Politique

En Russie, un projet de loi veut créer un cordon sanitaire autour des lieux d’expositions critiques

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 21 avril 2017 - 651 mots

MOSCOU (RUSSIE) [21.04.17] - Un projet de loi soi-disant initié par la société civile russe envisage de créer un statut spécial pour les lieux d’exposition montrant des œuvres pouvant heurter les convictions religieuses de certains.

Doit-on installer un cordon sanitaire autour des musées et galeries d’art montrant des oeuvres susceptibles d’offenser les croyants ? De multiples affaires, qui se sont tous mal terminées pour les artistes ou les organisateurs d’expositions, ont poussé des représentants de la société civile à rédiger un projet de loi destiné à protéger les institutions culturelles. Le texte a été présenté en début de semaine lors d’une session de la Chambre civile, un organe d’État russe au rôle strictement consultatif, dont la plupart des membres sont désignés directement et indirectement par le président russe Vladimir Poutine.

L’idée phare du projet de loi consiste à prévenir les conflits reposant sur des divergences de valeurs et les offenses aux sentiments religieux entre activistes religieux ou politiques et responsables de musées ou de galeries d’art. Afin que les sculptures de Vadim Sidur ne soient plus fracassées sur le sol ni les photographies de l’Américain Jock Sturges aspergées d’urine. Pour obtenir « la paix civile », les auteurs du texte de loi ont imaginé de définir des zones (salles d’exposition) définies comme des « espaces sociaux à statut spécial », où il sera possible de « montrer des oeuvres ou des activités dont la nature suscite des questionnements moraux et émotionnels intenses. »

A l’entrée de chaque exposition, les organisateurs seront tenus de présenter des avertissements clairs (négociés avec les autorités) à l’intention des visiteurs, dont les convictions pourraient être offensées. Une fois passé le panneau d’avertissement, les activistes violents étant prévenus, ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes si leurs sentiments sont bafoués.

L’initiative législative de la Chambre civile semble téléguidée par le monde politique. Formellement sous la responsabilité du « culturologue » Iossif Diskine, qui préside la Commission sur l'harmonisation des relations inter-ethniques et inter-religieuses de la Chambre publique, elle serait en fait entre les mains du député communiste Sergueï Gavrilov, qui préside le comité parlementaire pour le développement de la société civile, les questions religieuses et associatives. Ni l’avant projet ni les grandes lignes du texte de loi ne sont consultables par le public, ce qui est devenu une habitude.

Cette proposition a été accueillie avec méfiance par le monde des arts russe. « A-t-on vraiment besoin d’une nouvelle loi pour défendre les musées ? La loi existante n’a jamais autorisé à détruire les oeuvres d’art dans les musées et les galeries. Elle n’a jamais autorisé à liquider les dissidents. Et c’est pourtant ce qu’on observe. Ce n’est pas une loi qui va améliorer la situation », confie au Journal des arts un responsable d’un musée d’État moscovite.

Pour Vladimir Bogdanov, expert chez artinvestment.ru, le projet de loi est un signal supplémentaire visant à inciter les directeurs de musées et de galeries à l’autocensure. « Nul besoin d’instaurer une censure formelle pour obtenir le résultat escompté. Tous ont compris dans quelle direction souffle le vent et où sont posées les lignes rouges », explique-t-il, exemple à l’appui : « Tout le monde a été témoin de l’indignation publique en août 2015 de l’union des musées en réaction aux destruction par des "forces marginales. " Mais lorsqu’une autre exposition de Sidur a été annulée en décembre 2016, il n’y a eu aucune réaction. » Il fait référence à l’exposition qui devait se tenir au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe de Paris et qui a été déclarée « indésirable » par le clergé russe.

Les attaques médiatiques contre le directeur de l’Ermitage Mikhaïl Piotrovsky venant de l’église orthodoxe et de figures ultra-conservatrices à propos d’une vaste rétrospective de l’oeuvre de Jan Fabre l’année dernière ont refroidi plus d’un directeur de musée, poursuit Bogdanov. À cause du climat d’impunité, il est illusoire de croire qu’une pancarte à l’entrée d’un musée va offrir une garantie de sécurité ou freiner les velléités purificatrices « anti-occidentales » de radicaux qui se sentent pousser des ailes.

Légende photo

Le Kremlin, Moscou, Russie © Photo Pavel Kazachkov - 2012 - Licence CC BY-SA 2.0

Thématiques

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque