parcours et de leurs origines.

Quel a été votre rôle dans la relance du Louvre Abu Dhabi qui était « ensablé » en 2012 ?

Je suis intervenu dans le cadre d’une négociation globale avec les Émiratis qui comprenait de nombreux aspects, de défense, d’économie…

Même Jean-Luc Mélenchon pense que le Pass culture est une bonne idée, et vous qu’en pensez-vous ?

Le Pass culture a été inventé dans les régions. Une des critiques qui pèsent sur ce dispositif est qu’il bénéficie beaucoup à des entreprises étrangères comme les éditeurs de mangas, par exemple. Ensuite, il semblerait que les jeunes qui vivent dans les quartiers populaires n’en profitent pas autant que les autres. Mais tout ce qui facilite l’accès à la culture est bon à prendre.

Que retenez-vous de la politique culturelle d’Emmanuel Macron ?

Elle est à l’image du reste de sa politique, c’est-à-dire du « en même temps » avec cependant un focus plus important sur le patrimoine que sur le spectacle vivant. Or je pense que le spectacle vivant est très important pour la pratique culturelle, la rencontre entre des jeunes et des artistes, et le partage des émotions.

Y a-t-il encore un clivage entre la gauche et la droite dans la politique culturelle ?

Ce n’est plus aussi manichéen que par le passé. Ainsi est-il arrivé à certains élus écologistes de réduire les budgets de la culture de leurs collectivités locales au motif que ce sont surtout les classes aisées qui en profitent ; je pense que le véritable clivage se situe plutôt sur la liberté de création artistique.

En 2016, vous avez renouvelé le mandat de Catherine Pégard à la tête de l’Établissement public de Versailles. Que pensez-vous de sa situation actuelle ?

Catherine Pégard a réussi dans la mission qui lui a été confiée, mais un intérim de trois ans, cela commence à être compliqué, notamment en regard de l’insécurité juridique de ses décisions. Il est faux de prétendre qu’elle est maintenue à son poste en raison des facilités qu’elle accorderait à la Lanterne, la résidence de week-end des présidents de la République. Elle n’y joue aucun rôle. De même, il est important que le château soit mis à disposition pour des événements diplomatiques, des rendez-vous pour les entreprises. Pour éviter les cas particuliers, mieux vaudrait s’interroger, pour les renouvellements de mandat, sur les limites d’âge.

Marseille-Provence 2013 s’est déroulée durant votre mandat. Avez-vous une préférence pour l’une des quatre villes françaises en lice pour être « Capitale européenne de la culture » en 2028 ?

Sûrement pas, je ne veux pas me fâcher avec les maires de ces quatre villes qui sont par ailleurs tous socialistes ! Rouen est ma cité de naissance, Clermont-Ferrand est tout proche de la Corrèze, Bourges est une ville qui ressemble à Tulle, Montpellier évoque la jeunesse avec un maire dynamique, comment voulez-vous que je choisisse ! Heureusement qu’il y a des jurys pour ça.

Quel équipement culturel aimeriez-vous qu’il porte votre nom plus tard (le plus tard possible évidemment) ?

Cet équipement n’est pas encore né, j’ai donc le temps. Ma Ville de Tulle est en train de construire une Cité de l’accordéon et du patrimoine, mais comme je ne joue pas de l’accordéon… Pour laisser une trace, il y a d’autres moyens que de laisser son nom à un musée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : François Hollande, ancien président de la République : « La culture est frondeuse par définition, mais ce n’est pas elle qui m’a été la plus déloyale »

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