Politique culturelle

CAPITALE EUROPÉENNE DE LA CULTURE 2028 – 4/4

« Rouen 2028 » tisse sa toile au-dessus de la Seine

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2023 - 1656 mots

ROUEN

Le Journal des Arts conclut son enquête sur les quatre villes en compétition pour obtenir le label « Capitale européenne de la culture 2028 » par Rouen et les méandres de la Seine.

Vue panoramique de Rouen. © Alan Aubry / Métropole Rouen Normandie
Vue panoramique de Rouen.
© Alan Aubry / Métropole Rouen Normandie

Rouen (Seine-Maritime). Alors que le jury de présélection s’était interrogé sur l’immensité du territoire de Clermont-Ferrand Massif Central 2028, il semble convaincu par la cohérence du terrain d’action de Rouen Seine Normande 2028, qui s’étend pourtant du Havre à Giverny en suivant les méandres de la Seine. « C’est le fleuve qui donne son sens à notre projet », explique Rebecca Armstrong, déléguée générale de la candidature, qui rappelle combien encore aujourd’hui la Seine est un axe de circulation majeur pour cette partie de la Normandie avec le fleuve, l’autoroute A13 et la ligne de chemin de fer. Ce que confirme Thomas Malgras, le secrétaire général. Tout « premier salarié arrivé en 2019 », il a arpenté le territoire pour convaincre les élus de participer au projet. « Caen s’est très vite mis à l’écart, ce qui a renforcé la cohérence d’une candidature qui suit les méandres de la Seine », explique-t-il. Enfin pas tout à fait le cours de la Seine, puisque le territoire s’étend entre 20 et 50 km de part et d’autre des deux rives, « les vallées affluentes » ont les mêmes problèmes, justifie Thomas Malgras.

Le projet de « Capitale européenne » est loin d’être la première occasion de collaboration entre les collectivités de ce territoire. Une délégation interministérielle en charge du développement de la vallée de la Seine existe depuis 2013 tandis que, depuis 2021, les ports du Havre, de Rouen et de Paris sont réunis en un seul établissement public. Thomas Malgras a travaillé pendant quatorze ans, à la mairie du Havre, notamment pour l’organisation de la manifestation « Un été au Havre », ce qui n’a pas manqué de faciliter le rapprochement entre Édouard Philippe (Horizon, ex-LR) et le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol (PS).

Ce terrain favorable permet au jury de reconnaître que « la candidature est unanimement soutenue par les élus du territoire ». Plus qu’un soutien souligne le délégué général qui explique qu’un engagement moral des élus pour participer à la candidature c’est bien, mais qu’un engagement financier c’est mieux, et de préciser que 70 % du budget de la candidature est déjà sécurisé. Il est vrai que Rouen et la Métropole représentent la moitié du budget.

Un maillage de la programmation sur tout le territoire

L’adhésion a été d’autant plus facile à obtenir que la programmation maille le territoire dans une démarche qui se veut très locale. Il ne s’agit pas, comme à Marseille-Provence 2013, de consacrer le budget de la « Capitale » à construire de grands équipements dans la ville centre et laisser des miettes d’animations ailleurs, mais bien d’irriguer toutes les collectivités associées. Si Rouen reste « le port d’attache », selon l’heureuse trouvaille sémantique de l’équipe organisatrice, dix villes le long de la Seine accueilleront les « Portes capitales », soit des points d’information et d’animation dans divers lieux comme le château de Gaillon.

Et pour mieux jouer la carte locale, la programmation fait largement appel aux artistes et organisations culturelles de chaque territoire. La candidature a conçu des « méta-projets transdisciplinaires que les acteurs locaux sont invités à alimenter », expliquait le premier dossier de candidature. « Nous n’avons pas voulu lancer des appels à projets avec la dimension concurrentielle que cela comporte », explique Rebecca Armstrong, préférant vouloir discuter en amont avec les acteurs locaux avant de passer commande, si la candidature est retenue. Finalement, les deux tiers de la production des événements seront réalisés par des structures locales, précise le maire de Rouen. C’est la raison pour laquelle le format Groupement d’intérêt public (GIP) sera retenu pour organiser la programmation, préféré à une association ou à un établissement public qui ne permettent pas, ou difficilement, de verser des fonds à des tiers. Un GIP est très lourd à monter, explique Thomas Malgras, il faut que chaque membre du GIP vote le même texte de la convention constitutive, mais ce format est le plus adapté à la démarche décentralisatrice revendiquée.

L’un des programmes emblématiques de cette démarche locale est « Seine monumentale », soit des résidences d’artistes dans des friches le long de la Seine afin de créer des installations, des œuvres sur façades, etc., qui seront activées en 2028 (un budget de 6,5 M€). Le programme (Re)Sources relève de cet esprit : son premier volet verra 20 duos d’artistes et ingénieurs réaliser des œuvres « sobres » alliant art et science dans des sites naturels (2 M€). Dans le même registre, des récits en lien avec la Seine (« Roman fleuve ») seront commandés à des auteurs, puis ces récits donneront naissance à des performances et œuvres monumentales disséminées le long des « Portes » (3,5 M€). Outre « Seine monumentale », le maire de Rouen aime à citer un projet un brin foutraque intitulé « Île flottante » ou « Flowtopia » dans la version en langue anglaise. Il s’agit d’un assemblage d’embarcations plus ou moins fantaisistes, de barges, de bateaux qui s’agrégeront autour d’une structure à construire, accueillant du public pour des animations et expositions. Dans la version initiale « l’île flottante » devait naviguer mais, dans la nouvelle version, elle restera arrimée dans le port de Rouen (2,9 M€).

