Politique culturelle

CAPITALE EUROPÉENNE DE LA CULTURE 2028 - 2/4

« Clermont-Ferrand Massif Central 2028 » la difficile équation territoriale

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2023 - 1526 mots

La candidature doit assurer le rayonnement de la ville centre, tout en ayant un impact culturel dans le vaste territoire qu’elle associe.

Le Parc Montjuzet à Clermont-Ferrand © Direction de la Communication Ville Clermont-Ferrand
Le Parc Montjuzet à Clermont-Ferrand.
© Direction de la Communication Ville Clermont-Ferrand

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). La grande idée de la candidature de Clermont-Ferrand pour être « Capitale européenne de la culture » en 2028 est d’avoir associé tout le territoire du Massif central à son projet, soit 4 régions et 22 départements. « C’est la taille de l’Autriche ou du Portugal », aime à dire Olivier Bianchi, le maire de Clermont-Ferrand. Mais justement n’est-ce pas trop grand, s’interroge le jury de présélection dans son rapport de mars 2023, n’y a-t-il pas un risque de « fragmentation du programme » ? L’équipe dirigée par Patrice Chazottes qui porte le projet de candidature se retrouve ainsi face à deux injonctions quasi contradictoires : mener une programmation visible sur tout le territoire, tout en augmentant l’impact à Clermont-Ferrand, ville centre.

Le message a été reçu à 100 %, puisque le second dossier de candidature fait état d’une offre beaucoup plus étoffée à Clermont-Ferrand, tout en gardant les lignes de forces dans le Massif central. Accessoirement, le projet a mis en sourdine (ce n’est plus qu’un « clin d’œil ») la référence à l’écrivain J. R. R. Tolkien – le jury ayant considéré qu’il y avait là un risque de cannibalisation d’image – pour ne conserver que le concept de « Terre du Milieu ».

Réhabilitation des vieux bâtiments

Clermont-Ferrand accueillera les cérémonies d’ouverture de chaque saison (appelées « Grandes traversées ») et inaugurera en 2028 plusieurs grands équipements dont certains sont cependant déjà décidés. L’équipement emblématique est certainement la Cité du court, un lieu modulable destiné à la production et à la diffusion des courts métrages et qui abritera aussi l’équipe organisatrice du célèbre Festival international du court métrage dont – heureux hasard – on fêtera le cinquantième anniversaire en 2028.

Mais c’est loin d’être le seul équipement à voir le jour dans la métropole. Les Clermontois pourront se divertir dans un espace cabaret qui investira l’actuelle caserne des pompiers, assister à des performances liées au numérique dans une friche reconvertie (le Hangar numérique), acquérir des connaissances scientifiques dans un lieu à définir, probablement dans une friche Michelin (l’industriel appartient à l’histoire de la ville) ou écouter de la musique dans un nouvel auditorium en bois. Le maire insiste cependant sur le fait « qu’il n’est pas un bâtisseur » et que la plupart de ces sites sont des réhabilitations. Une démarche aujourd’hui partagée par toutes les candidatures, bien loin de Marseille-Provence 2013 qui avait élaboré son projet autour de la construction de plusieurs bâtiments nouveaux.

Future Bibliothèque Métropolitaine de l'Hôtel-Dieu à Clermont-Ferrand. © Picture Plane
Future Bibliothèque Métropolitaine de l'Hôtel-Dieu à Clermont-Ferrand.
© Picture Plane

Pour autant la dimension urbanistique est loin d’être absente dans les dossiers des villes candidates en général et à Clermont-Ferrand en particulier. Les élus ont bien compris que le label peut-être un déclencheur ou un accélérateur de chantiers urbains visant à redessiner la ville. À Clermont-Ferrand, il s’agit d’éloigner les voitures du centre-ville. La candidature prévoit de piétonniser quatre rues et de les transformer en zones d’activités pour les enfants avec une forte dimension artistique (« Les diagonales des arts »). Et la Ville va sans doute prolonger au moins jusqu’en 2028 la gratuité des transports publics le week-end, mise en œuvre depuis 2021.

« La culture de Molière, celle des tréteaux »

Clermont-Ferrand tient à son articulation avec la région environnante. Agnès Froment, la directrice générale des services de la ville rappelle une évidence : la métropole ne peut vivre sans être approvisionnée par son territoire. Et à l’heure du changement climatique, il va devenir de plus en plus indispensable que les élus de toute la région se mettent d’accord sur un agenda commun de transition écologique, quelle que soit leur appartenance politique. Aussi voit-elle dans la « Capitale européenne de la culture » une opportunité pour consolider des canaux de communication entre élus à travers des projets culturels partagés.

Le projet pour 2028, au-delà de Clermont-Ferrand, n’a pas fondamentalement changé entre le premier dossier de candidature et le deuxième revu et corrigé. Il repose en particulier sur les compagnies de colportage, des spectacles qui vont aller de bourgs en bourgs, s’installer et se produire pendant une semaine sur les places de village : « C’est le retour des scènes ambulantes, la culture de Molière, celle des tréteaux », explique Olivier Bianchi. Le maire tient également beaucoup aux « Rendez-vous inattendus », des expériences inédites, en petit groupe, dans des lieux tenus secrets jusqu’au dernier moment. « La multitude de ces rendez-vous secrets va mobiliser le terreau des créateurs locaux », s’enthousiasme l’édile. Deux grands programmes de commandes publiques vont aussi mobiliser les artistes. « Les tours veilleuses » sont des postes d’observations artistiques dans les parcs naturels de la région, tandis que des œuvres d’art seront installées le long de la rivière Allier entre Nevers et Langogne.