© Cartographie : Jean Leveugle Les Savoirs Ambulants / Maxime Salles-Les artisants cartographes
© Cartographie : Jean Leveugle Les Savoirs Ambulants / Maxime Salles-Les artisants cartographes
Des friches réhabilitées

Rouen, comme ses concurrentes, ne veut plus « d’éléphants blancs », ce qui ne l’empêche pas de profiter de la candidature pour restructurer le Musée Beauvoisine (pour un coût équivalent au budget de la candidature, lire analyse ci-contre) ou de mentionner dans son dossier des friches qui seront reconverties en lieux culturels pérennes par les communes dans lesquelles elles sont situées ou d’accueillir des installations provisoires dans le cadre du programme « Seine monumentale ». Le mot « friche », que l’on associe spontanément à « friche industrielle », est d’ailleurs impropre. S’il convient pour Le chai à vin [lire analyse ci-contre], à l’ancienne filature de laine de Caudebec-lès-Elbeuf (Les Tissages, déjà reconvertie en école de l’image animée), ou aux anciens ateliers ferroviaires à Sotteville-lès-Rouen qu’il est envisagé de transformer en musée du rail, il est moins adapté pour l’ancienne synagogue d’Elbeuf qui pourrait accueillir un « Musée du judaïsme normando-alsacien » ou la Maison Grandchamps à Jumièges, où Maurice Leblanc, a séjourné à plusieurs reprises qui serait transformée en musée… Arsène Lupin.

Rouen n’entend cependant pas être éclipsée par les « Portes Capitales » et s’est réservé quelques manifestations. Dans la droite ligne d’un « Été au Havre », qui doit son concept au « Voyage à Nantes », des œuvres d’art contemporain seront ainsi installées dans les rues de la capitale. Comme un clin d’œil au climat de la région, Rouen et sa métropole accueilleront un « Festival de la pluie » initialement activé quand il pleut, mais finalement maintenu quel que soit le temps. Il s’agit de « plaines de jeux » avec des animations particulières, par exemple, des caissons de méditation au rythme des gouttes (2 M€). Une grande exposition William Turner au Musée des beaux-arts figurait dans le premier dossier, mais elle a disparu dans la seconde version sans indication sur la programmation du musée en 2028.

« Chambre avec vue » invitera les Rouennais qui disposent d’une vue particulière sur un monument de la ville à accueillir du public afin d’observer ce panorama à l’aide d’une longue-vue prêtée par l’organisation (1,1 M€). L’équipe organisatrice sera particulièrement attentive à ce qu’il y ait un certain nombre de panoramas dans la rive gauche de la ville où sont historiquement installées les usines et quartiers ouvriers. C’est dans cette zone qu’est située l’usine chimique Lubrizol qui a brûlé en 2019. Symboliquement, les bureaux du GIP occuperont un ancien bâtiment sur l’île Lacroix entre les deux rives. La Maison des Confluences (c’est son nom) accueillera aussi des animations et des expositions organisées par le Frac Normandie Rouen.

Implication des habitants

« Chambre avec vue » est symptomatique de la volonté des organisateurs de faire des habitants des acteurs de la programmation. La candidature prévoit une Assemblée de Seine composée d’une multitude de participants, de collectifs de citoyens, de conseils des sages (de 6 à 25 ans) chargés de donner leur avis et de piloter le programme des « Grandes marées ». La Normandie n’a pas une tradition de grandes fêtes populaires comme dans le Nord, relève Rebecca Armstrong, aussi Rouen 2028 proposera de créer des rituels comme les « Feux de la Saint-Jean », lors des grandes marées mensuelles qui sont encore visibles loin de l’embouchure de la Seine (1 M€).

Le projet n’a évidemment pas fait l’impasse sur la dimension européenne à laquelle le jury est très attaché. Des partenariats sont ainsi prévus avec la Tchéquie qui a également le label pour 2028 ainsi qu’avec des villes-fleuves. Le dossier comprend un nouveau programme intitulé « Ping pong » : un binôme constitué d’un artiste français et d’un artiste européen chargé de concevoir une œuvre d’art pour un lieu spécifique (1,95 M€)

Il ressort du dossier final une programmation inventive, multiple (26 programmes) et éparpillée afin de toucher les habitants au plus près de leur quotidien. La plupart des manifestations seront hors les murs et il ne sera pas nécessaire de prendre la voiture. Ce parti pris de dispersion, louable sur le plan social et écologique, ne risque-t-il cependant pas de poser un problème de ressenti par les habitants qui restent attachés à de grands événements ? Comment également convaincre les touristes de venir sans qu’il y ait de « grands spots ». Le jury qui se réunira le 13 décembre pour délibérer ne manquera pas de se poser la question.

 

LES CHIFFRES-CLÉS DE ROUEN SEINE NORMANDIE 2028

Rouen
• Ville : 110 000 habitants
• Métropole Rouen Normandie : 498 000 hab. (71 communes)
• Ville d’art et d’histoire
• 1 bien Patrimoine mondial de l’Unesco (cathédrale de Rouen)
• 233 monuments historiques protégés à Rouen (728 dans la Seine-Maritime)
• 1 site patrimonial remarquable
• 8 Musées de France
• 1 Frac Normandie Rouen (Sotteville-lès-Rouen)
• 1 Centre dramatique national
• 1 Scène de musique actuelle (SMAC)
• 1 École supérieure d’art (ESADHaR)
• 1 Centre d’art contemporain d’intérêt national
Budget culture 2022 de la Ville :
22,9 M€ (30,1 M€ avec la Métropole), soit 8,8 % du budget de la Ville
Budget « Capitale européenne de la culture » :
Fonctionnement : 80 M€

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : « Rouen 2028 » tisse sa toile au-dessus de la Seine

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