Pour matérialiser le label dans le Massif central et aussi organiser la logistique compliquée de ces opérations, cinq « manufactures » seront installées dans cinq zones commerciales disséminées dans le territoire, « au foncier bon marché ». Installées, par exemple dans des magasins désaffectés, elles serviront de base logistique aux compagnies de colportage, mais permettront aussi d’accueillir des expositions ou de favoriser la pratique des arts du cirque. La logistique sur tout le territoire ne sera pas le défi le plus simple à relever.

La dimension européenne

Outre la dialectique Clermont-Ferrand / Massif central, la candidature doit aussi prendre en compte la dimension européenne, l’un des six critères d’évaluation par le jury et non des moindres pour un label attribué par la Commission européenne. C’est un véritable casse-tête pour toutes les villes. Qui connaît en France le nom des « Capitales européennes de la culture » en 2023 ? Pour ne rien arranger, elles sont trois : Veszprem en Hongrie, Timisoara en Roumanie et Eleusis en Grèce… À cette méconnaissance s’ajoute une absence d’échanges avec ces villes en France, à tout le moins une totale invisibilisation de ces échanges s’il y en a. En 2028, la ville française partagera le label avec Ceské Budejovice en Tchéquie qui a le bon goût de se trouver aussi dans un massif volcanique. Astucieusement, Clermont-Ferrand a programmé une saison tchèque avec des expositions dans plusieurs lieux de la ville, en particulier sur le sculpteur d’origine tchèque Vladimir Skoda. Cette saison battra son plein lorsque des membres du jury viendront sur place début décembre. Et pour 2028, elle se propose d’organiser le « Forum des massifs », une grande rencontre entre des représentants du monde politique, agricole et culturel des zones de moyenne montagne en Europe. La synthèse des travaux sera envoyée au Parlement européen. Clermont-Ferrand prévoit au moins deux nouvelles rencontres en 2030 et 2032.

Depuis quelques années, les « Capitales européennes de la culture » ont pris un tournant plus sociétal et écologique. Olivier Bianchi pense que cette tendance va être encore plus marquée. « Je pense que la candidature de Clermont-Ferrand Massif Central marque un temps de ces mutations sur ce que pourrait devenir une “Capitale européenne de la culture” dans les 25 prochaines années. »

Les chiffres-clefs de Clermont-Ferrand Massif Central 2028
Clermont-Ferrand
• Ville : 147 000 habitants
• Clermont Auvergne Métropole : 296 000 habitants
• Un bien Patrimoine mondial de l’Unesco (la Chaîne des Puys – faille de Limagne)
• 103 monuments historiques protégés à Clermont-Ferrand (875 dans le Puy-de-Dôme)
• 3 Musées de France
• 1 FRAC (lieu principal d’exposition)
• 1 Scène nationale
• 1 Scène de musique actuelle (SMAC)
• Une École supérieure d’art (ESACM)
• Un site patrimonial remarquable
Budget culture 2023 de la ville
18 M€ (10 % du budget total de fonctionnement)
Budget « Capitale européenne de la culture »
Fonctionnement : 72,8 M€
L’équation politique

Politique locale. Le jury est très attentif à la qualité de la programmation, mais aussi à la capacité de réalisation, laquelle passe par un financement approprié et un soutien des élus concernés. Les élus d’opposition à Clermont-Ferrand ont confirmé à plusieurs reprises qu’ils étaient favorables à la candidature et à la démarche prise. « Clermont-Ferrand Massif central 2028 » [CFMC28] s’enorgueillit d’avoir le soutien de 13 départements et de 600 communes qui ont voté une délibération s’engageant à participer financièrement au programme du label. Si le soutien de la métropole ne fait aucun doute (Olivier Bianchi est le président de la métropole), celui du département du Puy de Dôme présidé par un élu de droite est acquis, ce dernier a intérêt à ce que la ville centre bénéficie du label et a annoncé qu’il voterait les 4 millions demandés pour la candidature. L’enjeu se situe dans la Région principale du Massif central, en l’occurrence la Région Auvergne-Rhône-Alpes présidée par Laurent Wauquiez qui n’est pas exactement dans le même camp politique qu’Olivier Bianchi. Après avoir longtemps atermoyé, Laurent Wauquiez annoncera franchement son soutien à la candidature de Clermont-Ferrand à l’occasion d’une conférence de presse le 10 novembre prochain. Il n’a pas donné le montant que la Région apportera à la candidature, mais compte le faire si CFMC28 remporte le titre en décembre prochain. Le paradoxe du processus de sélection de la « Capitale européennes de la culture » est que les élus des collectivités qui portent le projet ne seront peut-être pas ceux qui le conduiront en 2028, les prochaines élections municipales sont en 2026 et les présidentielles en 2027. C’est la raison pour laquelle le jury reste très attentif à ce que la candidature recueille la plus large adhésion.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : « Clermont-Ferrand Massif Central 2028 » la difficile équation territoriale

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